« Le prix du passeport est fixé à 500.000 francs guinéens. C’est une décision officielle du gouvernement. Après avoir versé cette somme sur le compte de l’ECOBANK contre un document témoin appelé reçu, rendez-vous dans les locaux du département de la Sécurité pour le dépôt des dossiers au niveau de la Direction Centrale de la police de l’Air et des Frontières (DCPAF). Quiconque soutire de l’argent à un citoyen lors du dépôt des dossiers sera sanctionné et radié des rangs de la police…»
Quand l’ex contrôleur général de police, Mohamed Gharé, alors directeur général, faisait cette mise en garde, les Guinéens avaient poussé un ouf de soulagement croyant ainsi voir la fin de leur calvaire à la DCPAF. Hélas ! Ils vont vite déchanter.
Quelques jours après, des agents de police, en complicité avec les informaticiens de la salle d’impression, vont se soustraire à la loi en mettant en place des réseaux puissants pour escroquer à tout vent les demandeurs de passeports. Ainsi, pour l’acquisition de ce précieux sésame, selon les citoyens grugés, il faut débourser près de 800.000 francs guinéens. Pire, ces petits malins, toujours selon les victimes, prennent sur eux la décision d’écraser les passeports en soutirant des sommes allant de 3 à 5 millions.
Les agents du service informatique mis à l’indexe !
Lors de notre enquête au ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, nous avons constaté une foule de personnes dans la cour, plus particulièrement dans le hangar qui abrite les containers de dépôt de dossiers ainsi qu’aux alentours de l’annexe où les passeports sont imprimés. A cet endroit-ci, on a aussi constaté un mouvement de va-et-vient des informaticiens qui sortent de la salle et qui y retournent quelques instants après avec les mains chargées de dossiers et les poches pleines. Dans la cour, on a susurré dans nos oreilles que le service informatique est l’épicentre de la corruption et de l’arnaque. Comme quoi, c’est là que tout se passe.
Rencontré dans les couloirs du bâtiment qui abrite le département, un proche collaborateur du ministre, a accepté volontiers de dévoiler quelques cas interceptés par les autorités policières.
« Les principaux acteurs de l’arnaque et de la corruption et même de vente de passeports biométriques aux étrangers sont les agents qui travaillent dans la salle informatique où on imprime les passeports. Deux cadres de ce service, en l’occurrence un certain Diakité et son compère du nom de Bérété, pris en flagrant délit, ont été renvoyés de la salle informatique pour être mutés au service d’enrôlement sous le hangar. Le cas le plus récent reste celui d’un certain Soumaoro qui vient d’être muté au commissariat central de Kissidougou comme complément d’effectif. Il a pris de l’argent avec une nièce d’une autorité de la police, qui, pourtant, avait tous ses dossiers au complet, y compris le reçu du versement des 500.000 francs à l’ECOBANK. Venue déposer ses dossiers, on conseille la jeune fille de voir le sieur Soumaoro du service informatique à qui elle remet les dossiersavec bien sûr une somme d’argent. Priée d’attendre quelque part dans la cour en attendant l’impression de son passeport, elle juge mieux d’aller « tuer » le temps dans le bureau de son oncle. Interrogée sur la raison de sa visite, la jeune fille répond à son oncle, qu’elle est venue pour le passeport mais qu’elle a fini. Comment ça ? Elle répond qu’elle a remis de l’argent à un certain Soumaoro afin de lui faciliter l’acquisition de son passeport. Très furieux, l’autorité en question appelle M. Diop, le patron du service informatique. Entre-temps, l’étudiante reçoit un coup de fil de son bienfaiteur. Au lieu que la fille ne descende, c’est à Soumaoro qu’on demande de monter. Quelle ne fut sa grande surprise en se retrouvant nez à nez avec son patron ! C’est fini ! Séance tenante, la note de services le mutant à Kissidougou lui est remise…Et je vous apprends encore que le 5 juillet dernier, deux officiers ont été mis aux arrêts pour avoir vendu frauduleusement des passeports biométriques à des étrangers contre 5 millions de francs », a affirmé sous le sceau de l’anonymat ce haut cadre du ministère de la sécurité au micro de Guinéenews©.
A ces cas précis, s’ajoutent de nombreux témoignages de certains demandeurs de passeport biométrique, victimes de cette escroquerie à haute échelle. C’est le cas de la dame Djakagbè Cissé qui dit avoir payé 5 millions de francs guinéens pour qu’on accepte d’écraser le passeport de sa fille. « Ma fille étudie à Lyon, en France. Elle avait un problème au niveau de sa date de naissance. Au lieu de 1996, c’est écrit sur son nouveau passeport biométrique 1991. Alors, il était question d’écraser ce passeport pour lui en établir un nouveau. J’ai passé une semaine dans les locaux de la DCPAF à plaider son cas auprès des gens. Il a fallu que je débourse cinq millions de francs pour que le passeport de ma fille soit écrasé », témoigne-t-elle.
La liste des personnes victimes de cette arnaque est longue. Il suffit de faire un tour au département de la Sécurité et de la Protection Civile pour s’en rendre compte.
Conakry, plaque tournante du trafic des passeports biométriques ?
Selon une source crédible, Conakry, la capitale guinéenne est devenue une plaque tournante des étrangers en quête de passeports guinéens pour rallier l’occident via le Maroc. La Guinée et le Maroc ont signé un protocole qui bannit les visas entre les deux pays. Avec donc ces passeports, certains étrangers candidats à la migrationcl clandestine se rendent d’abord au Maroc, avant de tenter la traversée vers l’Europe.
Selon les statistiques fournies à la BBC par les officiers de la police judiciaire, entre 2015 et 2017, 20 à 30% des passeports biométriques guinéens ont été vendus à des étrangers africains non Guinéens qui ont quitté Conakry pour le Maroc.
Le 5 juillet dernier, selon des officiers de police judiciaire, deux officiers de la police guinéenne ont été accusés d’avoir vendu frauduleusement des passeports biométriques à des non Guinéens. Les investigations seraient en cours pour démasquer d’éventuels complices. Les deux officiers interpellés attendraient une procédure judiciaire déclenchée par la police d’investigation.
De ce qui précède, on peut dire sans risque de se tromper que beaucoup d’étrangers possèdent les passeports biométriques guinéens : Libanais, Pakistanais, Indiens, Chinois, Nigérians, Ghanéens, Ivoiriens, Maliens, Sénégalais etc., qui voyagent et fonctionnent avec des documents guinéens surtout les passeports guinéens. Il ne se passe un jour sans que le ministère de la Sécurité ne reçoive la plainte des ambassades et des chancelleries étrangères.
Des travailleurs de l’ECOBANK dans la boite de pandore !
Les travailleurs de l’ECOBANK, ayant trouvé le trafic juteux, ont trempé dans la mare aux «magouilles» pour écumer la société IRIS (chargée de la confection des passeports biométriques en Guinée) qui a pourtant choisi leur établissement pour domicilier son argent. Au lieu de mettre les 500.000 francs que versent les demandeurs de passeports biométriques dans les coffre-forts pour les confier chaque soir à la Banque Centrale, ils vont plutôt les mettre en poche.
Comment procèdent-ils ?
Ils récupèrent les sous des mains des candidats aux passeports biométriques et leur remettent des faux reçus de versement. Et cela a duré plusieurs mois avant d’être démantelé. Quand la société IRIS a essayé de tenir sa comptabilité, elle constatera qu’il y a plus de reçus que d’argent encaissé. Après des enquêtes, on découvre que les auteurs de ce trou béant ne sont rien d’autres que les travailleurs de cette banque partenaire. La police fait une descente musclée dans les caveaux de la banque et attrape « les souris rongeurs des billets de banque ». Ces agents qui n’ont pas pu se retenir devant les espèces sonnantes et trébuchantes, sont mis aux arrêts et jetés en prison où ils méditent actuellement sur leur sort. Pour l’heure, selon un responsable de la société IRIS, ECOBANK est en train de procéder au remboursement de l’argent volé par ses agents au guichet.
Par ailleurs, faut-il le souligner que les responsables de ECOBANK que nous avons rencontrés dans le cadre de cette investigation afin d’avoir leur version sur cette situation, ont tous gentiment préféré ne pas en commenter arguant que ce serait faire « une autre contre publicité à leur établissement ».
Et les autorités de la Direction Centrale de Police de l’Air et des Frontières dans tout ça ?
Interrogé au téléphone, le Directeur de la DCPAF nous demande de voir les victimes qui sont censées dénoncer les agents de police et autres démarcheurs de passeports qui leur ont pris de l’argent. « Demandez aux plaignants de vous montrer ou de vous indiquer ceux qui ont pris de l’argent avec eux ! Ces gens dont vous parlez ne sont jamais venus à mon bureau pour se plaindre », a-t-il laconiquement confié.
A la question de savoir si la direction n’a jamais été informée de l’existence des réseaux de trafic des passeports biométriques ou du moins n’a jamais su que des agents qui travaillent au service informatique, prennent de l’argent avec les demandeurs de passeports, M. Lamine Kéita nous demande de nous rendre à la DCPAF pour nous faire visiter les différents services impliqués dans l’établissement des passeports. Mais hélas ! Nous n’avons jamais pu bénéficier de cette porte ouverte proposée par M. Kéita jusqu’au bouclage de ce dossier. Car toutes nos tentatives de le rencontrer sont restées vaines. Sans doute, en raison de l’affluence exceptionnelle dont cette direction fait l’objet au quotidien au département de la Sécurité. « Le patron est toujours occupé. Passez demain ! », nous rabattaient, chaque fois à l’oreille, les policiers postés à la porte.
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