
Alors que l’Afrique de l’Ouest avait amorcé, il y a deux décennies, une transition démocratique encourageante, la région semble aujourd’hui piégée dans une spirale de régressions politiques. Des coups d’État en série, une défiance généralisée envers les institutions civiles, et l’installation progressive de régimes militaires présentés comme des « recours salvateurs » marquent le paysage ouest-africain. Une mascarade, dénonce Oumar Yacine Bah, auteur et analyste politique, pour qui la démocratie a été systématiquement dévoyée par ceux-là mêmes qui étaient censés l’incarner.
Mali, Burkina Faso, Niger : la tentation des bottes
Le cas malien est emblématique d’un effondrement programmé. Après des débuts démocratiques certes imparfaits, mais réels, le pays a sombré dans l’instabilité sécuritaire et l’inefficacité étatique. La classe politique, incapable de réformes profondes, a précipité sa propre chute. Le coup d’État de 2020 a été accueilli avec soulagement par une partie de la population, épuisée par les dérives du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta. Mais très vite, le discours de rupture a laissé place à une gestion opaque, autoritaire, marquée par un mépris croissant pour les échéances électorales.
Même scénario au Burkina Faso, où l’insurrection populaire de 2014 contre Blaise Compaoré avait suscité l’espoir d’une véritable refondation démocratique. La suite fut une chronique du désenchantement : gouvernance faible, insécurité endémique, et, en 2022, un retour brutal des militaires. Aujourd’hui, le capitaine Ibrahim Traoré gouverne par décret, sous couvert de restaurer la souveraineté nationale, dans un climat de polarisation extrême et sans horizon électoral crédible.
Quant au Niger, il avait accompli en 2021 ce qu’aucun autre pays sahélien n’avait encore réussi : une alternance démocratique pacifique entre deux présidents élus. Une avancée remarquable, ruinée en juillet 2023 par un putsch militaire aux motivations aussi floues qu’opportunistes. L’armée, au cœur du dispositif sécuritaire depuis des années, s’est arrogée le pouvoir qu’elle prétendait défendre.
Guinée : une histoire d’autoritarisme sans fin
Contrairement à ses voisins, la Guinée n’a jamais véritablement connu de respiration démocratique. Depuis l’indépendance, le pays semble voué à l’autoritarisme. De Sékou Touré à Lansana Conté, en passant par Alpha Condé et MamadiDoumbouya, la verticalité du pouvoir et le culte de l’homme providentiel ont structuré le champ politique guinéen. L’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé, en 2010, aurait pu marquer une rupture. Mais le professeur devenu président a fini par déchirer la Constitution qu’il avait pourtant juré de respecter. En s’octroyant un troisième mandat par la force, il a rouvert la voie aux putschs, comme une malédiction cyclique. Depuis 2021, Mamady Doumbouya promet une refondation. Mais comme souvent dans l’histoire guinéenne, les discours progressistes masquent mal la réalité d’un pouvoir concentré et peu soucieux de rendre des comptes.
Une illusion démocratique entretenue par les élites
Ce naufrage collectif n’est pas uniquement imputable aux militaires. Il est aussi, et surtout, le fruit d’une trahison des élites civiles. Pendant des années, elles ont vidé la démocratie de sa substance : élections truquées, institutions asservies, libertés bafouées, corruption omniprésente. Dans ces conditions, le désenchantement populaire était inévitable. Lassés de voter pour des systèmes fermés et cyniques, les citoyens finissent par se détourner des urnes et, parfois, à applaudir les interventions militaires, perçues comme des ruptures salvatrices.
Mais cette « solution » est un mirage. Les juntes installées au pouvoir ne se distinguent pas par une meilleure gouvernance, ni par une efficacité accrue. Elles s’illustrent plutôt par la répression, la rhétorique anti-occidentale de circonstance, et une gestion souvent autarcique du pouvoir. Les institutions sont mises en veille. Les libertés s’érodent. Et les perspectives de retour à l’ordre constitutionnel s’éloignent à chaque discours martial.
Quand la démocratie devient mise en scène
Ce qui se joue aujourd’hui en Afrique de l’Ouest, ce n’est pas seulement un recul démocratique. C’est une farce sinistre, où l’on remplace les urnes par les armes, les débats par les injonctions, et les constitutions par les communiqués de la junte. On présente la démocratie comme un luxe, alors qu’elle est une nécessité vitale dans des sociétés marquées par la pauvreté, l’exclusion et les tensions identitaires.
Les peuples ouest-africains ne rejettent pas la démocratie. Ils rejettent une démocratie factice, trahie par ceux qui devaient la porter. Le vrai défi, aujourd’hui, est de reconstruire des systèmes politiques crédibles, enracinés dans les réalités locales, portés par des institutions solides et des dirigeants intègres. Sinon, les militaires continueront de se poser en recours. Et la démocratie, encore une fois, ne sera qu’un souvenir – ou une promesse sans lendemain.
Par Oumar Kateb Yacine
Analyste-Consultant Géopolitique
Contact: bahoumaryacine777@gmail.com