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Interview: « Alpha Condé n’est plus digne de la fonction présidentielle… », Cellou Dalein, chef de file l’opposition Guinéenne (le Pays)

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Le Président de la Guinée, Alpha Condé et le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) sont à couteaux tirés depuis l’annonce du référendum constitutionnel qui vise à permettre au chef de l’Etat de briguer un nouveau mandat. Selon Cellou Dalein Diallo, ancien Premier ministre, Chef de file de l’Opposition guinéenne, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et vice-président de l’International Libéral, « le simple fait d’initier une nouvelle Constitution sans aucune base légale constitue une violation du serment du président de la République ». Avec le FNDC, Cellou Dalein Diallo, n’entend pas laisser passer « le projet illégal et conflictogène du troisième mandat » du président Alpha Condé. De passage à Ouaga, nous lui avons tendu notre miro.

« Le Pays » : Quel est l’état de la lutte actuelle contre le 3e mandat dont on prête l’intention au président Alpha Condé ?

Cellou Dalein Diallo : La lutte actuelle contre le projet illégal de troisième mandat, initiée depuis le 14 octobre 2019, se poursuit et continue d’engranger d’importantes victoires à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Le FNDC a réussi le pari de rassembler, pour ce combat, la Guinée dans toute sa diversité ethnique, politique et socio-professionnelle et a organisé de grandioses manifestations contre ce projet illégal et conflictogène. Malgré la répression sanglante qui a déjà fait plus de 35 morts, des centaines de blessés par balles, des enlèvements et des détentions arbitraires, y compris dans des camps militaires, de dizaines de cadres et partisans dans ses rangs, le FNDC continue de mobiliser les Guinéens pour empêcher Alpha Condé de perpétrer ce coup d’Etat constitutionnel. Je suis convaincu que le peuple de Guinée triomphera dans ce noble combat contre la présidence à vie.

De quels moyens dispose l’Opposition pour barrer la route au président Condé ?

Ayant constaté l’échec de toutes les démarches politiques, judiciaires, diplomatiques, religieuses engagées pour convaincre Alpha Condé de renoncer à son projet illégal et conflictogène de troisième mandat, nous userons de notre droit constitutionnel de manifester dans les rues et sur les places publiques pour empêcher la réalisation de ce coup d’Etat constitutionnel.

Pensez-vous que l’appel au boycott sera entendu ? Ne pensez-vous pas que l’opposition se fait hara-kiri en boycottant les législatives quand on sait que la politique de la chaise vide ne paye pas toujours ?

Pensez-vous qu’il est normal de participer à un processus électoral illégal et anti-démocratique ? La vocation naturelle d’un parti politique est de participer aux élections, à la condition néanmoins qu’elles soient transparentes, libres et démocratiques. Or, le constat effectué est celui de l’enrôlement massif de mineurs et le maintien, dans les fiefs du pouvoir, de nombreux doublons et fictifs d’une part, et d’autre part, le refus d’enrôler, dans les fiefs de l’Opposition, des centaines de milliers de citoyens jouissant pleinement de leurs droits civiques en violation flagrante des dispositions du Code électoral.
Il faut rappeler que ces pratiques frauduleuses qui ont commencé depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir, ont été fortement utilisées en 2015 dans le cadre de la préparation du « coup K.-O. » qui a permis à Alpha Condé de se faire déclarer vainqueur dès le premier tour de la présidentielle. En effet, un audit réalisé par l’OIF, l’UE et les Nations unies en 2018 sur le fichier de 2015 a révélé l’existence de 3 051 773 millions d’électeurs non dé-doublonnés et de 1 564 388 autres sans empreintes digitales. Pour corriger ces anomalies et irrégularités et permettre à la Guinée de disposer d’un fichier biométrique homogène et sincère, la mission d’audit avait recommandé qu’à l’occasion de la révision de 2019, tous les électeurs reviennent se faire ré-enrôler systématiquement ; faute de quoi ils seraient radiés des listes électorales. Cette recommandation qui avait été approuvée au niveau du Comité de suivi du dialogue politique, n’a malheureusement pas été appliquée. Et le fichier actuel comporte plus d’anomalies et d’irrégularités que celui de 2015 qui a fait l’objet de l’audit. Il compte désormais 7 764 130 électeurs, soit 62% de la population totale, alors que ce ratio tourne autour de 40% dans tous les autres pays de la sous-région. Il est de 41.23% au Sénégal, 31% en Côte d’ivoire, 41.58% au Togo, 40.88% au Bénin, 38.33% au Burkina Faso, 39.50% au Mali et 38.58% au Niger. Dans notre pays, il y aurait plus d’électeurs que de personnes en âge de voter. La mascarade électorale en cours repose sur un fichier conçu dans l’unique but d’offrir à Alpha Condé une victoire confortable aux législatives, au référendum, et, dès le premier tour, à la présidentielle de 2020. C’est pour toutes ces raisons que l’Opposition a exigé, pour sa participation aux législatives, l’assainissement du fichier par l’application des recommandations de l’audit, l’extirpation des mineurs et des fictifs et l’enrôlement de tous les citoyens arbitrairement exclus.

D’aucuns accusent l’opposition d’envoyer les jeunes à l’abattoir. Qu’en dites-vous ?

Il s’agit là d’un discours éculé des tenants du pouvoir d’hier et d’aujourd’hui. On entend souvent dire que Cellou Dalein Diallo envoie les jeunes à la boucherie. S’il y a boucherie, la question qu’il revient légitimement de se poser est la suivante : qui sont les bouchers à l’œuvre ? L’accusation doit être pointée sur ceux qui tuent. La responsabilité des tueries est imputable à ceux qui tuent et non ceux qui exercent pacifiquement leur droit constitutionnel de manifester. Nous parlons de jeunes qui ont combattu pour que leur pays soit sur le chemin de la démocratie. Beaucoup d’entre eux ont perdu la vie et c’est au prix de leur sang qu’Alpha est au pouvoir. Ils ne répondent pas à un mot d’ordre contraire aux valeurs de dignité qui sont les leurs. Leur sang qu’ils ont versé n’est pas pour un parti, pour une ethnie, pour une région. C’est pour la Guinée et Alpha Condé et son parti le savent mieux que personne parce qu’ils ont été leur échelle pour accéder au pouvoir.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le FNDC est instrumentalisé par votre parti ?

L’union sacrée et l’engouement du peuple de Guinée autour des valeurs portées par le FNDC déconcertent et déstabilisent le régime d’Alpha Condé dont le mode opératoire classique, dans sa stratégie de confiscation du pouvoir, a toujours été de tenter d’opposer les Guinéens les uns aux autres. Je réponds en langue soussou « Amoulanfé », en peul « Gassata », en Kissi «O Bendalé » et en malinké « Atébénan ». Ce sont des cris de ralliement qui ont été scandés lors des grandioses manifestations du FNDC tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays pour exprimer notre farouche opposition à l’assassinat programmé de notre jeune démocratie.

Où en est-on avec le procès du massacre du Stade du 28 septembre ?

Plus de 10 ans après la publication du rapport accablant de la Commission d’enquête des Nations unies qualifiant les exactions commises dans ce stade de crimes contre l’humanité, le procès n’a toujours pas eu lieu, faute de volonté politique. Cette situation est révélatrice du déni de justice qui caractérise le régime d’Alpha Condé et de l’impunité garantie aux auteurs et commanditaires du massacre. En plus, les 140 victimes abattues par les forces de défense et de sécurité pendant les manifestations politiques et syndicales sous le règne de Alpha Condé, n’ont pas eu droit non plus à la justice. Les auteurs de ces crimes continuent de bénéficier d’une impunité totale et certains d’entre eux, en raison de leur zèle dans la répression des manifestants, ont eu droit à des promotions.

Lors de votre bref séjour au Burkina Faso, avez-vous rencontré Dadis Camara ? Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?

Je n’ai pas rencontré Monsieur Dadis Camara.

Que répondez-vous à ceux qui disent que la nouvelle Constitution qui sera soumise à référendum est l’une des Constitutions les plus progressistes de l’histoire de la Guinée ?

Soit ils ne l’ont pas lue, soit ils sont de mauvaise foi car on note beaucoup de régressions dans la nouvelle Constitution: la suppression de l’imprescriptibilité des crimes économiques, une forte concentration des pouvoirs dans les mains du Président de la République au détriment du Législatif et du Judiciaire, et même du Premier ministre, la neutralité de l’Administration publique et le caractère républicain de l’armée étaient affirmées dans la Constitution en vigueur, ce qui n’est pas le cas dans le projet de nouvelle Constitution. Les prétendues innovations dans la nouvelle Constitution figurent déjà dans la Constitution en vigueur et dans d’autres lois de la République telles que le Code pénal, le Code de l’environnement ou le Code de la famille. Il en est ainsi de l’enseignement obligatoire, de l’interdiction du mariage forcé ou du mariage précoce, de l’abolition de la peine de mort, de la lutte contre le réchauffement climatique, etc. Ces dispositions peuvent être renforcées, s’il y a lieu, par une révision de la Constitution, par l’adoption de nouvelles lois ou l’amendement de celles qui existent, ou tout simplement par des actes règlementaires. En dehors du déverrouillage du nombre et de la durée des mandats présidentiels qui font partie des dispositions intangibles, toutes les prétendues innovations auraient pu être introduites à travers les procédures ci-dessus rappelées. Le simple fait d’initier une nouvelle Constitution sans aucune base légale constitue une violation du serment du Président de la République qui a juré, à deux reprises, de la respecter et de la faire respecter. Ce qui devrait ouvrir la voie à une procédure de destitution pour haute trahison, si la Haute Cour de justice avait été installée. Ce qu’Alpha Condé s’est bien gardé de faire depuis 10 ans. Fondamentalement, son seul objectif est de contourner les dispositions intangibles de la Constitution en vigueur relatives au nombre et à la durée des mandats présidentiels pour se maintenir au pouvoir. Les compteurs seraient ainsi remis à zéro. Si ce n’était pas le cas, il aurait simplement proposé, comme je l’ai déjà dit, une révision ou un amendement de la Constitution en vigueur par une loi organique ou une loi ordinaire ou simplement par des actes règlementaires.

Le FNDC a-t-il des soutiens extérieurs ?

Le FNDC bénéfice du soutien de ses antennes présentes en Afrique, en Europe, en Amérique pour informer et sensibiliser sur les enjeux que revêt notre lutte pour l’alternance démocratique. Cette lutte a suscité un véritable élan de sympathie à travers le monde, donnant lieu à plusieurs déclarations et résolutions d’acteurs importants de la Communauté internationale. Le FNDC y est particulièrement sensible.

Que comptez-vous faire pour empêcher le massacre qui se profile à l’horizon ?

Qui tient la hache du massacre ? Qui serait le responsable du carnage programmé ? Manifester n’est-il pas un droit consacré par la Constitution en vigueur ? A chacun de prendre ses responsabilités vis-à-vis du droit et de notre peuple.

Pensez-vous, comme certains artistes, qu’Alpha Condé est devenu fou ?

Alpha Condé n’est plus digne de la fonction présidentielle comme le démontrent ses nombreuses divagations et contradictions, aussi bien dans les discours prononcés que dans les actes posés. Il démontre quotidiennement qu’il n’a plus la capacité d’assumer les fonctions de sa charge.

Quelle lecture faites-vous de la situation sécuritaire au Burkina Faso ?

J’aimerais tout d’abord saluer le peuple frère du Burkina Faso qui fait preuve d’un courage et d’une résilience remarquables face aux terribles épreuves que lui inflige le terrorisme. Mes condoléances les plus émues aux familles des victimes de l’obscurantisme. Je suis convaincu qu’avec l’aide des partenaires et la coopération des pays du G5 Sahel, les Burkinabè ne tarderont pas à venir à bout de ce fléau.

Selon vous, quelle est la solution contre le terrorisme dans le Sahel ?

Le meilleur moyen de lutter efficacement contre le terrorisme est de traiter le mal à la racine en soutenant la bonne gouvernance et en privilégiant l’éducation, la lutte contre la corruption et la réduction des inégalités.

Selon vous, qu’est-ce qui a pu motiver le Président Alpha Condé à refuser de recevoir la délégation de la CEDEAO ?

Alpha Condé est dans une logique de déni qui le conduit à s’auto convaincre que tout va bien alors que le pays traverse l’une des crises les plus graves de son histoire. Il campe dans sa logique du « circulez, il n’y a rien à voir » et est resté sourd à tous les appels à la raison qui lui ont été lancés. Il a systématiquement refusé toutes les démarches de dialogue initiées par les acteurs socio-politiques, économiques, diplomatiques, religieux opérant aussi bien au niveau national qu’international. La CEDEAO n’a donc pas échappé à cette logique. Alpha Condé a donc commis une maladresse vis-à-vis de la communauté internationale en refusant de recevoir la mission de la CEDEAO.

Comment avez-vous accueilli le report du double scrutin législatif et référendaire ?

Le double scrutin législatif et référendaire prévu le 1er mars avait perdu toute crédibilité. La fiabilité du fichier avait été mise en cause par l’OIF et l’absence d’inclusivité et de transparence du scrutin dénoncée par l’UE. Le retrait de l’OIF du processus électoral et le rappel des missions d’observation de la CEDEAO et de l’UA constituaient une alerte forte sur le peu de crédit que la communauté internationale accorderait à ce scrutin. Mais Alpha Condé n’a pris conscience des conséquences de ses dérives qu’après avoir refusé de recevoir la mission de haut niveau de la CEDEAO comprenant les présidents du Nigeria, du Niger, du Ghana et du Burkina Faso. Il fallait donc, en catastrophe, à la veille de la tenue des élections, tenir un discours prenant en considération l’impatience de ses affidés et le courroux de ses pairs. En ce qui nous concerne, son intervention s’apparente plus à du mépris à l’égard de l’Opposition et du FNDC qu’à une offre de paix et de dialogue. Elle ne résout aucun problème. Elle est un non-événement pour nous et nos manifestations vont continuer de plus belle pour nous opposer au coup d’Etat constitutionnel et à la mascarade électorale en cours.

Propos recueillis par Françoise DEMBELE

Le Pays