CHRONIQUE. Observateur attentif de l’Afrique contemporaine, le célèbre écrivain guinéen, Prix Renaudot en 2008, livre sa réflexion sur la question institutionnelle dans le continent.
PAR THIERNO MONÉNEMBO
À en croire les spécialistes, l’Afrique ne serait pas un monde habité, mais une longue suite de déficits : déficit sanitaire, déficit alimentaire, déficit énergétique, déficit d’écoles, de routes, de ports, de ponts… De ces innombrables déficits, il y en a un qui me paraît plus profond et plus pervers que tous les autres : le déficit institutionnel qui, hélas, ne préoccupe pas grand monde. Pourtant, nous aurions dû en faire notre cheval de bataille le lendemain des indépendances au plus tard sans attendre les considérations d’autrui, fût-il Tocqueville ou Obama.
De l’importance des institutions
Il va de soi que pour fonder une société, on commence par tracer le cadre juridique susceptible d’organiser les pouvoirs publics et de réguler la vie entre les individus. Au Mali, c’est ce qu’a fait Soundjata Keïta dans la plaine de Kouroukanfouga ; aux USA, la Convention de Philadelphie de 1787 et en France, l’Assemblée constituante de 1789. En Afrique, on s’est en général, contenté de copier hâtivement la puissance coloniale sans se soucier du contexte historique et culturel et surtout sans se prémunir des freins et des garde-fous indispensables. Cela a donné ces chiffons de papier, que dis-je, ces chemises de grossière cotonnade que nos guides bien-aimés se taillent à la mesure de leurs fantasmes, arborent ou brûlent selon le temps qu’il fait. Ce vide juridique sonne comme la béance de l’existence. Il nous nuit davantage que la lèpre, le scorbut et le sida.
En quête de Constitution
La Constitution est un acte sacré. Sacré, le mot est lâché ! La perte du sacré, le voilà, notre véritable drame ! Nous avons perdu le rite des Anciens, nous n’avons pas gagné le code moderne, celui logique et inviolable qui définit le droit de chacun et le devoir de tous. Résultat : un invivable entre-deux fait de désinvolture et d’improvisation dans lequel nos dirigeants peuvent à loisir manifester leur légèreté : légèreté d’âme, légèreté de pensée, légèreté de comportement. Une discipline de fer régissait la vie de nos chefs traditionnels allant parfois jusqu’à son aspect vestimentaire, alimentaire et sexuel. Quant aux dirigeants occidentaux, qu’ils s’appellent Trump ou Jupiter, ils ont une peur bleue des urnes, des robes noires et des gilets jaunes. Le dirigeant africain, lui, n’a peur de rien ni de personne. C’est le plus terrible de la planète. L’État, c’est lui ! Il a l’omnipotence de Louis XIV, la cruauté de Torquemada et parfois la démence de Néron et de Caligula. Le brouhaha électoral de ces dernières années ne saurait l’ébranler. Sous la tempête comme sous le vent du changement, il reste droit dans ses bottes. Les élections passent, lui, il reste.
* 1986 : Grand prix littéraire d’Afrique noire ex-aequo, pour Les Écailles du ciel ; 2008 : prix Renaudot pour Le Roi de Kahel ; 2012 : prix Erckmann-Chatrian et Grand prix du roman métis pour Le Terroriste noir ; 2013 : Grand prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour Le Terroriste noir ; 2017 : Grand prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre.
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