A quelques exceptions près, rarement sur le continent africain, les élections-surtout la présidentielle- se terminent par des coups de fil de félicitations entre les candidats pour saluer la victoire de l’un et reconnaître la défaite des autres à la sortie des urnes.
Le Sénégal et le Nigéria viennent de passer l’épreuve de l’élection présidentielle, après quelques appréhensions, le lot de contestations habituelles. Si hier, c’était le Mali et le Niger, dans quelques mois l’Algérie (qui commence à pressentir son lot de contestataires) et la Mauritanie, l’année prochaine, 2020, la Côte d’ivoire, la Guinée, le Burkina-Faso, le Togo vont devoir retenir leur souffle et prier pour le choix du patron de leurs palais présidentiels.
Comme pour la présidentielle de 2013, Raila Odinga va porter sa contestation des résultats du scrutin du 4 août devant la Cour suprême. Une annonce qui pourrait calmer ses militants déchaînés depuis l’annonce des résultats défavorables de la présidentielle du 4 août et éloigner un « bis repetita » des violences meurtrières de 2007. Et pourtant, si Odinga a choisi la voie légale pour sa contestation, d’autres opposants africains avant lui, ont choisi d’autres stratégies pour entretenir la flamme de la contestation :
L’auto-proclamation
La première correspondance officielle entre l’Elysée et le Palais du bord de mer où Emmanuel Macron a glissé un très polémique « Monsieur le Président » à Ali Bongo Ondimba, a dû doucher ses ambitions. Depuis sa contestation, après épuisement de tous les recours légaux, de la réélection en août 2016 de son ex-beau-frère, Jean Ping avait fini par se considérer comme « le président élu du Gabon ». Près d’un an plus tard, en dépit du soutien de la diaspora et le boycott d’Ali Bongo par Paris, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine n’est toujours pas sur le fauteuil du Palais que lui a ravi son ex-beau-frère. Retranché dans sa villa de Libreville, il indique préparer une riposte d’ampleur en surfant sur sa popularité.
La revendication par institutions interposées
Un pays deux présidents ! Au sortir du second tour de la présidentielle de 2010, la Côte d’Ivoire est au bord de l’éclatement. La Commission électorale indépendante (CEI) qui déclare élu Alassane Ouattara, s’oppose au Conseil constitutionnel, qui penche en faveur de Laurent Gbagbo. Le président sortant propose un recomptage des voix sous supervision internationale. Alassane Ouattara refuse et se réfugie dans un hôtel d’Abidjan. Ce qui lui vaudra le surnom ironique de « Président de l’Hôtel du Golf ».
La crise politique se transforme en un conflit entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara qui fera près de 3 250 morts en cinq mois. Elle aboutira à l’arrestation de Laurent Gbagbo et son extradition à la CPI. Depuis, Alassane Ouattara règne sur le Palais du Plateau. Ironie de l’Histoire, Jean Ping (président de la Commission l’Union africaine) et Raila Odinga (Premier ministre du Kenya) étaient médiateurs lors de la crise.
L’intronisation dans un pays étranger
Sans aller jusqu’au choc frontal, Adama Barrow a choisi une stratégie jamais expérimentée auparavant. Dans un feuilleton post-électoral ahurissant, Yahya Jammeh opère une volte-face après avoir concédé sa défaite et même félicité son adversaire au téléphone à la présidentielle du 1er décembre 2016. L’homme au boubou blanc tient le pays en haleine en annonçant un recours devant la Cour suprême, décrète l’état d’urgence et snobe même la CEDEAO qui le menace d’une intervention militaire.
Invité au sommet France-Afrique de Bamako, Adama Barrow, victorieux de la présidentielle avec le soutien de 7 partis d’opposition, grimpe dans l’avion présidentiel de Macky Sall et se réfugie au Sénégal voisin. De là, il se fait introniser dans l’enceinte exigüe de l’ambassade gambienne à Dakar avant de revenir en Gambie dans ses habits présidentiels après le départ en exil de Jammeh sous la contrainte.
La formation d’un gouvernement parallèle réfugié
En juin 2009, à la mort d’Omar Bongo à l’âge de 73 ans (dont 42 ans au pouvoir), le Gabon doit se choisir un nouveau président après la période intérimaire des 45 jours. Ali Bongo Ondimba, le fils biologique d’Omar Bongo s’oppose à André Mba Obame, le fils spirituel à la présidentielle d’août 2009. Officiellement à l’annonce des résultats d’une élection très contestée, la « guerre des fils » tourne à l’avantage du premier qui est proclamé vainqueur.
Mais André Mba Obame conteste les résultats des urnes. En janvier 2011, il prête unilatéralement serment sur la Constitution et se réfugie dans les locaux du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) à Libreville et commet même l’imprudence de former un gouvernement parallèle. Ironiquement baptisé « gouvernement de la République du PNUD », cette équipe ne siégera qu’un mois avant de sortir de son palais de substitution. L’opposant, menacé de la levée de son immunité et d’un procès pour « haute trahison », se fera discret après cette disgrâce avant d’entreprendre un exil médical au cours duquel il décédera à Yaoundé en 2015.
Si la vague d’essais démocratiques du début des années 90 a laissé entrevoir beaucoup d’espoir chez les peuples africains, force est de constater que les exemples probants d’alternance à la suite d’une élection libre et honnête demeurent rares (Bénin, Ghana, Botswana). Même s’il ne s’agit pas d’une exclusivité africaine, les élections dans le continent noir sont souvent contestées et débouchent sur des vagues de violences (Kenya, Congo-Brazzaville, Gabon, RDC, Togo, etc.). Comment expliquer un tel phénomène ?
Afin de répondre à cette question, l’approche de l’économie des choix publics (public choice) semble pertinente. Dans cette approche, on considère qu’il n’y a pas d’Etat qui cherche l’intérêt général, mais seulement des hommes d’Etat (politiques et bureaucrates) qui se préoccupent en premier lieu de leur propre intérêt (recherche du pouvoir). Toujours dans cette approche, le processus des élections est considéré comme un marché : les offreurs sont les hommes politiques et les demandeurs sont les électeurs. Contre les votes des seconds, les premiers échangent des promesses électorales dans des domaines spécifiques. Bien évidemment, pour que les résultats du scrutin soient admis par tous les participants, ces derniers doivent observer un certain nombre de règles relatives à la concurrence loyale, c’est-à-dire des règles qui garantissent le bon fonctionnement du marché politique. En conséquence, si les élections en Afrique sont souvent contestées, c’est parce que les règles du bon fonctionnement du marché politique manquent ou lorsqu’elles existent, elles ne sont pas respectées.
De quelles règles s’agit-il ?
Qui dit marché politique dit échange entre les électeurs et les candidats, un échange qui ne peut avoir lieu sans le respect du droit de vote des premiers et du droit d’éligibilité des seconds. Malheureusement, les listes électorales sont souvent tripatouillées et le découpage électoral manipulé. Ce qui donne lieu à des listes fantaisistes et à des situations «coquasses». A titre d’exemple, lors de la récente élection d’Ali Bongo, on a compté plus de 2 millions d’électeurs inscrits, alors que le pays ne compte qu’environ 1,4 million habitants. Par ailleurs, il a été relevé l’inscription sur les listes de personnes décédées et d’enfants. L’ingérence de l’appareil étatique, souvent au profit des candidats sortants, n’est pas autre chose qu’une violation du droit de vote des électeurs. Par conséquent, l’échange (l’élection) n’est plus bénéfique et la concurrence est faussée. Ce qui explique le sentiment d’injustice des électeurs africains et, par là-même, les mouvements de violences post-électorales.
Bien que les candidats soient de plus en plus nombreux à se présenter aux élections, notamment présidentielles, le candidat ne peut s’approprier totalement le fruit de son travail (campagne électorale) dans la mesure où son droit d’éligibilité est violé.
En effet, les listes électorales sont souvent gonflées dans les zones partisanes du candidat de l’appareil étatique et dégraissées dans les zones hostiles. Cela va sans compter les intimidations, les menaces qui émaillent les scrutins. Ainsi, lorsque l’on viole le droit de vote ou d’éligibilité de quelqu’un, la probabilité que celui-ci recoure à la violence augmente. Mais les violences post-électorales en Afrique sont-elles une fatalité ?
Apparemment, il n’y a pas de raison a priori qui ferait que les Africains soient violents par nature. Au fond, il s’agit d’un problème institutionnel dans la mesure où le règlement du contentieux dans les pays africains souffre du manque de règles et de mécanismes capables de trancher les litiges. Certes, les commissions électorales existent, mais la plupart du temps, elles se contentent de centraliser et d’annoncer les résultats, sans aller au fond des choses. Leur indépendance est très limitée dans la mesure où, en l’absence d’Etat de droit et de séparation des pouvoirs, et avec un manque de moyens, la justice est trop dépendante du pouvoir en place pour aller à l’encontre des favoris de l’appareil étatique. Dès lors, la faiblesse de l’Etat de droit et l’absence d’une justice indépendante expliquent la méfiance des électeurs africains et donc leurs contestations violentes des élections.
Lebanco