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31e AG d’Ecobank : les dirigeants sont satisfaits mais les actionnaires ne vont pas voir de sitôt le bout du tunnel

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(Ecofin Hebdo) – La 31ème Assemblée générale de la holding bancaire panafricaine Ecobank Transnational Incorporated, s’est achevée sur un gros satisfecit, du moins dans les déclarations, aussi bien en provenance du conseil d’administration que du staff des dirigeants.

« Ces dernières années, nous avons pris des mesures fortes pour consolider les bases d’Ecobank ; le conseil d’administration estime aujourd’hui que notre stratégie, et les mesures que nous avons prises jusqu’ici, vont favoriser une croissance durable à l’avenir avec un rendement des fonds propres supérieur au coût des fonds propres » a fait savoir Emmanuel Ikazoboh, le président du conseil d’administration du groupe.

Ecobank Transnational Incorporated Un satisfecit au terme de lassemble IdL

31e AG d’Ecobank : « Le plus important est le succès financier à long terme de la société.»

Pour sa part, le Directeur général, lui aussi nigérian, Ade Ayeyemi, a utilisé des expressions différentes, pour exprimer un état de satisfaction, en se projettant dans le futur. « Le plus important est le succès financier à long terme de la société. Nous continuerons donc de développer les plateformes technologiques qui nous permettent d’accéder à davantage de clients et de partenaires », a-t-il fait savoir.

« Nous voulons nous assurer de répondre aux besoins en capital de toutes nos filiales avant de pouvoir commencer à verser des dividendes »

Derrière ce satisfecit, il y a pourtant les raisons d’un malaise parmi les actionnaires et cela sur plusieurs points. Le premier est le fait que pour la quatrième fois en cinq ans, ils ne recevront pas de dividendes. M. Ikazoboh a essayé de trouver les mots justes pour expliquer la situation. « Nous vous assurons que, même si cette décision a été difficile à prendre, elle a été prise dans le meilleur intérêt de la société. Nous voulons nous assurer de répondre aux besoins en capital de toutes nos filiales avant de pouvoir commencer à verser des dividendes », va-t-il fait savoir.

Un retour à la rentabilité effective qui risque d’être plus long

Ce discours bien préparé, cache un ensemble de défis. Après être sorti d’une crise de gouvernance, le retour de la holding vers un cercle vertueux de rentabilité effective risque de demander plus de temps qu’on ne l’avait imaginé. Le groupe a en effet terminé l’année 2018 sur un bénéfice net part de 328,6 millions $, en hausse de 44% comparé à celui de l’année 2017 précédente. Mais cela représente davantage un résultat financier qu’une performance opérationnelle.

Déjà, on a noté une baisse continuelle des performances à l’exploitation. De 2,2 milliards $ en 2014, son chiffre d’affaires a continuellement baissé et était de seulement 1,8 milliard $ à la fin 2018, même si ce nouveau repli a toutefois été le plus faible depuis 2014. Les dirigeants sont satisfaits d’une amélioration du rendement moyen des fonds propres qui a atteint le niveau record depuis 2014, de 17,5%. Mais cette situation va de pair avec une baisse des fonds propres des actionnaires, plutôt que d’une hausse des marges. A la fin 2018, ils étaient de seulement 1,8 milliard $, en baisse comparé à celui de 2017.

Les dirigeants sont satisfaits d’une amélioration du rendement moyen des fonds propres qui a atteint le niveau record depuis 2014, de 17,5%. Mais cette situation va de pair avec une baisse des fonds propres des actionnaires, plutôt que d’une hausse des marges.

Par ailleurs des informations recoupées par l’Agence Ecofin montrent que « la réponse aux besoins en capital », évoquée par le président du conseil du groupe, cache des problèmes plus profonds, et qui devraient amener les dirigeants à faire de sérieux arbitrages, y compris, selon l’analyse de certains experts, envisager de sortir de certains marchés. La principale raison à cela, c’est que ETI ne génère pas du cash en lui-même. Comme toute holding, ses revenus dépendent fortement de la performance de ses filiales. Or ces dernières font désormais face, soit à des défis de fonds propres (Nigéria), soit des évolutions règlementaire (UEMOA et Ghana) soit des environnements qui deviennent très concurrentiels.

Une filiale nigériane devenue un serpent de mer

Plusieurs problèmes sont relevés dans la filiale nigériane. Déjà pendant longtemps, ETI a consolidé les résultats de cette dernière, en utilisant le taux de change officiel de la Banque centrale du Nigéria, qui lui était plus avantageux. Or cette pratique n’était pas recommandée par les grandes firmes d’audit. Elle a même été dénoncée par un lanceur d’alerte qui travaillait au sein de la banque. Le groupe a décidé de se rallier à la mouvance des autres grandes entreprises étrangères du Nigérian Stock Exchange. Il utilise depuis décembre 2018 comme taux de consolidation de ses activités nigérianes, celui du marché de change (NAFEX). Les impacts de ce changement sur sa performance, aussi bien en terme d’exploitation que de bilan, sont apparus sur ses performances de 2018, avec une érosion assez significative de ses fonds propres stricts (hors emprunts).

Ecobank Nigeria

Au Nigéria, la filiale est exposée à une concentration des risques sur un petit nombre d’emprunteurs.

L’autre gros problème que vit ETI au Nigéria est celui de son exposition au secteur de la distribution des produits pétroliers. Il n’est pas le seul, mais il ressort, qu’il concentrait quand même 21% de l’exposition du secteur bancaire nigérian, aux sociétés de distribution de produits pétroliers à la fin décembre 2018. Une provision de 28,9 millions $ a été réservée pour ce pan d’activités.

Mais la banque centrale du Nigéria, a indiqué, dans une mission de routine effectuée au troisième trimestre 2018, que le niveau de dépréciation des prêts accordés par Ecobank Nigéria, à deux entreprises pétrolière particulièrement, avait déjà atteint les 143,4 millions $. L’explication donnée est que la méthode de calcul prise par le régulateur n’était pas la même que celle de l’IFRS 9 qu’il utilise. Mais le groupe a admis qu’il devra s’ajuster aux règles de la banque centrale pour sa filiale au Nigéria. Il est déjà prévu une nouvelle injection de ressources dans les fonds propres de cette dernière. Rappelons qu’Ecobank Nigéria a déjà occasionné l’immobilisation de 200 millions $ obtenus d’un prêt des actionnaires, et qui a servi à régler un problème de créances douteuses dont l’origine n’est toujours pas expliquée officiellement.

Deux groupes opérant dans le secteur pétrolier aval, comptent pour 313,8 millions $ de prêts. La Banque centrale a déjà donné une dérogation qui court jusqu’en 2020 pour l’un de ces prêts, mais sur l’autre, aucune dérogation n’est accordée.

Enfin, toujours au Nigéria, la filiale locale est exposée à une concentration des risques sur un petit nombre d’emprunteurs. Deux groupes opérant dans le secteur pétrolier aval, comptent pour 313,8 millions $ de prêts. La Banque centrale a déjà donné une dérogation qui court jusqu’en 2020 pour l’un de ces prêts, mais sur l’autre, aucune dérogation n’est accordée, et rien n’indique que les discussions de restructuration en cours vont aboutir.

Des changements de régulation pourraient saper les opportunités des autres marchés

On a pu noter que, face au repli que connaissent les activités sur son principal marché qu’était le Nigéria, ETI compte désormais sur le bloc que constituent les huit filiales de l’UEMOA (Union Monétaire Ouest Africaine). Il est devenu plus rentable car il absorbe peu de fonds propres et offre jusqu’ici les plus grosses marges. Mais récemment, de nouvelles normes Bâle II/III entrées en vigueur le 1er janvier 2018 ont été adoptées par la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest). Cela impose des exigences minimales de fonds propres pour ses huit filiales, en plus de s’appliquer à lui-même, comme société holding basée à Lomé, au Togo. Cette mise en œuvre des normes Bâle II/III constitue un changement important, car les exigences de fonds propres minimum augmenteront progressivement jusqu’en janvier 2022 en cas de mise en œuvre dure par la banque centrale de l’UEMOA.

président CA

Emmanuel Ikazoboh : « Ces dernières années, nous avons pris des mesures fortes pour consolider les bases d’Ecobank.»

En réalité, le contenu de ce qu’on appelle désormais actifs pondérés par le risque, a évolué, et prend en compte même les obligations des entités publiques à un certain niveau. Pour ETI qui consolide ses performances en dollars américains, il faut en plus prévoir une réserve en devises pour mener à chaque fois les ajustements de fonds propres. Une analyse indépendante a estimé qu’il faudrait prévoir un niveau adéquat de fonds propres nécessaires, pour couvrir 3,7 milliards $ d’actifs pondérés par les risques, soit environ 500 millions $. L’effet de gain de performance obtenu sur ce marché, risque ainsi d’être absorbé par la volonté de se conformer aux exigence de la BCEAO, ce qui réduirait le part destinée à la rémunération des actionnaires.

L’effet de gain de performance obtenu sur ce marché, risque ainsi d’être absorbé par la volonté de se conformer aux exigence de la BCEAO, ce qui réduirait le part destinée à la rémunération des actionnaires.

Le Ghana est aussi un des marchés qui se porte bien. Pris pays par pays, il est le deuxième en terme de rentabilité comptable. Mais la banque centrale de ce pays a récemment imposé un relèvement du capital social minimum pour les banques, à laquelle a souscrit la filiale locale. Le problème, c’est que le prix à payer risque d’être le non-paiement de dividendes à la holding, pour absorber le choc de cette mise en conformité.

Une difficulté à faire croître les revenus qui se confirme encore au premier trimestre 2019

Certaines analyses font remarquer qu’il y a comme une difficulté à améliorer les performances d’exploitation. Par exemple, on note que sa marge nette d’intérêts était de 6,9% pour l’exercice, clos le 31 décembre 2016. Au 31 décembre 2017, elle est descendue à 6,5%, et à 5,8% pour l’exercice clos le 31 décembre 2018.

Il y a plusieurs raisons à cela. Déjà on note que la base des dépôts de sa clientèle a augmenté rapidement, à un moment où il a choisi de limiter ses prises de risque en terme de prêts. La conséquence en est que les charges d’intérêts ont progressé, tandis que les revenus d’intérêts, eux, sont en baisse. Aussi ETI, toujours dans le but de réduire son exposition à des créances douteuses, investit désormais sur des titres bien sécurisés, mais qui sont peu rentables.

« Cette contraction de la marge nette d’intérêt pourrait se poursuivre dans un proche avenir ce qui réduirait la rentabilité du portefeuille de prêts du groupe et ne pourrait être facilement compensé par une augmentation des revenus de frais et commissions », peut-on lire dans la note d’information qui a été remise aux investisseurs de son récent emprunt international de 450 millions $.

Les résultats financiers du premier trimestre 2019 viennent confirmer cette vision des choses. Les revenus nets d’intérêt de 172,3 millions $ au 31 mars 2019, se sont affichés en net recul de 31%, comparés à ceux de la même période en 2018 (248 millions $).

Les résultats financiers du premier trimestre 2019 viennent confirmer cette vision des choses. Les revenus nets d’intérêt de 172,3 millions $ au 31 mars 2019, se sont affichés en net recul de 31%, comparés à ceux de la même période en 2018 (248 millions $). Dans le même temps, les revenus de frais et commissions plutôt que d’augmenter, ont même légèrement baissé (-0,5%).

Un grand besoin de rassurer les investisseurs

Enfin, on notera deux actualités du groupe qui ont été peu commentées. La première est la démission de Dan Matjila, le directeur général et représentant du Public Investment Corporation, le fonds de gestion des retraites de la fonction publique sud-africaine qui est l’un des actionnaires de poids du groupe Ecobank. Aucune raison n’a été donnée à ce départ. La seconde est le départ du directeur financier du groupe, Greg Davis qui, selon la formule consacrée, « veut passer plus de temps avec sa famille ».

Group CEO Ade Ayeyemi

Il faudra trouver des mots justes pour faire patienter les investisseurs.

Ecobank s’est engagé dans un vaste processus de restructuration, avec une prise en compte plus importante de la digitalisation. Il prévoit aussi de poursuivre avec la sous-traitance de certains services, notamment les services de collecte de dépôts et de retrait de cash grâce à des points de ventes.

Ecobank s’est engagé dans un vaste processus de restructuration, avec une prise en compte plus importante de la digitalisation. Il prévoit aussi de poursuivre avec la sous-traitance de certains services.

Il est enfin prévu de renforcer le segment banque d’investissement. L’arrivée d’un nouvel administrateur représentant Qatar National Bank, Aasim Qureshi, un expert de cette branche d’activité, ne semble pas anodine.

Il faudra donc trouver des mots justes pour faire patienter les investisseurs, notamment les plus petits. Avec un risque sur les dividendes sur des marchés comme le Ghana ou le Nigéria, et la nécessité de mobiliser davantage de fonds propres pour d’autres marchés, le retour des dividendes généreux pour les actionnaires ne risque pas d’être pour demain.

La valeur des actions du groupe affiche un repli 23,5% sur le Nigeria Stock Exchange depuis le début de l’année 2019. C’est le plus gros recul des groupes bancaires africains cotés.