Jadis pionnier de la téléphonie mobile, le milliardaire se veut aujourd’hui le chantre de la bonne gouvernance. De son Soudan natal à l’Algérie ou à la RD Congo, Mo Ibrahim sait qu’il a encore du pain sur la planche.
Cela fait plus d’un demi-siècle que Mohamed Ibrahim a quitté sa Nubie natale, mais il se plaît encore à citer les adages de ces confins du nord du Soudan. « Chez moi, il y a un très vieux proverbe qui dit que les linceuls n’ont pas de poche. Tu nais nu, tu mourras nu. Une chose est sûre : je n’emmènerai pas ma Mastercard dans la tombe ! »
« Mo » Ibrahim n’est pas un riche comme les autres. Forbes a estimé sa fortune à 1,1 milliard de dollars (près de 980 millions d’euros) mais c’est sans cravate et sans chichis qu’il reçoit dans le très chic quartier de Marylebone, en plein centre de Londres, où se trouvent les bureaux de sa fondation. Cet ingénieur en électronique a bâti sa fortune en créant les premiers réseaux de téléphonie mobile, en Europe puis en Afrique, alors que rares étaient ceux prêts à prendre de tels risques sur le continent. En 2006, un peu malgré lui, il vend son entreprise, Celtel, pour 3,4 milliards de dollars. « L’offre ne se refusait pas », racontera-t-il. Plusieurs de ses employés, actionnaires, deviennent millionnaires.
Bonne gouvernance
Mo Ibrahim commence alors sa seconde vie. Le voilà chantre de la bonne gouvernance en Afrique. Il crée une fondation, un index qui évalue les pays selon leur gouvernance et un prix devenu fameux : doté de 5 millions de dollars, il distingue les anciens dirigeants les plus vertueux du continent. Mais les candidats pouvant y prétendre sont peu nombreux et, en douze ans, la récompense n’a pu être décernée qu’à cinq reprises. À Joaquim Chissano (Mozambique), Festus Mogae (Botswana), Pedro Pires (Cap-Vert), Hifikepunye Pohamba (Namibie) et Ellen Johnson Sirleaf (Liberia).
D’Aliko Dangote, le roi du ciment nigérian, à l’ancien Premier ministre tanzanien, Salim Ahmed Salim, en passant par le Rwandais Donald Kaberuka, cet ami des puissants est aujourd’hui un de leurs plus féroces juges. Il parle démocratie avec Paul Kagame et troisième mandat avec Alassane Ouattara. D’un air débonnaire, sourire candide aux lèvres, il dénonce et pourfend avec un franc-parler étonnant. Ces derniers mois, il a suivi de près la chute d’Omar el-Béchir dans son pays – « Wonderful ! » s’enthousiasme-t-il. S’il n’imagine pas faire de politique, Mo Ibrahim, 73 ans, écarte néanmoins l’idée d’un départ en retraite. « Je ne vais tout de même pas passer mon temps à boire du champagne et à déguster du caviar dans mon jardin… Cela n’a aucun sens ! »
Jeune Afrique : Ces derniers mois, le continent a connu plusieurs changements de régime, notamment en RD Congo. L’élection du 30 décembre suscitait beaucoup d’inquiétudes, mais Joseph Kabila ne s’est finalement pas présenté et son candidat, Emmanuel Ramazani Shadary, ne l’a pas emporté. C’est une bonne chose ?
Mo Ibrahim : Cette élection est une honte. Le vrai vainqueur, Martin Fayulu, a été écarté. Joseph Kabila a choisi « son » président en la personne de Félix Tshisekedi et il continue de contrôler bon nombre de leviers du pouvoir, notamment le Sénat. Très peu de voix ont critiqué ce scrutin. Les pays de la SADC [la Communauté de développement de l’Afrique australe], en particulier, ont couvert ces arrangements. C’est préoccupant.
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