Souleymane est un jeune guinéen qui sait qu’il n’a pas d’avenir dans son pays. Et pour cause, il n’a pas étudié pour espérer trouver un emploi. Il n’a appris aucun métier lui permettant de gagner sa vie. Il n’a pas non plus un fonds de roulement pour faire le commerce. Bref, Souleymane n’avait que deux choix : faire comme son père en cultivant la terre ou prendre la route pour une aventure incertaine. Il opte pour la deuxième solution.
Souleymane quitte donc sa Guinée natale pour la Côte d’Ivoire. Dès qu’il traverse la frontière guinéo-ivoirienne, il trouve une nette différence entre les deux pays. Que ce soit les agents de sécurité postés le long de la route, que ce soit les bâtiments qui leur servent de bureau, ou les véhicules qui circulent et même les routes sur lesquelles ces véhicules circulent, rien n’est comparable avec la Guinée de Souleymane.
A son arrivée à Man Souleymane remarque une autre différence notable entre la Côte d’Ivoire et son pays. Dans sa région d’origine Souleymane n’avait jamais vu un journal papier. A la gare routière de la première ville ivoirienne, il y a partout des endroits où on vend du papier. Du simple papier. Quand Souleymane se renseigne on lui dit que ce sont des journaux. Il fait une autre découverte, au lieu d’acheter à manger, ici les gens achètent ces papiers qu’ils lisent.
A la gare routière de Man, Souleymane emprunt un bus pour Abidjan. Dans ce bus, il y a des fauteuils comme ceux que Souleymane avait vus chez un patron de son village. Il fait aussi froid dans ce bus. Un de ses compatriotes, qui n’était pas à son premier voyage, lui explique que le bus est climatisé. Une autre surprise, il y a des rideaux tout autour que les passagers tirent pour regarder un film dans un écran perché devant eux.
Pour Souleymane le rêve commençait à se réaliser. Il avait retardé de quitter son village pour faire ces découvertes. Bien évidemment dans ce bus, il fallait donner l’impression d’être un habitué. Pas question de montrer le moindre signe d’étonnement aux passagers qui pourraient s’en moquer. Bien au contraire, il fallait même leur montrer qu’il est comme eux voire plus qu’eux.
C’est ainsi que Souleymane achète un stylo brillant comme de l’or qui accroche à sa poche comme une médaille d’honneur. Il ne s’arrête pas là. Au passage d’une petite ville, lorsqu’il voit les autres acheter des journaux, il appelle le vendeur et achète un journal. C’était sans savoir que ce journal devait être son enfer dans ce bus qui était jusqu’ici un paradis pour lui.
En effet, Souleymane est un analphabète au sens pur du terme. Confortablement assis dans son fauteuil, il ouvre son journal et offre un spectacle dans le bus. Obligeant les passagers à demander au chauffer d’éteindre le poste téléviseur pour regarder uniquement le jeune guinéen.
Et pour cause, Souleymane ouvre son journal à l’envers. Il le soulève au niveau de ses yeux et fait semblant de lire en murmurant de façon audible. Celui qui était assis juste à ses côtés est plutôt surpris par cette façon inédite de lire. Il fait un signe de la main à un autre passager qui voit la scène. Tous les passagers abandonnent tout pour suivre ce spectacle. Un homme qui lit un journal à l’envers.
Excédé par ce spectacle que son compatriote offrait dans ce bus, l’autre jeune guinéen se lève et arrache violemment le journal entre les mains du fameux lecteur. Non sans lui dire de la façon la plus amère ce qu’il venait de faire. Alors, notre passager, Souleymane, assis dans ce bus climatisé se rend compte de ce qu’il venait de faire. Pendant ce temps tous les passagers éclatent de dire en chœur. Souleymane pour sa part transpirait de chaleur.
Dans ce bus climatisé il avait plus chaud que sous soleil de plomb au mois de mars.
Habib yembering
