La politique est une chose trop sérieuse pour être confiée aux politiciens », nous prévenait Charles de Gaulle. Cette déclaration d’une autre époque colle parfaitement avec le sort de la Guinée depuis son indépendance. Entrée dans l’histoire de façon singulière, avec le référendum de septembre 1958, le pays de Sékou Touré ne cesse d’évoluer dans la tourmente du fait de l’amateurisme de ses dirigeants. Aujourd’hui, plus qu’hier, le sentier reste énorme tant sur le plan de l’économie que sur le plan de la construction d’un véritable Etat de droit. On ne doit pas rester insensible à l’appel au secours de ce pays frère.
Échec, désillusion, goût d’inachevé ! Voilà entre autres les mots qui résument, dans toute leur négation, la situation de la Guinée postindépendance. Du combattant Sékou Touré au versatile Alpha Condé, rien n’a changé de ce beau pays si ce n’est des dirigeants qui se succèdent. On assiste certes à un changement de rôles où les persécuteurs d’hier deviennent les persécutés d’aujourd’hui mais le peuple reste toujours sur sa fin quant à l’avènement des promesses qu’on lui a faites. Autant en emporte le vent ! La Guinée, une
République bananière malgré une culture du refus de son peuple
Il n’y a pas à tiquer que la définition de la République ou l’Etat de droit ne correspond pas à la Guinée d’aujourd’hui encore moins à celle des premières années d’indépendance. Les piliers fondamentaux dont l’entente sociale qui a longtemps existé dans ce pays sont de plus en plus malmenés par ceux au pouvoir. Non seulement la situation économique est cahoteuse, moribonde, mais aussi les lois sont de plus en plus violées par une clique qui s’accapare du pouvoir et s’y accroche sans grand art. Les manifestations violentes qui perturbent la quiétude de ce beau voisin ne sont que le fruit d’une frustration longtemps contenue et qui explose à la figure de l’actuel Chef de l’Etat qui pensait avoir réussi à anesthésier son peuple.
Pourtant la tradition du peuple guinéen est celle d’un peuple qui sait refuser, récuser et résister face à l’oppression et à la domination. En août 1958, lors de la visite du général De Gaulle en terre guinéenne, Sékou Touré avait prononcé une phrase qui allait marquer l’esprit des Guinéens pour toujours : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage ». Cette déclaration courageuse et ferme n’a pas seulement provoqué le courroux du président du Conseil français d’alors ; il a surtout précipité la libération de la Guinée sous tutelle de la France. Cette brèche de l’indépendance de la République de Guinée a eu le mérite de profiter, deux ans plus tard, aux autres pays africains qui avaient choisi la Communauté.
Des présidences à vie
Ce courage et cette détermination des pères fondateurs lors de la lutte pour l’indépendance contrastent foncièrement avec ce qui fait l’étoffe des dirigeants guinéens depuis Sékou Touré. Ils ont hérité de la France une colonie mais n’en ont pas fait mieux qu’une terre de conflits. Ils ont hérité de la France une presque-République et en ont fait un Etat de non-droit. Les derniers venus ont reçu un pays relativement structuré mais le rendront aux générations futures défiguré. Depuis plus d’une soixante d’années, la Guinée tangue et se cherche une voie hors des magouilles et duperies de ses leaders.
Avec la série de déceptions, de désenchantements émanant des régimes postcoloniaux, on ne peut que tomber d’accord avec Ayi Kwei Armah que : « The Beautiful Ones Are Not Yet Born ». Non, l’âge d’or pour des dirigeants mus par l’intérêt général n’est pas pour demain. Non, l’âge d’or pour un pays de liberté et de démocratie n’est pas pour demain. Non et non, l’âge d’or pour une République où le jeu électoral est transparent et démocratique n’est pas pour demain. En Guinée, de Sékou Touré à Alpha Condé, rien n’a semblé changé : le peuple est resté beau et les dirigeants vilains.
Sékou Touré, la grosse désillusion
Si l’on doit beaucoup au président Sékou Touré et ses pairs pour l’indépendance qu’ils sont allés arracher de la France au moment où le Sénégal, par exemple, avait préféré se faire remorquer, il faut dire sans ambages aussi que son règne présente un bilan insatisfaisant. Sékou Touré était applaudi de toute l’Afrique avec la nationalisation des entreprises étrangères et l’appel à une main d’œuvre africaine pour bâtir un pays dont la politique est désormais basée sur le marxisme. Même si cette rupture d’avec la France lui a valu une guerre économique sans merci, Sékou Touré s’en est sorti adulé et admiré par nombre d’Africains.
Sur le chapitre des droits de l’homme notamment, la Guinée de Sékou Touré est d’un visage loin d’être reluisant. Des violations des droits de l’homme sont notées, des emprisonnements d’opposants à tout-va et parfois des exécutions innombrables. Durant son règne, des organismes de droits de l’homme considèrent que pas moins de 50 000 personnes ont été tuées sous le régime de Touré. La boulimie du pouvoir le poussera à rester à la tête de ce pays jusqu’à sa mort en 1984.
Lansana Conté, la continuité d’un système antidémocratique
La répression et le système de terreur instaurés par Sékou Touré sera fidèlement reproduit par son successeur. Comme Sékou Touré, Lansana Conté instaurera aussi un régime dictatorial avec une violation des droits de l’homme et une restriction des libertés constamment dénoncées. Comme Sékou Touré aussi, il s’accrochera au pouvoir jusqu’à sa mort en 2008. Pendant ses 24 ans de règne, le général Conté faisait constamment face à des manifestations et révoltes que sa police aimait réprimer dans le sang. Et parmi ses prisonniers politiques, on compte un certain Alpha Condé, emprisonné pendant 20 mois après le scrutin de 1998.
Les quelques pas posés pour l’envol économique sont de ce fait effacés par les atteintes aux droits individuels d’un peuple qui a besoin autant de pain que de liberté. Conté fait emprisonner ses plus redoutables opposants afin d’asseoir son autorité et préserver son fauteuil. Les élections de 1998 et 2003 n’ont pas été très transparentes à cause des subterfuges usés par le pouvoir pour venir à bout des opposants : prolongation du mandat présidentiel et quête illégale d’un 3ème mandat. D’ailleurs les tentatives ratées de coup d’Etat subis par le président Conté en disent long sur le ras-le-bol de son peuple, toutes couches confondues.
Dadis Camara : un amateur au pouvoir
Le problème de la Guinée n’est pas conjoncturel ; il est structurel et il reste ses leaders. Les échecs des premiers au pouvoir n’ont pas servi de leçons à ceux qui les ont succédés. Non seulement le pays a subi plusieurs coups de force, mais aussi ceux qui les ont orchestrés ont eu peu de génie pour le mettre sur la voie de l’émergence dont ils vont le dévier à jamais.
La courte parenthèse du règne de Moussa Dadis Camara est symptomatique du mal profond qui s’est emparé de ce beau pays-frère. Arrivé au pouvoir le 23 décembre 2008, à la mort de Lansana Conté, Moussa Dadis Camara fera montre d’un amateurisme aberrant émanant de son impréparation à l’exercice du pouvoir. En moins d’un an de règne, ce chef du Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD) va conduire le pays vers l’une des pires bêtises jamais vécues. Une tuerie de masse, plus qu’une simple répression, sera ainsi notée le 28 septembre 2009 lors d’une manifestation contre la junte. L’armée tire à balles réelles et tue pas moins de 157 morts en occasionnant des milliers de blessés.
Ce massacre va précipiter la chute du régime quelques mois plus tard avec un nouvel attentat contre un président guinéen. Dadis Camara subit une attaque de son aide de camp Toumba Diakité qui le rate de peu. Cette tentative d’assassinat contre le président guinéen, le 3 décembre 2009, aura un fort impact puisqu’il favorisera la descente de la junte militaire au profit d’un régime démocratiquement élu.
Alpha Condé : autres temps, mêmes mœurs
Démocratiquement élu, Alpha Condé est en effet le président guinéen le mieux choisi. Son accession au pouvoir en 2010 n’est pas le fruit d’un coup d’Etat comme ce fut le cas avec les régimes qui l’ont précédé ou du coup du sort comme ce fut le cas de Sékou Touré. Condé, sans être le favori de ce scrutin, a pu le remporter au second tour à la surprise générale. Même si son adversaire, à qui le premier tour avait largement profité avec 43,69% n’avait que ses yeux pour constater le renversement inattendu de la situation.
Après les élections de 1993 et 1998, Condé va finalement remporter celle de 2010. Son arrivée au pouvoir suscite donc beaucoup d’espoir et à juste titre. Opposant, Alpha Condé fut emprisonné à maintes reprises de façon injuste et abusive. Il fut arrêté en 1998 pour rébellion et emprisonné pendant presque deux ans ; et en 2000, il écope de 5 ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Ses nombreuses incarcérations devraient normalement permettre à l’homme de redresser son pays en évitant de verser dans l’abus et la « démon-cratie ». Quel gâchis, aura-t-on envie de lancer.
A l’œuvre on a fini par connaître l’artisan qu’est le président Alpha Condé. Comme nombre de ses pairs, le magnanime et longanime opposant deviendra l’exact contraire de ce qu’il montrait et prônait. Même si des efforts sont consentis sur le plan économique, la situation reste globalement insatisfaisante. En 2012 déjà, la Banque mondiale annonçait que 55,2% de la population vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Depuis lors, aucune avancée significative ne peut être notée.
Là où le président Condé a le plus déçu, ce n’est pas sur le sentier économique mais plutôt la question relative à la promotion de l’Etat de droit et à la préservation de la démocratie. Après les épreuves qu’il a subies en tant qu’opposant, l’actuel président n’avait pas le droit de répéter les mêmes erreurs que ses prédécesseurs. Or, depuis quelques semaines, son pays est à feu et à sang. Une situation dont il est le plus grand comptable du fait de son désir qu’il ne cache plus : le 3ème mandat. Comme son voisin du Sénégal, le président Wade en 2012, Condé fait face à des manifestations qu’ils considèrent comme « une brise » (boutade de Wade avant le 23 juin 2011).
Son jeu si flou enveloppé dans une ferme volonté de modifier la constitution afin d’obtenir un troisième bail de son peuple, a favorisé l’éclatement de la colère des protestations. Depuis le début du mois de novembre 2019, on dénombre plus d’une dizaine de morts et des centaines d’arrestations. Aucune initiative allant dans le sens d’apaiser les cœurs et de restaurer la cohésion sociale n’est prise par les tenants du pouvoir qui n’ont d’yeux que le troisième mandat. A tout prix ! Au prix de leurs vies, peut-être ! Au prix e la vie de leur beau et innocent peuple, certainement !
Pour ce beau peuple, personne n’a le droit de rester insensible à ses vociférations. Il mérite plus que ce que leur offre le sort depuis 1958. Ce beau peuple de la Guinée manque de beaucoup alors qu’il a tout. Le paradoxe est que ce pays qui s’est libéré des jonctions coloniales est toujours maintenu dans des goulots d’étranglement, même après l’indépendance.
Senenews