Le contact humain se fait de plus en plus rare, et le tactile devient le domaine réservé des écrans. Pourtant, le toucher a des vertus insoupçonnées.
Entrez dans une boulangerie, vous récupérerez votre monnaie dans une machine à sous. Passez au supermarché, vous serez tenté de biper vos articles. Consultez un médecin, n’attendez plus qu’il vous serre la main – « La dernière fois, il m’a tendu son épaule ! », regrette une ex-enrhumée. Question d’hygiène, de sécurité, ou marque de bienséance ? Confrontés, entre autres crises, à celle du toucher affectif, nos plus menus frôlements périclitent.
Le contact humain serait devenu un « produit de luxe », selon Nellie Bowles, journaliste américaine spécialiste des nouvelles technologies au New York Times. Et ce qu’on touche, tâte, balaye le plus, ce sont des écrans lisses et froids. Le 23 mars, elle rappelait par ailleurs dans son journal qu’une box d’intelligence artificielle type Alexa coûte moins cher qu’une aide à domicile.
La bise nationale en voie de décroissance
Pour parer à ce problème et réinjecter du « toucher social » dans nos téléphones, Marc Teyssier, étudiant à ParisTech, leur a confectionné une seconde peau : Skin-On, dotée d’un derme couleur chair creusé de petites rides et de quatre cents capteurs au millimètre carré. Vous pourrez la commander par tripotage, pincement ou caresse. « Ce projet vise plus à faire réfléchir qu’à être commercialisé, relativise le jeune chercheur. Je refuse que mon invention accentue notre carence en toucher, déjà bien marquée… »
Il n’a pas tort. Si les émojis en forme de bouches en cul-de-poule bécotent généreusement les réseaux sociaux à coups d’air-kisses (« baisers mimés »), notre bise nationale a bel et bien entamé sa décroissance. Elle se fait plus rare au bureau. « Je trouve ça désagréable, ça me gêne », plaidait, il y a deux ans, Anne Picard-Wolff, maire de Morette (Isère), commune de 400 âmes, dans un mail adressé aux 73 élus qu’elle n’embrasserait plus.
Un certain hygiénisme social a été réactivé au début des années 1990 engendrant une peur panique d’être touché, appelée l’haptophobie. » Bernard Andrieu, philosophe
Quelques mois plus tôt, le billet viral « Mille milliards de mille bises » de la blogueuse « Romy Têtue » proposait d’instaurer au travail un « salut à la japonaise, à l’indienne, le check, le “give me five”, le sourire radieux… ou tout simplement la bonne vieille poignée de main ». Un serrage de main ? C’est encore trop pour cette équipe de recherche médicale de la West Virginia University qui recommandait, en 2013, de se saluer en se touchant les poings : trois fois moins de surface de peau exposée et trois fois moins long. « Un certain hygiénisme social a été réactivé au début des années 1990 [les « années sida »] engendrant une peur panique d’être touché, appelée l’haptophobie, comme si la maladie dérivait de notre mauvaise conduite tactile », analyse le philosophe Bernard Andrieu, coauteur d’Enseigner le corps (EP & S, 2017).
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