Plusieurs policiers ont frappé un homme se rendant dans une mosquée de la commune de Ratoma le 14 janvier 2020. Capture d’écran de la vidéo.
En Guinée, un policier frappe un homme âgé sur le chemin de la mosquée : « Il m’a dit que ce n’était pas l’heure de prier »
Une vidéo amateur tournée à Conakry, en Guinée, le 14 janvier, jour de manifestations contre le troisième mandat du président Alpha Condé, montre un policier arrêter et gifler un vieil homme portant une djellaba. La rédaction des Observateurs de France 24 a pu retrouver cet homme, très en colère après son arrestation, selon lui, injustifiée.
La scène s’est déroulée dans le quartier Kobaya, dans la commune de Ratoma, située dans le nord de la capitale Conakry. Le 14 janvier, sur les axes principaux de ce quartier, des manifestants ont érigé des barricades pour protester contre le projet de nouvelle Constitution qui permettrait à Alpha Condé, président actuel de la Guinée, de se représenter pour un troisième mandat.
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« Le policier voulait que je lui donne mon téléphone, mais j’ai refusé »
Il est 13h15 quand Elhadj Abdourahmane Diallo, 62 ans, sort de chez lui dans une ruelle du quartier pour se rendre à la mosquée lors de l’appel du muezzin. Il est alors interpellé par deux policiers en ronde, faisant partie de la brigade de la compagnie mobile d’intervention.
Contacté par notre rédaction, il nous a raconté ce qu’il s’est passé :
Ils m’ont demandé ce que je faisais dans la rue, et je leur ai répondu que je me rendais à la mosquée pour prier. Puis très rapidement, il m’a demandé de lui donner mon téléphone. J’ai refusé, en lui disant que j’en avais besoin pour être en contact avec ma famille et pour travailler. Il m’a alors accusé de vendre de la drogue aux jeunes du quartier, puis m’a alors interpellé. J’ai protesté en disant que je n’avais rien fait, et c’est là qu’il m’a giflé. Je lui ai dit qu’il pouvait me tuer, mais qu’il n’aurait pas mon téléphone.
Ils m’ont emmené à la station de police où je suis resté environ une heure. Ce sont des membres de ma mosquée qui sont venus me chercher et qui ont payé une rançon pour que je sois libéré. Je ne sais pas combien ils ont dû payer [selon Guinée Matin, qui a aussi pu interviewer l’homme, les fidèles auraient payé 3 millions de francs guinéens, soit 287 euros, pour la libération de Elhadj Abdourahmane Diallo].
« J’ai beaucoup voyagé en Afrique, mais c’est la première fois que des policiers se comportent ainsi avec moi »
Les policiers m’ont insulté, et ont insulté ma communauté en disant que « ce n’était pas l’heure de prier ». Mais ils n’ont fait aucune référence directe aux manifestations qu’il y avait dans les rues non loin de là. Aucun membre de ma famille ne manifeste, donc à part pour me voler mes affaires personnelles, je ne vois aucune autre raison de m’arrêter.
Je suis guinéen et j’ai beaucoup voyagé dans de nombreux pays en Afrique, comme le Libéria, le Sénégal ou le Mali. Mais c’est la première fois que je suis traité de la sorte par un policier. C’est un manque de respect. J’espère que ces actes ne resteront pas impunis et qu’il y aura des sanctions : les policiers doivent apporter la paix dans le pays et assurer la sécurité, pas se comporter comme ça.
« Une image désolante pour la police guinéenne » selon son directeur général
Le directeur national de la police Ansoumane Camara a annoncé dans une circulaire le 15 janvier l’ouverture d’une enquête spéciale après avoir constaté le « comportement désobligeant de certains agents chargés de l’application de la loi « suite à plusieurs vidéos d’abus des forces de l’ordre. Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24 sur le cas précis d’Elhadj Abdourahmane Diallo, il précise :
J’ai vu cette vidéo : ce comportement n’est pas digne d’un agent de police. Avant les manifestations, nous avions donné des consignes claires : même s’il s’agit d’un criminel, à partir du moment où il est maitrisé, il n’y a aucune raison de lui porter des coups.
C’est une image désolante pour la police guinéenne. Nous menons des enquêtes pour vérifier l’identité de ces policiers et vérifier qu’ils sont de véritables policiers. Qui qu’ils soient, ce sont des ennemis de la République. Si ce Monsieur est prêt à se rapprocher de nous pour transmettre des informations sur l’identité de ses agresseurs, je suis prêt à rétablir son honneur.
L’arrestation d’Elhadj Abdourahmane Diallo n’est pas un cas isolé : des médias locaux guinéens ont rapporté des arrestations et de cas de maltraitance similaires, notamment de chefs religieux, dans le quartier de Ratoma. L’ONG Human Rights Watch a dénoncé la répression croissante des libertés de réunion et d’expression en 2019.
France24