La transition politique qui s’est clôturée en 2010 par l’élection du Président Alpha Condé en Guinée a permis une passation douloureuse du pouvoir d’un régime militaire qui s’était éternisé durant 24 années au pouvoir vers un régime civile. Cette transition vers un régime civile avait soulevé des espoirs qui se sont cependant très vite estompés au fil de crises sociales et politiques caractérisées par des marches politiques intempestives, des répressions meurtrières du nouveau régime, et des accords politiques bancales. Ainsi, au bout de 10 ans de gouvernance, le bilan sociopolitique du Président Alpha Condé est devenu très lourd : plus de 200 morts lors de répressions policières et militaires ; l’impunité la plus totale pour les auteurs de violences policières et militaires ; des grèves répétitives dans le secteur de l’éducation au point où l’école guinéenne est en totale faillite ; et, d’après le Rapport 2019 de l’organisation Transparency International, la Guinée est encore aujourd’hui le pays le plus corrompu de la sous-région avec le Libéria et le Nigéria.
Ce tableau sociopolitique déjà très sombre est désormais plombé par une nouvelle tension sociale et politique très aigue. Sur le plan social une nouvelle grève des enseignants qui paralyse à nouveau le système éducatif du pays est en cours. Et sur le plan politique, non seulement le Président Alpha Condé veut des élections législatives exclusives organisées par une commission électorale amputée de la moitié de ses membres (boycottée par l’opposition) à partir d’un fichier électoral flagramment corrompu ; mais de plus, une large coalition de la société civile (FNDC) résiste à l’intention du Président Alpha Condé de modifier la constitution de mai 2010 dans l’unique dessein de s’agripper au pouvoir. Dans ce contexte, autant le dialogue entre le pouvoir et l’opposition est rompu, autant la confiance entre le pouvoir et la société guinéenne dans son ensemble est totalement rompu. Nous assistons à l’arrestation de syndicalistes, d’acteurs de la société civile, et de proches de chefs traditionnels opposés au projets de 3ème mandat; de même, nous assistons à l’agression de chefs religieux et traditionnels dans l’intention de diviser les communautés ethniques ; finalement, la répression policière et militaire à balles réelles envers les opposants politiques se poursuit : chaque jour il faut compter un, deux ou trois morts dans l’impunité la plus totale. Cette situation n’ira que de mal en pire car le Président Alpha Condé n’a aucune intention de se résoudre à des élections propres et inclusives, et à renoncer a son projet de 3ème mandat.
Dans ce contexte, après avoir épuisé tous les recours constitutionnels (marches pacifiques et grèves), tous les recours légaux (boycotte de la CENI et recours à la Cour constitutionnelle), et tous les recours diplomatiques (émissaires de l’ONU, partenaires diplomatiques de la Guinée, et les missions de la CEDEAO) ; étant donné que le Président Alpha Condé continue sa fuite en avant au prix d’une totale déstabilisation de la Guinée dans une sous-région qui ne peut pas se le permettre ; alors il est désormais légitime, et même un devoir citoyen et de la communauté internationale, d’évoquer l’impérieuse nécessité d’ouverture d’une période de transition en Guinée. L’ouverture d’une période de transition en Guinée est nécessaire, non seulement pour rétablir la confiance entre les acteurs et envers le processus électoral, mais aussi et surtout, pour poser les jalons d’un État véritablement démocratique et d’institutions suffisamment fortes pour ne plus jamais permettre les abus qui ont conduit à la situation actuelle.
FEUILLE DE ROUTE POUR UNE TRANSITION SALUTAIRE
À l’image de la feuille de route issue des Concertations nationales de mars 2006 en Guinée, en ces moments de très grande détresse, le plus haut sens de responsabilité de chacun des acteurs des forces vives de la nation est aujourd’hui convié pour la définition des modalités de conduite de l’éventuelle transition qui s’annonce en Guinée. Cette période de transition doit se caractériser par son pragmatisme, et elle doit surtout intégrer les leçons des déboires de la transition de 2008. De ce fait, cette période de transition doit avoir des organes de gestion, un mandat et une durée.
A) Les organes de gestion de la transition : trois principaux organes seront mis en place pour conduire la transition :
Un Gouvernement d’Union Nationale : qui sera composé d’acteurs issus de toutes les Forces vives de la nation (Partis Politiques, Société Civile et Forces Armées) dont la moralité ne souffre d’aucune entorse et qui n’ont jamais été impliqué dans des affaires de corruption. Ce Gouvernement d’Union Nationale sera présidé par une personnalité consensuelle ;
Un Conseil National de la République : faisant fonction de Parlement et composé de Représentant des Partis Politiques, de la Société Civile et des Forces armées dont la moralité ne souffre d’aucune entorse et qui n’ont jamais été impliqué dans des affaires de corruption ; et
Une nouvelle Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) : composée de techniciens professionnels non politiques et chargée d’organiser et gérer l’ensemble du processus électoral (en amont et en aval jusqu’à la proclamation des résultats provisoires).
Les membres du Gouvernement d’Union National et des organes de la transition ne pourront en aucun cas être candidat à l’élection présidentielle mettant fin à la période de transition.
B) Le mandat du Gouvernement d’Union Nationale : ce gouvernement aura 5 principales missions :
La restructuration de l’Administration publique de manière à dépolitiser la fonction publique, y compris les forces armées, la police et la gendarmerie nationale ;
L’adoption d’un projet de Loi Anti-corruption et l’implantation de mécanismes systématiques de lutte contre la corruption à toutes les échelles de la vie publique et économique ;
L’organisation dans la transparence la plus totale, avec l’aide d’experts internationaux et locaux, d’un recensement général et exhaustif de la population guinéenne à l’issue duquel la C.E.N.I élabora le fichier électoral ;
La révision de la Constitution à faire adopter par Référendum. Ce processus de révision constitutionnelle doit non seulement impliquer le Conseil National de la République faisant office de Parlement transitoire, mais aussi, il doit être participatif pour recueillir les avis de toutes les composantes de la nation. Cette révision constitutionnelle doit notamment permettre de :
Consacrer l’indépendance organisationnelle et fonctionnelle de la Banque centrale ;
Introduire un organe Anti-corruption effectivement indépendant ;
Consacrer le principe de partage de pouvoir par l’élection des gouverneurs de région, et la validation de la nomination des hauts cadres de l’État par les 2/3 de l’Assemblée nationale (les Hauts magistrats de la Cour Suprême et de la Cour constitutionnelle, les Chefs d’Etat-major particuliers et général des armées, le Gouverneur de la Banque centrale, le Directeur de l’organe Anti-corruption, et le Directeur de la C.E.N.I) ; et
Consacrer le bicéphalisme gouvernementale de telle sorte que le Premier ministre, tout en étant responsable devant le Président de la République, soit obligatoirement issu du Parti majoritaire au Parlement.
L’organisation de l’élection présidentielle qui mettra fin à la période de transition.
C) La durée de la transition : La durée de la transition ne saurait dépasser 24 mois. Suite à l’adoption de la nouvelle Constitution par Référendum, tous les hauts cadres cités précédemment (les Hauts magistrats de la Cour Suprême et de la Cour constitutionnelle, les Chefs d’Etat-major particuliers et général des armées, le Gouverneur de la Banque centrale, le Directeur de l’organe Anti-corruption, et le Directeur de la C.E.N.I) doivent être initialement nommé de manière consensuelle par les instances de la transition avant le début de la campagne présidentielle qui mettra fin à la période de transition. De même, les principales instances de la nouvelle Constitution doivent être meublé avant les élections présidentielles qui mettront fin à la période de transition. Le nouveau Président de la République devra obligatoirement gouverner selon les termes de la nouvelle Constitution et ne pourra destituer et nommer les hauts cadres cités plus-haut que selon les termes de la nouvelle Constitution.
CONCLUSION
Le Président Alpha Condé ne veut pas se résoudre aux principes les plus élémentaires de la démocratie, à savoir des élections propres et l’alternance au pouvoir. Nous assistons à des scènes inacceptables et de plus en plus insupportables en Guinée. Alpha Condé intensifie la répression et continu à exacerber les divisions ethniques. L’instabilité s’est déjà installée et la fragile paix est au bord de l’implosion en Guinée. Le bilan sociopolitique du Président Alpha Condé est devenu trop lourd. Après avoir épuisé de tous recours constitutionnels, légaux et diplomatiques pour convaincre le Président Alpha Condé de renoncer à ce projet explosif pour la Guinée et la sous-région, ce Mémorandum pour l’ouverture d’une période de Transition à vocation à faire converger toutes les forces sociopolitiques de la Guinée vers un objectif commun : « débarrasser la Guinée du régime actuel et poser les jalons d’un État véritablement démocratique et d’institutions suffisamment fortes pour ne plus jamais permettre les abus qui ont conduit à la situation actuelle ». La feuille de route incluse dans ce Mémorendum est non seulement inspirée de celle des Concertations nationales de Mars 2006, mais de plus, elle est amendée des leçons tirées des déboires de la transition de 2008. Cette feuille de route à vocation à être amendée par toutes les forces sociopolitiques en Guinée qui partage cet objectif commun. La seule manière de traduire cette crise sociopolitique en Guinée en une opportunité de changement positif est d’unir nos forces derrière cet objectif commun. De ce fait, ce Mémorendum sera largement partagé par les canaux appropriés aux instances concernées. Par la suite, un plan d’action concerté sera défini pour œuvrer dans le seul but, non seulement de précipiter l’avènement de cette période de transition salutaire en Guinée, mais surtout, de veiller au strict respect de la feuille de route pour la conduite de cette éventuelle transition. Cette mission n’est évidemment pas une tâche facile et ne saurait être pris à la légère. Mais pour avoir lutté corps et âme ces dix dernières années sans jamais renoncer à cet idéal, et pour voir aujourd’hui des mouvements sociopolitiques lutter courageusement pour le même idéal, alors la conviction d’une victoire à porté de main est acquise. Joignons nos efforts !
Mamadou Oury Diallo
Président de la LDRG