Edito. Après la fin de la crise actuelle, l’un des défis auxquels la Guinée sera confronté est inévitablement le renouvellement de la classe politique. C’est en cela que la remise en cause de la constitution écrite avec le sang des martyrs de la démocratie est une aubaine. Cette remise en cause est une occasion pour faire le tri entre ceux qui ont choisi la Patrie et ceux qui privilégient leurs intérêts personnels. Les promoteurs du très controversé projet de nouvelle constitution sont de cette deuxième catégorie. Ils sont majoritairement des militants de la 25ème heure dont le seul objectif est de se remplir les poches.
Dans une démocratie, l’opinion de chaque citoyen doit être respectée. Il y a cependant des choix difficilement défendables. Même si certains se défendent en privé, arguant que ce n’est pas la conviction qui remplit le panier de la ménagère. Il y a dix ans, la Guinée avait choisi des représentants de toutes ses couches sociales pour sauver le pays confronté aux pires difficultés de son histoire.
Les 159 membres du CNT avaient mis en place des commissions chargées de travailler sur différents sujets d’intérêt national. Parmi ces commissions, il y avait celle de la rédaction d’une nouvelle constitution. Le document fut à la hauteur des défis et des attentes. Dix ans après, quelques individus, dont on ignore les noms à cause sans doute du caractère peu défendable de leur initiative, se retrouvent en catimini pour rédiger une autre constitution taillée sur mesure.
La volonté de changer la constitution de 2010 n’a d’autres objectifs que de permettre à l’actuel chef de l’Etat de se maintenir au pouvoir au terme de son deuxième et dernier mandat. Cette volonté aura eu le mérite de permettre aux Guinéens de faire le tri entre ceux qui défendent la Patrie et ceux qui protègent leur poche. Le Guinéen est capable de s’adapter à toutes les situations par son opportunisme à retourner la veste.
Mais rien ne sera comme avant. Pour la première fois une liste dite d’ennemis de la République a été établie. Les promoteurs du troisième mandat sont connus. Demain personne ne dira qu’il a été forcé pour souiller la mémoire de ceux qui ont fait don de soi pour la démocratie.
Il est superflu de revenir ici sur la liste de tous ces promoteurs du 3ème mandat établie par le FNDC. Au moment venu, les Guinéens auront besoin de cette liste pour que ces hommes-caméléons servent de leçon à d’autres. Dans cette histoire de troisième mandat, l’attitude de trois hommes a surpris et déçu plus d’un. A cause notamment du rôle qu’ils ont joué dans l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit en Guinée.
Le premier est M. Aboubacar Sylla. Cet homme a été l’un des pionniers de la liberté de la presse en Guinée. Fondateur du puissant groupe de presse l’Indépendant-le Démocrate, monsieur Sylla a indéniablement joué un rôle des plus positifs dans la lutte contre la pensée unique et la liberté d’expression et d’opinion. Quand la Guinée écrira l’histoire de son évolution politique et démocratique, ce groupe de presse figurera en lettres d’or.
A cela s’ajoute le rôle joué par M. Sylla au sein de l’opposition ces dernières années. A la tête d’un petit parti politique, il a néanmoins joué un grand rôle. En tant que porte-parole de l’opposition, il était la pièce maitresse de cette opposition. De la rédaction de tous les textes de revendication, à la rencontre des partenaires au développement en passant par la transmission du message de l’opposition par médias interposés, cet intellectuel a incontestablement marqué son passage au sein de l’opposition guinéenne.
Que ce promoteur de la presse indépendante et farouche opposant au régime devienne ministre, ce n’est pas une première, ni en Guinée ni ailleurs. Qu’il fasse la promotion d’une constitution taillée sur mesure, cela est par contre incompréhensible.
Le deuxième homme qui nous intéresse ici est, lui aussi, fondateur et promoteur de la presse privée en Guinée. Il s’agit du ministre de l’Industrie, Tibou Camara. Il est vrai que cet autre intellectuel ne s’affiche pas dans la promotion d’une nouvelle constitution comme son homologue des Transports. Mais le fait qu’il soit le candidat du parti au pouvoir pour la circonscription de Dinguiraye dans une élection dont les résultats sont d’avance connus de tous pose véritablement problème.
Le fondateur du journal l’Observateur, réputé être un modéré du gouvernement, qui est capable de faire fléchir à la fois son gouvernement mais aussi l’opposition, peut désormais difficilement jouer le rôle de médiateur. Jusqu’ici proche du principal opposant au régime, il a dû subir des pressions des caciques pour lesquels l’heure du choix a sonné. Il fallait, pour les ministres soupçonnés de jouer double jeu, faire le choix : soutenir le parti ou rejoindre l’opposition.
Monsieur Camara a fait le premier choix. On peut observer désormais son effigie géante avec les couleurs du RPG comme candidat de ce parti. Ceux qui attendaient qu’il emboite le pas à Gassama Diaby ont eu pour leur compte. Tibou a fini par capituler. Désormais il n’est pas un ministre technocrate comme beaucoup d’autres mais un militant du RPG. Lui aussi aura du mal à se remettre demain quand son parti connaitra le même sort que le PDG et le PUP.
Aboubacar Sylla et Tibou Camara ont en commun d’avoir été respectivement administrateur général de l’Indépendant et de l’Observateur. Or ce n’est un secret pour personne qu’Internet a fait de la presse écrite ce que le smartphone a fait du photographe du quartier. Les journaux doivent s’adapter ou disparaitre. Les annonceurs ne se bousculent pas à la porte. Les ventes ne font pas l’affaire du patron. Du coup, il faut trouver une autre source de revenu. Il n’existe pas mieux que d’être membre du gouvernement.
Enfin, le troisième homme qui aura déçu est le ministre de la Jeunesse Moucutar Diallo. Moins expérimenté que les deux premiers, le jeune Mouctar a dû sa consécration à son courage et sa virulence contre le régime. L’homme a acquis ses lettres de noblesse dans l’axe contre lequel il retourne l’arme aujourd’hui. Depuis le début de la contestation politique, Mouctar Diallo s’est fait remarquer. Mais contrairement à beaucoup d’autres jeunes, la contestation ne l’empêchera pas d’étudier.
Le jeune ne veut pas jouer les seconds rôles. Avec quelques amis, il crée les Nouvelles forces démocratiques, NFD. Ayant participé à tous les combats politiques de ces dernières années, comme les vieux opposants, il est présent au stade du 28 septembre 2009. C’est donc tout naturellement que dans la composition du gouvernement de transition que ce jeune figure sur la liste des membres.
Après cette consécration, il est élu député à l’Assemblée nationale sur la liste de l’UFDG. Mais ce parti se rend compte que la plupart de ceux qui lui font allégeance ne sont que des profiteurs. Il décide de faire « l’UFDG first ». Le principal parti de l’opposition refuse de présenter Mouctar comme candidat à la Mairie de Ratoma. Il sait qu’il pourrait difficilement se faire élire en tant que candidat NFD. Or, quand on est habitué à mener le train de vie d’un ministre ou d’un député, la conviction ne fait pas le poids face à l’angoisse de se retrouver sans ressources. Telle une femme qui tombe dans les mains d’un nouvel amant sans avoir divorcé avec le mari, notre député UFDG signe un mariage de raison avec le RPG. Tout comme Aboubacar Sylla et Tibou Camara, ses éloges pour le pouvoir aujourd’hui est à la dimension de sa virulence contre ce même pouvoir hier.
Habib Yembering