C’est une grande épine qui tombe dans la marre des promoteurs de la nouvelle constitution en Guinée. A l’orée du référendum constitutionnel programmé le 1er mars prochain, un groupe d’expert en droit travaillant pour un cabinet de juristes a publié un rapport d’audit du projet de nouvelle constitution et celle de 2010.
Dans cette étude, dont les résultats sont ci-dessous, ces hommes de droits ont décelé plusieurs anomalies, qui remettent en cause la crédibilité de cette loi fondamentale. Selon Me Alpha Yaya Dramé, le but de cette analyse était de faire une étude comparative entre la constitution de 2010 et celle présentée le 13 décembre 2019. C’était également l’occasion d’examiner pour savoir si ce projet apporte de nouveauté comme l’ont dit les promoteurs. « Mais après ce travail, on s’est endu compte qu’il y a d’énormes insuffisances dans cette nouvelle loi fondamentale », explique-t-il
Pour en savoir plus nous vous proposons ci-dessous les résultats de ce rapport d’audit
§. (2). – RÉSULTAT DE L’AUDIT
Pour mener à bien cette étude, le projet de constitution est examiné par corps de règles, c’est-à-dire, titre par titre, article par article. I. Concernant les droits et principes consacrés dans le préambule de la Constitution en vigueur
1.- En premier lieu, sur les textes internationaux, régionaux et sous régionaux visés par le Préambule de la Constitution en vigueur, le projet de constitution n’apporte aucun changement substantiel.
Au contraire, certaines formulations du projet de constitution traduisent une nette régression des implications normatives de ces instruments, qui consacrent pour la plupart des droits fondamentaux. Par exemple, le projet de constitution utilise le terme « Attachement aux droits fondamentaux de la personne humaine », en lieu et place de la notion « d’adhésion » employée par le constituant de 2010.
1.1.- Le terme « adhésion » présente une portée normative bien plus adaptée aux prescriptions de valeur constitutionnelle que celui « d’attachement » qui n’a, sur le plan juridique, aucune portée normative apparente.« L’adhésion » s’analyse comme un acte juridique par lequel un sujet de droit – dans les cas d’espèce « l’État » – manifeste sa volonté, par détermination du constituant originaire, de se soumettre à une règle de droit précise.
En droit international par exemple, par son adhésion volontaire, un État s’engage vis-à-vis d’autres États parties à un traité. Il manifeste son consentement à être lié par ce traité, déjà négocié et signé par lesdits États6.
Par son adhésion, les règles et principes concernés deviennent opposables « de jure » à l’État concerné. En matière constitutionnelle, le principe est le même. « L’adhésion » constitue un acte juridique contraignant opposable à l’État. Par son adhésion formellement exprimée dans le préambule de la Constitution, le pouvoir constituant intègre dans le corpus Constitutionnel les droits et principes consacrés par ces instruments internationaux. Ce qui n’était alors, que des règles consacrées par un simple traité à l’origine – au regard duquel l’État peut se retirer – dévient, par l’adhésion formelle du constituant originaire, des normes Constitutionnelles à part entière7.1.2.- Quant à la notion « d’Attachement » utilisée dans le projet de constitution, elle ne contient, en substance, aucune portée normative opposable. En matière de légistique8, le terme « attachement » n’a qu’une valeur simplement déclarative, avec une connotation morale ou psychologique.
Son postulat se réduit au fait de s’attacher à quelqu’un, à quelque chose ou à une valeur.
Par conséquent, l’utilisation du terme « attachement » en lieu et place la notion « d’adhésion » prévue par la Constitution en vigueur révèle un affaiblissement de la protection juridique des droits fondamentaux. Le projet de constitution trahit, de ce point de vue, une volonté de réduire le standard de protection normative des droits fondamentaux consacrés, notamment, par « la DUDH », « le PIDCP » et « la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples ».
Dans l’ordre constitutionnel en vigueur, les droits consacrés par ces instruments internationaux sont inscrits dans le marbre de la Constitution.
Dans le contexte du droit en vigueur, le retrait éventuel de la Guinée des instruments internationaux n’aurait aucune incidence sur l’opposabilité des droits fondamentaux consacrés par « la DUDH », « le PIDCP » et « la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples ».
1.3.- En définitive, on peut considérer, que la formulation adoptée dans le projet de constitution constitue une régression en matière de protection des droits fondamentaux.
De ce fait, si la réforme constitutionnelle envisagée est adoptée en l’état, cela affaiblirait la protection des droits de l’homme en Guinée. 2.- En second lieu, pour lutter contre la corruption et le détournement des deniers publics, le constituant de 2010 a tiré les leçons de l’histoire de la Guinée9, en constitutionnalisant « l’imprescriptibilité des crimes économiques ».
Le Préambule de la Constitution de 2010 précise clairement que « la corruption et les crimes économiques sont imprescriptibles ». En application de ce principe, il est interdit au législateur d’adopter une loi pénale permettant aux personnes suspectées de détournement de biens publics ou de corruption d’échapper aux poursuites pénales par l’effet du temps. La mise en cause de la responsabilité pénale de ces personnes est illimitée dans le temps. Il s’en infère, que même après leur mort, l’État peut poursuivre indéfiniment les biens publics détournés, notamment dans le patrimoine des bénéficiaires de la succession (les héritiers).
Curieusement, le projet de constitution a supprimé cette règle prompte à la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics.
Sous l’empire du projet de constitution, ceux qui se rendraient coupables de crimes économiques ne pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires que sous réserve de prescription.
La suppression de l’imprescriptibilité des crimes présente trois conséquences juridiques majeures :
Premièrement : la corruption et le détournement des deniers publics perdent leur statut « d’infraction criminelle » avec les conséquences pénales, tant au regard de la procédure (poursuite et jugement), que des peines encourues. Deuxièmement : la majorité législative n’est plus liée par la qualification juridique retenue initialement par la Constitution
Troisièmement : le projet de constitution constitutionnalise l’impunité et désacralise le principe de bonne gouvernance des biens de l’État.
II. De la souveraineté de l’État aucun changement notable. III. Sur le titre relatif à la protection des droits et libertés fondamentaux À l’exception de la suppression des dispositions selon lesquelles seuls les candidats présentés par un parti politique peuvent participer aux élections nationales, le projet de constitution ne contient aucun nouveau droit fondamental par rapport à la Constitution en vigueur. Le projet de constitution se réfère à « l’abolition de la peine de mort » (art. 6 Avant-projet) et à la « parité homme femme » (art. 9 du projet de constitution). Mais en réalité, le projet n’apporte aucune évolution substantielle par rapport à l’ordre constitutionnel existant (A). Au contraire, on peut constater une régression notable des droits garantis par la Constitution en vigueur. Le projet de constitution supprime plusieurs types de droits fondamentaux garantis par le constituant de 2010 (B).A. La référence à « l’abolition de la peine de mort » et à la « parité homme femme ».A.1.- L’abolition de la peine de mort
L’article 6 du projet de constitution dispose que « La peine de mort est abolie ».
Cette disposition qui peut être vue comme une consécration d’un droit nouveau n’en est un, en réalité. En premier lieu, le droit à la vie est déjà consacré par l’article 6 de la Constitution de 2010 qui dispose que : « L’être humain a droit au libre développement de sa personnalité. Il a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Nul ne peut être l’objet de tortures, de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants ».En deuxième lieu, le même droit est consacré par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la République de Guinée est partie. L’interdiction de la peine de mort fait déjà partie de l’ordonnancement juridique guinéen en application des dispositions combinées des articles 4 « Charte africaine des droits de l’homme » 10, 3 de la « DUDH » de 194811 et 6, §.1, al. 1 et 2 du « PIDCP » de 196612.En troisième lieu, le législateur guinéen a supprimé du Nouveau Code pénal les dispositions relatives à la peine de mort depuis 2016. En application du principe universel de la légalité des délits et des peines (article 9 Constitution de 2010), aucun juge ne peut infliger la peine de mort à un accusé. Ainsi, l’article 6 du projet de constitution, c’est au mieux une précision dont l’absence n’altère en rien la substance du droit au respect de la vie consacrée par la Constitution de 2010 et les conventions internationales ratifiées par la Guinée, au pire, c’est une mention superfétatoire. La suppression de la peine dans le Nouveau Code pénal n’est que la conséquence des articles 513 et 614 de la Constitution de 2010, mais aussi des instruments internationaux auxquels la Guinée est partie.
En conclusion, le projet de constitution n’apporte aucun changement substantiel par rapport à la Constitution en vigueur.
A.2.- La parité homme / femme L’article 9 al. 3 du projet de constitution précise : « La République affirme que la parité homme/femme est un objectif politique et social. Le Gouvernement et les Assemblées des organes délibérant ne peuvent être composés d’un même genre à plus des deux tiers des membres ».
Cette disposition traduit de nombreuses contradictions : 1.- En premier lieu, elle pose le principe de la parité, en consacrant, par la même occasion, les conditions de sa violation. Les 2/3 d’une somme ne constituent pas une parité. Prenons l’exemple de la composition actuelle de l’Assemblée national : 114 membres.
2/3 de 114 = 76 membres, en d’autres termes, l’article 9 al. 3 du projet de constitution impose, en lieu et place, d’une parité effective, une discrimination acceptable, jusqu’à la limite des 2/3.
2.- En deuxième lieu, il est déconseillé, en légistique, d’imposer une parité mathématique par le biais d’une disposition de rang constitutionnel. La démographie est par nature évolutive, en faveur de l’un ou de l’autre sexe. Par ailleurs, la présence majoritaire ou minoritaire d’un genre donné dans une assemblée dépend beaucoup des efforts fournis par l’État en matière de formation des citoyens deux sexes.
Tout déséquilibre dans les efforts fournis pour la promotion de la formation aura immanquablement des implications sur le rapport de l’offre de service entre les deux sexes. C’est pour cette raison, qu’il doit être laissé au législateur le pouvoir d’ajustement sous réserve de respecter le principe d’égalité.
3.- En troisième lieu, le principe d’égalité et son pendant, « l’interdiction de la discrimination fondée sur le genre » est garantie par la Constitution de 2010 et les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la Guinée est partie. Selon l’article 8 de la Constitution de 2010 : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les Hommes et les femmes ont les mêmes droits. Nul ne doit être désavantagé ou privilégié en raison de son sexe, de sa naissance, de sa race, de son ethnie, de sa langue, de ses croyances et de ses opinions politiques, philosophiques ou religieuses. ». Cette formulation correspond exactement au standard normatif admis dans les sociétés civilisées. Il appartient donc au Gouvernement en exercice de donner à ce principe sa pleine effectivité, en adoptant des politiques proactives en faveur de la lutte contre les discriminations fondées sur le genre. Ce qui manque à la Guinée, sur ce point, c’est bien plus d’action politique opérationnelle, que des règles efficaces. La Guinée a ratifié plusieurs conventions internationales imposant l’égalité. Il en est ainsi de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979 et du Traité révisé de la CEDEAO du 24 juillet 1993 et son protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance15.
La surdétermination des règles interdisant la discrimination ou imposant formellement l’égalité n’apporte rien de plus. L’effectivité de la lutte contre la discrimination doit se matérialiser par des actes concrets.
En conclusion, c’est une bonne chose de vouloir atteindre l’objectif de la parité entre hommes et femmes, mais une disposition de rang inférieur aurait pu valablement y pourvoir.A.3.- L’interdiction du mariage forcé (art. 23 du projet de constitution), cette interdiction est une mesure très appréciable. Elle pose une interdiction qui mérite d’être saluée dans son principe. Toutefois, il est important de rappeler qu’indépendamment de la pratique, l’interdiction du mariage forcé est consacrée implicitement dans le droit positif guinéen16. En effet, le mariage étant un acte de volonté entre deux personnes consentantes, cette interdiction n’est que la conséquence directe de la notion de consentement. Aussi, la Guinée est partie dans plusieurs traités et conventions internationaux relatifs à la prohibition des mariages forcés.
B. Le projet de constitution supprime plusieurs droits fondamentaux garantis par le constituant de 2010
B.1.- L’obligation de scolarité et la gratuité de l’école jusqu’à 16 ans (art.24 du projet de Constitution)
Le projet de constitution limite la gratuité de l’école jusqu’à 16 ans pour les enfants17 des deux sexes (Art. 24 du projet de constitution).
A contrario, la Constitution en vigueur n’apporte aucune condition d’âge pour la gratuité de l’école. L’État assure « l’enseignement de la jeunesse qui est obligatoire », précise l’article 23 al. 8 de la Constitution de 2010.Cette obligation de l’État est purement et simplement supprimée dans le projet de constitution18.
15 Rappelant les droits […] sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes » p.2. « L’Etat et toutes ses institutions sont nationaux. En conséquence, aucune de leurs décisions et actions ne doivent avoir pour fondement ou pour but une discrimination ethnique, religieuse, raciale ou régionale », p.6.16 Voir code civil guinéen.
17 Selon l’article 1er de la convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989, est considéré comme enfant « […] tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plutôt en vertu de la législation qui lui est applicable. En conséquence de la réforme envisagée, l’État sera libre de privatiser les Lycées et les Universités, la gratuité de l’enseignement n’étant plus obligatoire, que jusqu’à 16 ans.B.2.- La réduction du niveau de protection des droits et libertés fondamentaux, contrairement à la Constitution de 201019, le projet de constitution a supprimé :- le caractère imprescriptible des droits et libertés fondamentaux20 ;- le caractère imprescriptible du droit qu’ont les citoyens de s’adresser au juge pour faire valoir leurs droits face à l’État et ses préposés21 ;- Le droit de résistance à l’oppression pour le peuple22. Cette suppression, si elle est adoptée, réduira immanquablement le standard de protection des droits fondamentaux. La prescriptibilité des faits de violation des droits de l’homme entraîne un contexte d’impunité légale du fait de l’extinction du droit de poursuite après un certain délai. Si on part du principe que la consécration des droits de l’homme vise à protéger les citoyens des abus des agents de l’État, la suppression de l’imprescriptibilité organise un mécanisme d’impunité .IV.
Le pouvoir exécutif, tout comme dans la Constitution en vigueur, le pouvoir exécutif est incarné, dans le projet de constitution, par le Président de la République, le Premier ministre et le gouvernement. Il s’agit d’un système bicéphale. A. Le Président de la République, concernant les dispositions relatives au Président de la République, les changements substantiels apportés par le projet de constitution par rapport à la Constitution en vigueur sont les suivants : Mandat de 6 ans renouvelable une fois : possibilité pour un ancien Président ayant fait 2 mandats de briguer un autre mandat (art. 40 du projet de constitution) ; Suppression de l’obligation faite au Président de République de cesser toute responsabilité au sein d’un parti politique. (Art. 38. al. 2 Constitution de 2010), détermination par voie réglementaire (projet de constitution) et non par loi organique (Constitution en vigueur) des emplois civils et militaires sur lesquels le président a un pouvoir de nomination ;
La suppression de la condition d’âge de 35 ans (Constitution en vigueur) pour se présenter aux élections présidentielles ; Le délai accordé à la Cour constitutionnelle pour statuer dans le cadre des contestations électorales pour les présidentielles, passe de 3 (Const. en vigueur) à 5 jours (projet de constitution) ;
Le passage de ¼ (Constitution en vigueur) à ¾ des députés (projet de constitution) pour la saisine de la Cour constitutionnelle dans le cadre de la constatation de la vacance du pouvoir. L’entrée en fonction du Président élu 15 jours après la proclamation définitive des résultats (projet de constitution) au lieu de l’expiration du mandat de son prédécesseur (Constitution en vigueur). Les anciens Présidents de la République prennent rang protocolaire après le Président en exercice. Observations : La suppression de l’obligation faite au Président de République de cesser toute responsabilité au sein d’un parti politique porte atteinte au principe de neutralité qui s’impose à la fonction présidentielle.
L’exercice, par le Président de la République, d’une responsabilité dans un parti politique n’est pas compatible avec sa mission de garant de l’unité nationale, du fonctionnement régulier des institutions et, plus généralement, du respect des dispositions de la Constituions.
Par ailleurs, l’égalité entre les partis politiques s’en trouverait complètement galvaudée. Cette brèche ouverte par le projet de constitution risque de soumettre le fonctionnement des institutions républicaines à la domination d’un parti politique qui n’est qu’organisation privée.
Si cette réforme devait être adoptée, l’État cesserait d’être « un service public » pour devenir une organisation militante au profit du parti politique au pouvoir. B. Le Premier Ministre et le Gouvernement Le projet de constitution porte atteinte à l’équilibre des pouvoirs instauré, par la Constitution en vigueur, entre le Premier Ministre et le Président de la République .Le régime bicéphale prévu dans le projet de constitution ne confère que très peu de pouvoir au Premier Ministre. Les attributions de contrôle, de direction, de coordination et d’impulsion du gouvernement n’ont subi aucun changement (art. 52 al. 2 Constitution de 2010/ art. 59 du projet de constitution).
De même, le Premier Ministre dispose d’un pouvoir réglementaire autonome, excepté les décrets pris en conseil des Ministres (art. 52 al. 2 Constitution de 2010/ art. 561 du projet de constitution).
En revanche, le projet de constitution a supprimé le pouvoir dévolu au Premier Ministre concernant la nomination des emplois civils prévu à l’article 58 de la Constitution en vigueur.
Par ailleurs, l’article 63 du projet de constitution se borne à indiquer que « la déclaration de politique générale du Premier Ministre devant l’Assemblée nationale est suivie d’un débat avec vote. ». Curieusement, il n’apporte aucune précision concernant l’hypothèse d’un vote défavorable de l’Assemblée Nationale. Par exemple : Est-ce que le Gouvernement doit démissionner ? Est-ce que le vote défavorable est sans incidence ?
C. Le pouvoir législatif, les prérogatives de l’Assemblée Nationale restent identiques. Les seules modifications apportées par le projet de constitution par rapport à la Constitution en vigueur concernent :
L’âge minimum pour être député qui passe de 25 (Constitution en vigueur) à 18 ans (projet de constitution) ;
La consécration des candidatures indépendantes pour l’élection des députés,
Une session ordinaire unique : du 5 octobre au 4 juillet au lieu de deux sessions ordinaires prévues par la Constitution en vigueur ;
La suppression de la possibilité pour l’Assemblée nationale de requérir la suspension de la détention ou de la poursuite d’un député ;
Seule une loi organique peut autoriser une délégation de vote en lieu et place du Règlement intérieur prévu par la Constitution en vigueur.
V. La question de l’équilibre des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, à bien des égards, le projet de constitution porte atteinte à l’équilibre des pouvoirs existant sous l’empire de la Constitution en vigueur.
A. Sur l’initiative de la loi sous l’empire de la Constitution en vigueur, l’initiative de la loi appartient, concurremment, aux députés et au Président de la République (article 84).En revanche, sous l’empire du projet de constitution, l’article 92 prévoit l’initiative de la loi appartient, concurremment, aux députés et au Gouvernement. Le Président de la République ne dispose pas de pouvoir d’initiative directe.
Par ailleurs, le projet de constitution prévoit un mécanisme d’initiative populaire. Malheureusement, la mise en œuvre de ce mécanisme est difficile à mettre en œuvre pour ne pas dire impossible du fait du nombre de signatures exigées pour proposer une loi d’initiative populaire (150.000 signatures) au regard du contexte guinéen. B. Les lois de finance Le projet de loi de finances est déposé par le Gouvernement (projet de constitution) et non plus, par le Président de la République (Constitution en vigueur).C. L’entrée en vigueur de la loi non promulguée dans les délais fixés par la loi, l’examen du projet de constitution démontre une régression notable de la force attachée aux actes législatifs. L’adoption de la loi n’a plus la garantie d’être promulguée, dans l’hypothèse d’un désaccord avec l’exécutif. Sous l’empire de la Constitution de 2010, la loi adoptée entre en vigueur, automatiquement, dans l’hypothèse où elle n’est pas promulguée par le Président de la République. (Art. 81 Constitution 2010)
En revanche, en l’absence de promulgation dans les délais, l’entrée en vigueur, en cas de résistance du Président de la République, est subordonnée à la saisine de la Cour constitutionnelle, par le Président de l’Assemblée Nationale. Or, il est peu probable que le Président l’Assemblée Nationale (issue de la majorité présidentielle) aille à l’encontre de la volonté du Président de la République. Dans ces conditions, l’application effective des lois votées par le législateur n’est plus garantie, surtout si elles sont d’initiative parlementaire. L’équilibre des pouvoirs est dès lors rompu. D. La responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationaleD.1.- Le régime de responsabilité du Gouvernement : un mécanisme biaisé
Si l’article 98, alinéa 2 du projet de constitution dispose que « l’Assemblée Nationale peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement par une motion de censure », l’alinéa 3 du même article précise que :
Seul un vote émis par l’Assemblée nationale à la majorité des ¾ des membres peut entraîner la démission du Gouvernement.
Trois procédures de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sont définies par l’article 98 de la Constitution : l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale (article 98, alinéa premier) couramment dénommée « question de confiance » ; le dépôt d’une motion de censure à l’initiative des députés (article 98, alinéa 2) ; l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte (article 98, alinéa 3).Observation : Les rédacteurs du projet de constitution ont copié, quasiment à l’identique, l’article 49 de la Constitution française, à l’exception de la majorité nécessaire à l’adoption de la motion de censure. Au regard du nombre de députés à l’Assemblée Nationale (114 membres), la majorité des ¾ des membres prévus à l’article 98, alinéa 3 du projet de constitution pose une situation juridique incompréhensible.
144 X 3
——————————— = 85,50 membres de l’AN
Or, il n’est pas possible d’avoir un demi-député à l’Assemblée Nationale, la moitié d’une personne ne pouvant exister. Le projet de constitution ne précise pas, s’il faut prendre en compte la borne inférieure (85 membres) ou la borne supérieure (86 membres). À ceci s’ajoute, la difficulté de parvenir à une majorité aussi importante (¾ des membres).
Même l’article 49 de la Constitution française de 1958, qui est la source d’inspiration des rédacteurs du projet de constitution, évoque « la majorité des membres composant l’Assemblée », c’est-à-dire, la majorité absolue23. D.2.- Le projet de constitution instaure un mécanisme d’adoption de la loi sans vote préalable du législateur L’article 98, alinéa 4 permet au Gouvernement de faire passer un texte de loi qu’il présente, sans vote, sous couvert du rejet de la motion de censure que l’opposition se doit de déposer pour la forme, avec peu d’espoir de réussite. Ce mécanisme est considéré, à l’unanimité de la doctrine, comme étant antidémocratique. Alors qu’en France, on envisage la suppression de ce mécanisme considéré comme antidémocratique24, en Guinée, on prévoit de l’adopter sans aucune réflexion préalable. D.3.- Le mécanisme de dissolution du parlement et ses implications sur l’équilibre des pouvoirs Dans le système actuel, l’équilibre est obtenu par l’influence réciproque entre le Président de la République et le Parlement. En application de l’article 92 de la Constitution en vigueur, le Président de la République peut dissoudre l’Assemblée Nationale, en cas de désaccord persistant entre les deux institutions. À l’inverse, le Président de la République a l’obligation de démissionner, si à l’issue des élections législatives anticipées, la même majorité hostile est élue à l’Assemblée Nationale.
Par ailleurs, la dissolution ne peut avoir lieu avant la 3e année de la législature et ne peut intervenir plus d’une fois au cours d’un même mandat. Curieusement, cet équilibre a été rompu dans la réforme constitutionnelle proposée. Le projet de constitution a supprimé l’obligation pour le Président de la République de démissionner dans l’hypothèse où la même majorité hostile intervient à l’Assemblée Nationale à l’issue des élections anticipées. (art. 102 du projet de constitution).Plus grave, le projet de constitution a supprimé le nombre de dissolution qui peut intervenir au cours d’un même mandat présidentiel. Par ailleurs, sous l’empire de la réforme proposée, la dissolution de l’Assemblée Nationale peut intervenir à tout instant de la législature. Ainsi, sous l’empire du projet de Constitution, le Président de la République a un pouvoir illimité. L’Assemblée Nationale ne dispose d’aucun mécanisme de contre-pouvoir contre lui. Ce qui constitue, au regard du contexte politique guinéen : une rupture de l’équilibre des pouvoirs entre l’Assemblée et le Président de la République, un risque d’instabilité permanent, le Président de la République ayant un pouvoir de vie et mort sans limite sur l’Assemblée Nationale.
IV. La Cour constitutionnelle
Les attributions de la Cour constitutionnelle prévues dans la Constitution de 2010 sont identiques à celles prévues dans le projet de constitution. En revanche, les délais de la procédure sont remis en cause, ainsi que les modalités de compositions de la Cour.
A. Le délai pendant lequel la Cour est tenue de statuer le projet de constitution de constitution contient de nombreuses contradictions concernant les délais de la procédure.
A.1.- En matière de contrôle a priori, le contrôle a priori se rapporte à la vérification de la conformité à la Constitution des lois organiques (art. 95 de la Constitution 2010) et des engagements internationaux (Art. 97 de la de la Constitution 2010). Ce mécanisme est prévu à l’identique aux articles 107 et 108 du projet de constitution.
Toutefois, le projet contient une contradiction incompréhensible, quant au délai maximum dans lequel la Cour est tenue de statuer en matière de contrôle de conventionalité. Alors que l’article 107, al. 2 (projet de constitution) évoque un délai de 30 jours, l’article 108 (Avant- projet) mentionne, pour la même procédure, un délai de 15 jours. Cette antinomie constitue une insécurité juridique fondamentale. On ne sait pas exactement, lequel des deux délais s’impose à la Cour.A.2.- En matière de contrôle a posteriori : « l’exception d’inconstitutionnalité »Sur le principe du droit de soulever une exception d’inconstitutionnalité, le projet de constitution n’apporte aucun changement. « Tout plaideur peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction ». (Art. 96 al. 4 de la Constitution de 2010) (art. 106 al. 4 du projet de constitution). En revanche, le projet de constitution a supprimé le délai de 15 jours dans lequel la Cour Constitutionnelle doit statuer, lorsqu’elle est saisine d’une exception d’inconstitutionnalité25. Cette suppression présente des risques particuliers au regard du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, singulièrement, pour les personnes faisant l’objet d’une poursuite pénale. Très souvent, ils sont déjà en détention préventive, lorsqu’ils envisagent de soulever une exception d’inconstitutionnalité. Le fait de ne pas imposer à la Cour constitutionnelle un délai raisonnable pour statuer entraîne, mécaniquement, des risques d’allongement inutile des procédures judiciaires en cours.
B. Les modalités de composition de la Cour, tout comme la Constitution de 2010, le projet de constitution maintient la composition de la Cour constitutionnelle à 9 membres. Cependant, les modalités de désignation de ses membres changent radicalement par rapport à la Constitution en vigueur. Les dispositions de l’article 100 de la Constitution en vigueur dispose :
« La Cour Constitutionnelle comprend neuf membres âgés de quarante-cinq ans au moins choisis pour leur bonne moralité. Elle est composée de : deux personnalités reconnues pour leur probité et leur sagesse, dont une proposée par le bureau de l’Assemblée nationale et une proposée par le président de la République; trois magistrats ayant au moins vingt années de pratique, désignés par leurs pairs ; un avocat ayant au moins vingt 20 années de pratique élu par ses pairs ;
Un enseignant de la faculté de droit titulaire au moins d’un doctorat en droit public et ayant une expérience d’au moins vingt 20 années, élu par ses pairs ; deux représentants de l’Institution nationale des droits humains reconnus pour leur longue expérience. ».Avec le projet de constitution, la garantie d’équilibre de la Cour constitutionnelle prévue par le constituant de 2010 se trouve bouleversée. Tout d’abord, le projet de constitution supprime :- la condition d’âge (45 ans) pour être membre de la Cour de constitutionnelle ;- l’ancienneté nécessaire (20 ans) dans l’enseignement et la pratique du droit ;- la présence d’un avocat élu par ses pairs ;- la présence de deux représentants de l’INDH. Ensuite, le projet de constitution prévoit, désormais, que le Président de la république, proposera 3 membres là où la Constitution en vigueur prévoit 1 seul. (Article 110 du projet de constitution). En outre, 2 autres membres sont désignés par le Président de l’Assemblée nationale, là où la Constitution en vigueur prévoit une désignation par le « Bureau de l’Assemblée » qui réunit, dans sa composition actuelle :- des représentants de l’opposition (UFDG, UFR, UDG) ;- des représentants de mouvance présidentielle. Enfin, le Président de la Cour constitutionnelle n’est plus élu par ses pairs (Constitution en vigueur), mais nommé par le Président de la République (art. 111 du projet de constitution).Par conséquent, l’équilibre nécessaire à l’indépendance de la Cour constitutionnelle est rompu. Le projet de constitution révèle un risque incontestable d’inféodation de l’institution juridictionnelle régulatrice du fonctionnement normal des institutions républicaines.
V. Le Conseil Supérieur de la Magistrature Le projet de constitution a déconstitutionnalisé les modalités de fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Contrairement à la Constitution de 2010 qui prévoit des règles précises et détaillées, le projet de constitution se borne à renvoyer au législateur organique le pouvoir de déterminer la composition du Conseil supérieur de la magistrature, les modalités de désignations de ses membres, ses attributions, ainsi que son fonctionnement. La réforme envisagée porte atteinte à la protection constitutionnelle due à l’institution qui a pour mission ultime de garantir l’indépendance des magistrats de l’ordre judiciaire par rapport au pouvoir exécutif.
VI. Concernant les Institutions Républicaines, l’article 4 du projet de constitution mentionne la Haute Autorité de la Communication parmi les institutions de la République. En revanche, il ne contient aucun titre, ni aucun article relatif à l’organisation et au fonctionnement de ladite autorité. Les dispositions du projet de constitution se bornent à évoquer des institutions dont il se garde, pour certaines, de définir les missions et de renvoyer le reste de la réglementation d’une loi fondamentale, l’organisation et le fonctionnement à une loi organique. Pour le reste, il n’y a aucun changement substantiel par rapport à la Constitution en vigueur, à part le changement de dénomination du Conseil Économique et Social en “Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel”.
VII. Concernant le rôle des Forces de Défense et de Sécurité, le projet de constitution a supprimé purement et simplement le titre relatif aux forces de défense et de sécurité institué par le constituant de 2010 ont été notamment supprimés : le caractère républicain et apolitique des forces de défense et de sécurité ; la précision des missions dévolues à l’Armée ; la participation de l’armée au développement économique et social du pays l’interdiction d’organiser des formations militaires, paramilitaires ou des milices privées, ou d’entretenir un groupe armé… la suppression du service national (civique ou militaire) pour la jeunesse. Or, cette suppression est particulièrement hasardeuse, compte tenu du rôle joué par l’Armée dans l’histoire politique guinéenne depuis 1984. Ainsi, la suppression de ce titre constitue une incertitude juridique susceptible de : favoriser l’instrumentalisation de l’armée à des fins politiques ; créer un environnement favorable aux coups d’État militaires ; inciter à la création et à l’entretien de milices privées (militaires ou paramilitaires).D’ailleurs, sur le risque de constitution de milices privées, les déclarations de M. Malick Sankon en date du 18 janvier 2020 donnent une parfaite illustration du risque que constitue une telle suppression.
(3). – CONCLUSION
Les observations concluantes sur l’étude comparative du projet de constitution sont axées d’une part, à la forme et la qualité de rédaction des textes, et, d’autre part, au contenu de l’ordre constitutionnel proposé. I.
Sur la forme et la qualité de la rédaction des textes Le projet de constitution contient des nombreuses fautes d’orthographe, des erreurs de formulation26, ainsi que des antinomies. L’antinomie la plus flagrante se trouve à l’article 21 du projet de constitution qui dispose : « Chacun a droit à la santé et au bien-être physique et mental. L’État a le devoir de promouvoir, de lutter contre les épidémies et les fléaux sociaux ».Comment un État peut-il avoir pour mission de promouvoir des épidémies et des fléaux sociaux ? II. Sur le contenu de l’ordre constitutionnel proposé par le projet de réforme En premier lieu, il est patent, qu’à l’exception des dispositions intangibles prévues par le constituant de 201027, toutes les modifications prévues par le projet de constitution 28 peuvent être adoptées par une simple révision constitutionnelle.
En réalité, le choix de la terminologie « changement de constitution », en lieu et place de « révision constitutionnelle », révèle une simple stratégie pour faire échec à l’interdiction « d’exercer plus de deux mandats consécutifs ou non. Manifestement, le projet de réforme constitutionnelle n’a qu’un seul but : permettre au Président de la République de se représenter, à l’issue de son deuxième et dernier mandat, à sa propre succession. En second lieu, au regard de la protection des droits de l’homme, de l’équilibre des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, le projet de nouvelle constitution est une régression par rapport à la constitution en vigueur.A.
La remise en cause de l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif à la lecture des dispositions relatives aux deux pouvoirs (exécutif et législatif) le projet de constitution institut :- Une absence totale de responsabilité du Président de la République ;- Une Assemblée nationale vulnérable avec un risque permanent de dissolution par le Président de la République ;- Une possibilité pour le gouvernement de faire adopter, par la force, des lois à l’Assemblée nationale, sans débat, ni vote.B. La remise en cause des garanties d’indépendance des institutions judiciaires.
Le changement radical des modalités de composition et de présidence à la fois de la Cour constitutionnelle et du Conseil Supérieur de la Magistrature, le projet de constitution crée au regard du contexte guinéen :- Un risque d’inféodation de la Cour constitutionnelle à la présidence de la République (Voir modalités de composition et de présidence de la Cour) ;- La déconstitutionnalisation des modalités de composition et de présidence du Conseil supérieur de la magistrature.C.
La constitutionnalisation de l’impunité- L’imprescriptibilité29 des crimes économiques est supprimée;- Le droit de résistance à l’oppression est supprimé ;- L’imprescriptibilité de certains droits et libertés fondamentaux est supprimée ;- Le droit imprescriptible des citoyens pour faire valoir leur droit face à l’État et ses préposés (fonctionnaires de fait ou de droit, ministres, agents contractuels de l’État) est supprimé.D. La déconstitutionnalisation du rôle et les missions des forces de défenses et de sécurité.
En tirant les leçons relatives aux rôles joués par les forces de défenses et de sécurité depuis 1984, le constituant de 2010 a traduit dans la constitution, à la fois le rôle et la mission de celles-ci. En supprimant le titre relatif aux forces de défenses et de sécurité, le projet de constitution crée :- Un risque d’instrumentalisation de l’armée à des fins politiques ; – Un risque de création d’un environnement favorable aux coups d’État militaires ; – Un risque d’incitation à la création et à l’entretien de milices privées (militaires ou paramilitaires).