À ce jour, le Club de Paris a validé des moratoires sur les dettes de 8 États africains. Mais la question des possibles annulations, elle, est loin d’être réglée.
Avec la validation des dossiers de l’Éthiopie, du Tchad et du Congo, le 9 juin, le Club de Paris a porté à 8 le nombre de pays africains qui bénéficient à ce jour d’un moratoire sur leur dette publique (avec le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Mauritanie et le Cameroun), et à 1,8 milliard d’euros le montant des échéances reportées. Et d’autres pays devraient suivre : « Sur les 31 pays qui ont formulé des demandes, 22 sont situés en Afrique subsaharienne », a indiqué la présidente du Club de Paris, Odile Renaud-Basso, lors d’un point de presse, le 10 juin.
Selon elle, il n’y a pas de surprise à attendre de l’instruction des dossiers en cours : « Les pays qui ont déposé leurs dossiers sont ceux avaient été sélectionnés comme éligibles [Le Zimbabwe, l’Érythrée, le Soudan et la Syrie de l’étaient pas, du fait d’arriérés auprès des prêteurs multilatéraux], et qui en ont fait la demande. Sauf s’ils changent d’avis et refusent les termes du contrat qui leur est soumis, la procédure aboutira », affirme-t-elle.
Si 19 dossiers sont encore en cours d’instruction, la directrice du Trésor français n’exclut pas d’avoir à se pencher sur d’autres demandes : « Certains pays, très prudents au départ, notamment du fait de craintes sur leurs capacités futures d’emprunt sont en train de réviser leurs positions et pourraient se manifester », explique celle qui constate une « accélération des demandes ».
« Il est tout à fait normal qu’il y ait des évolutions dans les positions des gouvernements, du fait des discussions avec leurs créations et du partage d’analyse entre gouvernements », commente Nicolas Jean, avocat spécialisé dans le financement de projets en Afrique chez Gide, un cabinet qui s’est positionné dès la mi-avril sur le créneau de la renégociation des dettes des pays africains, déployant une vingtaine d’avocats sur le sujet.
Un moratoire, et après ?
« La dette à l’égard du Club de Paris ne représente qu’une partie des dettes des pays africains », relativise l’avocat, pour qui « cette respiration est indispensable, mais le véritable enjeu reste l’investissement ». « L’Afrique n’est pas surendettée, elle est sous-financée. Pour éviter à l’avenir d’en venir à des renégociations, moratoires ou annulations, et de dégagera des capacités d’endettement supplémentaires, il faudrait qu’une partie des financements soient faits à des taux concessionnels, et que le reste se voit appliqués des taux cohérents avec leur profil de risque et avec les taux appliqués dans les autres régions du monde », développe-t-il.
D’abord mise en avant par le président sénégalais, Macky Sall, puis par le président français, Emmanuel Macron et le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, la question d’une annulation de certaines dettes n’est d’ailleurs pas encore à l’ordre du jour. « La procédure actuelle permet un moratoire jusqu’au 31 décembre des échéances liées à la dette publique. Après une année de grâce, en 2021, ces paiements seront étalés sur trois ans, à partir de 2022 », précise Odile Renaud-Basso, selon laquelle ces mesures pourront être revues à la fin de l’année.
« Il s’agit là de procédures d’urgence, pour maintenir des marges de manœuvre dans la santé et faire face aux dépenses urgentes de soutien à l’économie et aux ménages. Quand nous aurons plus de visibilité, nous verrons les suites, avec sans doute deux cas de figure : les pays pour lesquels la dette sera redevenue soutenable et ceux pour lesquels nous envisagerons une extension du moratoire, voire une renégociation de la dette elle-même », indique la présidente du Club de Paris.
« Une annulation massive immédiate n’est pas possible techniquement, d’après les créanciers. Par ailleurs, il conviendra d’étudier au cas par cas l’opportunité d’annuler ses dettes, au regard du niveau d’endettement des pays concernés et de la réputation qu’ils ont pu se construire sur les marchés. Il va y avoir des annulations ponctuelles, mais tout cela demande du temps et des discussions », estime Nicolas Jean, qui se félicite que « les États de l’Union africaine ait réussi à faire front ensemble dans cette crise ».
À côté des mesures annoncées par le Club de Paris, le FMI a débloqué 10 milliards d’euros pour des procédures de financement d’urgence concernant 30 pays africains, et 66 demandes de moratoires de dettes ont été déposées auprès du G20, qui n’a pas encore rendu publiques ses décisions. « Le club de Paris, qui a l’habitude des renégociations de dettes, a mis en commun avec le G20 ses procédures de monitoring », précise Odile Renaud-Basso, selon laquelle les procédures sont très similaires. Mais, alors qu’un seul document engage chaque État envers tous ses créanciers membres du club de Paris, les prêteurs du G20 contractualisent individuellement avec leurs débiteurs – selon des termes discutés en commun.
Mahamadou Issoufou appelle à « un plan Marshall » pour l’Afrique
Pour Mahamadou Issoufou, un moratoire, et même une annulation des dettes africaines, ne suffiront pas à compenser les conséquences de la pandémie sur le continent. Le chef de l’Etat nigérien et président en exercice de la Cedeao, qui s’exprimait le 9 juin dans le cadre de la Task Force sur le coronavirus de l’Union africaine (UA), souhaite « des ressources financières fraîches (…) non seulement pour faire face à la pandémie mais aussi pour relancer l’économie ».
Un « plan Marshall » pour l’Afrique serait « l’occasion pour la communauté internationale de concrétiser l’objectif de 0,7 % du PIB à consacrer à l’aide publique au développement », a-t-il estimé.
Avec jeuneafrique