Les jeunes africains, notamment les cadres formés, ne veulent pas rester en marge du débat démocratique, des questions de gouvernance, de citoyenneté et d’éducation. C’est fort de cette volonté de participer que de jeunes guinéens résidents comme ceux de la diaspora ont publié en 2019 un ouvrage intitulé «La Guinée que nous voulons» et créé, dans la foulée, un collectif du même nom pour porter le message de cet ouvrage. Dans cet entretien exclusif accordé à SeneNews, Alpha Omar Diallo, un membre du collectif parle des objectifs du collectif et de la situation politique actuel de son pays. Dans un contexte où le spectre du 3è mandat plane sur la Guinée et la Côte d’Ivoire, le jeune chercheur critique le laxisme de la communauté internationale et dénonce le jusqu’au-boutisme d’Alpha Condé. Si le forcing de Ouattara et Condé fonctionne, le politologue craint un effet boule de neige au sein de la sous-région déjà fragile sur le plan sécuritaire. Entretien
Alpha Omar DIALLO, vous êtes politologue, membre fondateur du collectif «La Guinée que nous voulons». Dans quel contexte est né ce collectif et quels sont ses objectifs à court, moyen et long terme?
D’abord je vous remercie pour cet entretien que vous m’accordez et à travers moi, tout le collectif. Il est important de noter dès le premier abord que le collectif «La Guinée que nous voulons » est une association apolitique et à but non lucratif, composé de jeunes chercheurs guinéens de l’intérieur et de la diaspora qui a pour objectif de participer à l’effort collectif de construction nationale à travers des réflexions et productions universitaires de haut niveau portant sur des problématiques d’intérêt général.
Ensuite, le collectif doit sa naissance à un évènement tout particulier. En effet, du 23 avril 2017 au 22 avril 2018, la ville de Conakry est élue par l’Unesco « Capitale mondiale du livre ». C’est dans ce contexte marqué par d’intenses activités littéraires aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Guinée qu’un groupe de jeunes chercheurs guinéens a initié la rédaction d’un ouvrage collectif intitulé : «La Guinée que nous voulons : une contribution citoyenne au débat public national ». Ouvrage qui par ailleurs donnera son nom au collectif institutionnalisé dans la foulée de sa publication.
Enfin, nos objectifs à court terme consistent à décrypter l’actualité socio-politique guinéenne sous ses différents aspects : politique, économique, social et culturel, faire une analyse périodique sur le fonctionnement et dysfonctionnement des institutions étatiques guinéennes et dégager des pistes de réflexion pour leurs bons fonctionnements, analyser les défis sur l’évolution de la Guinée et proposer des pistes de réflexion à travers de productions académiques de haut niveau. A moyen terme, nous envisageons de servir de cadre de veille par la production universitaire pour l’évolution de la Guinée à tout point de vue, faire le focus sur l’état de l’avancement démocratique du pays, la situation des droits et libertés fondamentaux et faire la promotion d’une culture de recherche et de publication académique comme moyens par excellence de l’émancipation de notre pays. Enfin, à long terme nous voulons promouvoir les vertus de la bonne gouvernance, de la culture démocratique et de l’esprit de citoyenneté
Quel est le lien entre le collectif «La Guinée que nous voulons» et l’ouvrage qui porte le même titre ?
Dans un premier temps nous n’avions envisagé que la rédaction puis la publication de l’ouvrage. Ensuite, lorsque nous avons procédé à sa publication en mai 2019 à Paris puis à sa dédicace à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar (UCAD) le 29 juin 2019, nous nous sommes retrouvés dans la foulée pour faire le point sur les perspectives d’une vulgarisation de l’ouvrage en Guinée et dans la diaspora pour un meilleur usage de son contenu. C’est ainsi que l’idée d’institutionnaliser un collectif spécifiquement investi dans la recherche et la production universitaire comme solutions aux maux du pays est née. Cela, parce que nous avions envie de nous inscrire dans une logique long-termiste. L’idée étant bien entendu de continuer à s’investir dans la recherche et la production universitaire dans la perspective d’éveiller les consciences pour la bonne marche de la Guinée.
Aujourd’hui, la Guinée fait partie avec la Côte d’Ivoire des pays qui captivent l’attention des Africains et de la communauté internationale quant à la volonté d’Alpha Condé et d’Alassane Ouattara de briguer un 3è mandat présidentiel. Quel sentiment cette situation vous inspire-t-elle ?
Je suis désolé de constater à l’instar de beaucoup d’acteurs qui suivent de près l’évolution démocratique dans notre espace ouest-africain la réticence des pouvoirs publics à s’inscrire dans une logique de sauvegarde des maigres acquis démocratiques que la Côte d’Ivoire et la Guinée ont jusque-là enregistrés. D’autant plus qu’on a l’impression que le refus de l’alternance, (principe sacro-saint de la démocratie) est érigé dans ces deux pays aussi bien que dans bon nombre de pays en Afrique comme paradigme de gouvernance. La Guinée, est-il besoin de le rappeler, fait partie avec la Côte d’Ivoire du cercle des pays qui ont acquis la douteuse réputation de n’avoir pas encore connu une véritable alternance démocratique.
Quel peut être l’apport de l’association « La Guinée que nous voulons» dans le combat démocratique que mène les forces vives de la Guinée dans la violation des acquis démocratiques par le président Condé ?
Nous nous inscrivons dans une approche d’interpellation et de mobilisation des consciences. Ceci, dans le sillage d’alerter l’opinion publique nationale et internationale sur les menaces qui pèsent sur « la jeune démocratie » guinéenne. Déjà, parmi les thématiques abordées dans notre ouvrage, nous consacrons une bonne partie sur l’évolution démocratique du pays. Les chapitres comme « Le civisme en question » de Souleymane Falowi Diallo, « La démocratisation de la fonction publique » de Mamoudou Diallo ou encore « De la faiblesse de l’espace public : du débat de personnes au débat d’idées » que j’ai moi-même abordé traitent largement de l’état de la démocratie dans le pays et interpellent les pouvoirs publics sur les dangers qui la guettent comme une épée de Damoclès.
Qu’est-ce qui peut faire renoncer Alpha Condé à ce projet risqué pour la Guinée ?
Il faut d’abord constater que jusque-là le Président ne semble pas fléchir malgré la résistance citoyenne qui s’est constituée des suites de ses velléités de changement de la Constitution qui a consacré son avènement au pouvoir (la Constitution du 07 mai 2017) et avec laquelle il a gouverné pendant les deux mandatures que celle-ci le consacrait. Depuis, ses intentions ont été beaucoup plus claires et une nouvelle constitution est en vigueur après un referendum somme toute controversé et entaché d’irrégularités.
Aujourd’hui, force est de constater que la série de manifestations organisées par les forces vives du pays regroupées autour de la conjugaison d’efforts entre d’une part les mouvements de la société civile et, d’autre part, les principales formations politiques du pays, le Front national de défense de la Constitution FNDC) n’a pas pu empêcher le referendum du 22 mars 2020 qui a débouché sur le changement de la Constitution de mai 2010 jusqu’alors en vigueur et qui interdisait au chef de l’Etat de rempiler.
Par ailleurs, il faut observer l’attentisme et le laxisme de la communauté internationale qui n’a toujours pas pris des actions fortes contre le régime de Conakry. Une articulation des efforts entre les forces vives du pays et la communauté internationale pourrait, à mon avis, dissuader Alpha Condé de rester au pouvoir après ses mandats constitutionnels.
L’opposition guinéenne a-t-elle les moyens d’agir pour empêcher un 3è mandat d’Alpha Condé ?
La réponse est évidente et c’est non. La situation telle qu’elle se présente aujourd’hui ne se prête guère à des actions isolées. L’opposition à elle seule ne saurait aller au bout du combat d’autant qu’en son sein, existent de personnes qui mènent un combat personnel. D’ailleurs, elle semble l’avoir compris et intégré, car aussitôt elle s’est fondue dans le mouvement citoyen d’envergure constitué à cet effet, le Front national de la défense de la Constitution le FNDC).
Si Alassane Ouattara, puis Alpha Condé réussissent leur forcing doit-on craindre que cela fasse boule de neige dans la sous-région ?
Il faudrait, pour répondre à cette question, interroger le calendrier électoral de l’Afrique de l’Ouest pour cette année 2020. Cinq pays se dirigent vers des élections en fin d’année. Ce sont le Ghana, le Niger, le Burkina, la Guinée et la Côte d’Ivoire. Au Niger, le Président s’est clairement prononcé contre un troisième mandat. Au Burkina par contre le Président est à son deuxième mandat. Au Ghana, bon signe, la logique de l’alternance est jusque-là, respectée depuis la transition démocratique menée par le Président Rawlings qui a vu un candidat de l’opposition arrivé au pouvoir (la victoire de John Kuffur sur Atta Mills).
Alors dans l’éventualité où Alassane Ouattara et Alpha Condé arriveraient à prolonger leur mandat, il y aurait en effet lieu de s’inquiéter sur un effet boule de neige dans la sous-région.
Senenews.com.