Avant de procéder à la proclamation des résultats du premier tour de la présidentielle de 2010, le président de la CENI d’alors, Ben Sékou Sylla, a rencontré le général Sékouba Konaté. Tibou Kamara, témoin clé de la transition a révélé à Guinee7 les dessous de la rencontre entre l’homme fort de la transition et le numéro un de l’institution électorale. Lisez…
Ben Sékou Sylla est venu nous rencontrer, le général (Sékouba Konaté, NDLR) en premier, ensuite moi. Je suis venu les rejoindre, ils avaient déjà commencé à discuter, Ben avait fait part au général des résultats du premier tour qui étaient à sa possession et qui donnaient, comme je l’ai indiqué déjà, Cellou premier de loin, suivi de Sidya et ensuite Alpha à la troisième place.
Donc, selon les résultats qu’il avait et qui étaient disponibles, Alpha était éliminé du deuxième tour et Cellou et Sydia étaient qualifiés pour le second tour. Mais Ben, pour arriver à cela, avait été obligé d’annuler les résultats dans des circonscriptions favorables au président actuel, en invoquant des irrégularités qu’il y aurait eu dans ces fiefs.
Mais ces irrégularités, à supposer qu’il y a eu lieu dans ces fiefs, et qui l’ont amené à annuler les résultats, malheureusement modifiaient l’issue du scrutin, parce qu’au lieu que Alpha ne soit deuxième à l’issue de l’arbitrage discrétionnaire du président de la CENI, il se retrouvait à la troisième place et Sidya qui était à la troisième place remontait à la deuxième place.
Imaginez que les résultats sortent des urnes avec un ordre de classement et qu’à l’issue d’un arbitrage discrétionnaire du président de la CENI que ces résultats soient modifiés en faveur d’un candidat et au détriment d’un autre, vous pensez qu’un seul homme, en toute responsabilité, doit changer des résultats issus des urnes, donc la volonté populaire ?
J’ai pensé que non ! Surtout que les irrégularités dont il était question n’étaient pas établies clairement. Vous savez en Afrique, et particulièrement en Guinée, lorsqu’il y a une élection, surtout une élection présidentielle, il y a toujours quelques irrégularités. Il y a toujours quelques insuffisances, mais vous remarquerez aussi, on dit souvent que ces irrégularités ne sont pas de nature à affecter la crédibilité ou la sincérité du vote ou des résultats.
Il se trouve qu’il y avait eu des irrégularités un peu partout ; j’ai trouvé un peu suspect que cela ne soit seulement que dans des fiefs d’un candidat que les irrégularités étaient constatées et que cela ait abouti à une annulation pure et simple dans ces circonscriptions. Si encore des résultats issus des urnes n’étaient pas modifiés à la limite, il n’y aurait eu aucun problème, mais cet arbitrage du président de la CENI mettait en péril la paix sociale, dans la mesure où les gens connaissaient les résultats initiaux et avaient appris aussi qu’à la suite de cet arbitrage, les résultats avaient été modifiés en faveur de Sidya et au détriment d’Alpha.
Le général (Konaté) était présent comme il l’a fait tout le long de la transition, il faut lui reconnaitre ce mérite. Il n’a jamais voulu interférer dans aucune décision, ayant une confiance totale dans les mandats qu’il a donnés à chacun et en laissant la liberté de conscience à ses collaborateurs de faire des choix qu’ils jugeaient utiles et conformes à la loi, donc il était dans un rôle de neutralité absolue, en tout cas au moment de faire les arbitrages, lorsqu’il s’agissait de certains actes et décisions.
Moi j’ai estimé que c’était injuste et arbitraire d’annuler, à la seule discrétion d’un homme, des résultats dans des circonscriptions entières et que cela impacte sur l’issue du vote. Donc j’ai demandé à ce que la vérité des urnes soit établie et que les irrégularités dont parle le président de la CENI soient portées à la connaissance de la Cour suprême, qui a toute l’autorité de par la loi, toute la compétence de juger du bien-fondé ou non des irrégularités et donc d’annuler ou maintenir les résultats.
Et vous avez remarqué d’ailleurs que lorsque la Cour suprême a eu à statuer sur les résultats, elle a procédé à des annulations dans certains des fiefs des différents candidats, en mettant en avant les irrégularités, mais sans à aucun moment toucher les résultats sortis des urnes et qui donnent des résultats comme suit : Cellou premier, Alpha deuxième, donc les deux étaient qualifiés pour le deuxième tour. Donc, l’arbitrage que Ben a eu à faire n’a pas été pertinent, dans la mesure où la Cour suprême a maintenu les résultats tels que sortis des urnes, et a eu raison de demander que la volonté populaire soit respectée en rétablissant les résultats initiaux sortis des urnes.