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« Je me suis toujours demandé, en lisant les rapports de guerres communautaires sous d’autres cieux, comment des gens qui vivaient en bonne étaient arrivés à se massacrer comme des animaux… », Paul Kagame

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#PaulKagame
« Je me suis toujours demandé, en lisant les rapports de guerres communautaires sous d’autres cieux, comment des gens qui vivaient en bonne intelligence, en étaient arrivés à se massacrer comme des animaux. Comment les Bété et les Dioula en Côte d’ivoire, les Peulhs et les Malinkés de nos jours en Guinée ou les Tutsi et les Hutu chez moi au Rwanda avaient pu aller aussi loin. Comment des gens en arrivaient à tuer suite à un mot d’ordre de personnes qu’ils n’avaient jamais vues, avec qui ils n’avaient eu aucune relation, et dont l’unique chose qu’ils avaient en commun était la tribu…
En regardant la scène politique guinéenne actuelle, je crois que je commence à comprendre avant qu’elle ne prenne le chemin emprunté hier par mon peuple. Alors je t’écris aujourd’hui, jeune guinéen, pour te dire ce que tu sais peut-etre déjà.
La haine est un business, et aussi un formidable ascenseur pour les politiciens professionnels pour accéder aux privilèges qu’ils convoitent. Ce business repose sur un postulat simple: « Tu n’es pas ce que tu devrais être ou là où tu devrais être parce qu’un autre s’est mis entre toi et ton destin. Il faut donc l’éliminer. » C’est ainsi que les entrepreneurs de la haine réussissent à embarquer les gens dans leur entreprise.
Alors toi qui me lis ce matin, et qui as déjà limé ta machette, prêt à en découdre, toi qui attends impatiemment le Jour J pour en finir avec ceux qui sont responsables de ta situation, et qui se trouvent tous être de l’autre ethnie, je vais te dire dès maintenant ce qui t’attend au pas de la porte:
Tu vas rencontrer de l’autre côté, d’autres jeunes, braves comme toi et encore plus vicieux, eux aussi nourris à la mamelle de la haine comme toi et ne reculant devant rien. Tu en tueras un grand nombre, mais tu perdras aussi un grand nombre de frères, de soeurs, de parents, d’amis, de connaissances, de relations… Ton avenir t’attendra sagement au coin d’une rue en terre, dans une tombe ou dans la brousse, quand tu tomberas dans une embuscade, ou, si tu es chanceux, dans un hôpital de fortune, où tu seras pris en charge par un médecin de la croix rouge. Tu auras le visage défiguré, les marques de la guerre bien visibles sur ton corps déchiqueté.
Tous les jours RFi se chargera de faire le décompte des morts, en attendant qu’il atteigne le seuil qui déclenchera l’indignation de la « communauté internationale ». Certaines mauvais langues disent qu’il commence à 3000 morts.
Un matin, du fond de ton lit d’infortune, tu l’entendras dans le journal officiel: Création de la commission de réconciliation. Et qui sera nommé à la tête de cette commission ? Le même type qui t’avait dit que c’est l’autre qui est responsable de ton malheur. Tu le verras, tout sourire, promettre au JT de 20h, oeuvrer pour la réconciliation et t’appeler à pardonner. La commission sera créée avec un budget de 25 milliards qu’ils vont se répartir entre eux au travers des arnaques appelées consultations. Tu seras là, au fond de ton lit de fortune, le regard noir, la jambe amputée, perdu dans tes pensées, avec une longue liste de comptes à regler. Mais là dehors la donne a changé. Tu ne peux plus massacrer impunément. Et même si tu le voulais encore, tu n’en as plus les moyens ni la force.
C’est là que tu te rappelleras que, comme par magie, aucun de ceux qui t’ont mené là où tu es n’as été tué, ni eux, ni leurs familles. Peut-être bien que, pour te galvaniser, ils ont dû sacrifier un arrière petit fils du cousin de la tante de la soeur de la grand-mère du président de la République…
Mon frère, sache que dans ce business, tu ne seras qu’un pion. Demande aux dioula et bété de côté d’ivoire, aux Hutu et Tutsi de chez moi qui sont obligés aujourd’hui de se tolérer, de vivre ensemble par les mêmes qui leur avaient dit que ce n’était plus possible. Pense à ces gens qui sont obligés de vivre aujourd’hui avec les séquelles d’une guerre qui n’aurait jamais dû vivre, et qui sont obligés de garder leur frustration en sourdine, la rancoeur plein le coeur, et l’avenir en pointillés…
C’est ça que tu veux pour toi et ton pays ? C’est ce genre d’avenir que tu veux pour toi et tes enfants ?
Sache donc que dans une guerre civile, il n’y a que des perdants. Et que, quelle que soit la force de ton clan, à la fin, on vous imposera la #réconciliation.
Voilà, tu ne diras pas que je ne t’avais pas prévenu. En limant ta machette ce matin, relis bien mes paroles, elles sont celles d’un type qui a vu ce qui s’est passé dans son pays.«