Réélu pour un troisième mandat controversé, le chef de l’Etat n’a pas réussi à transcender les clivages communautaires et régionaux. Pire, il en a joué.
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Le président guinéen, Alpha Condé, lors d’un meeting à Conakry, le 16 octobre 2020.
Le président guinéen, Alpha Condé, lors d’un meeting à Conakry, le 16 octobre 2020. JOHN WESSELS / AFP
Sans surprise aucune, la Cour constitutionnelle guinéenne a confirmé, samedi 7 novembre, les chiffres annoncés la semaine précédente par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), consacrant la victoire d’Alpha Condé à la présidentielle du 18 octobre. Personne n’attendait autre chose de la part de deux institutions accusées d’être inféodées au pouvoir en place. Les juges ont repoussé les recours déposés par l’opposition. Alpha Condé peut entamer un troisième mandat consécutif, acquis en piétinant les principes républicains qu’il défendait lorsqu’il se battait contre le dictateur Sékou Touré (1958-1984) ou l’autocrate sourcilleux Lansana Conté (1984-2008).
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Pour imposer sa candidature, Alpha Condé a dû tripatouiller une nouvelle Constitution dont la légitimité est, depuis le début, remise en question. Officiellement, il s’agissait de doter la Guinée d’une loi fondamentale plus en adéquation avec son époque, prenant davantage en compte les questions d’égalité des genres ou de protection de l’environnement, notamment. Le texte devait remplacer celui, loin d’être parfait, bricolé durant la transition politique instaurée entre la fin violente de la junte de Moussa Daddis Camara, en décembre 2009, et les premières élections démocratiques et pluralistes l’année suivante.
Un référendum chaotique
Las, la greffe de la Constitution version 2020 a du mal à prendre. Le texte a été rédigé en catimini, sans débat, provoquant même la démission du ministre de la justice, Cheick Sako. Dans une lettre au chef de l’Etat, le garde des sceaux s’étonnait de ne pas avoir été « associé à la rédaction de la nouvelle Constitution ». Le texte a finalement été adopté en mars à l’issue d’un référendum chaotique organisé sur la base d’un fichier électoral qui, quinze jours plus tôt, comportait encore 2,5 millions d’électeurs douteux, soit un tiers de la liste.
A tel point que l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui par le passé ont avalé d’autres couleuvres électorales sur le continent, avaient préféré ne pas envoyer d’observateurs pour ce vote couplé à des législatives, tous deux boycottés par l’opposition. Complétant ce triste panorama, la Constitution finalement publiée au Journal officiel est, sur plusieurs points, différente du texte soumis à référendum. Le barreau des avocats a dénoncé « une délinquance juridique » et demandé le retrait de la loi fondamentale. En vain.
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Dès le départ, un large mouvement d’opposition, réunissant société civile, syndicats et partis politiques d’opposition réunis au sein du Front national de défense de la Constitution (FNDC), s’était dressé contre cette initiative présidentielle. Le FNDC ne décelait qu’une intention derrière la démarche du pouvoir : non pas moderniser les institutions, mais faire sauter le verrou limitant à deux le nombre de mandats présidentiels et, ainsi, autoriser Alpha Condé à en briguer un troisième. Ce qui fut fait.
Après avoir nié toute intention cachée, la présidence guinéenne avait ensuite posé la question du principe en vertu duquel le nombre de mandats doit être limité à deux. L’interrogation est légitime, à condition que la course électorale soit juste et transparente. Parallèlement, le pouvoir guinéen s’étonnait du double langage de la France. L’ancienne puissance coloniale, remarquait-on à Conakry, n’a pas les mêmes scrupules pour Idriss Déby, son indispensable allié tchadien dans la guerre contre le terrorisme au Sahel, au pouvoir depuis 1990.
Le spectre de Lansana Conté
Il reste que l’Union européenne, la France ou les Etats-Unis ont émis des doutes sur la régularité du scrutin présidentiel, marqué notamment par des taux de participation suspects dans les fiefs du pouvoir. Deux commissaires de la CENI ont d’ailleurs démissionné peu de temps avant l’annonce de la victoire d’Alpha Condé au premier tour. La Chine, dont les entreprises sont très présentes dans le secteur minier, n’a pas eu cette réserve et a félicité le vainqueur.
Alpha Condé est donc arrivé à ses fins, mais à quel prix ? Les résultats de la présidentielle montrent une Guinée toujours autant et dangereusement polarisée. Le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé ou l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de son principal concurrent, Cellou Dalein Diallo, recrutent essentiellement sur des bases communautaires et régionales. En dix années de pouvoir, non seulement le président ne sera pas parvenu à transcender ces clivages, mais il en joue. Ce fut le cas durant la campagne, lorsqu’il a agité la menace d’une « alliance peule » entre les présidents nigérian et sénégalais, Muhammadu Buhari et Macky Sall, pour porter « leur frère » Cellou Dalein Diallo à la présidence.
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Celui-ci a donc manqué son objectif pour la troisième fois de suite, de nouveau battu par Alpha Condé (avec respectivement 34 % et 59 % des voix). Comme en 2010. Comme en 2015. Cette année encore, le scrutin est entaché de soupçons de fraude et de violences meurtrières. Plusieurs dizaines d’opposants au troisième mandat ont été tués en marge des manifestations, dans les mois précédant ou les jours suivant le vote, par les forces de l’ordre. Ces dernières ont également payé un lourd tribut, avec huit morts. Absente du Parlement après avoir décidé de boycotter les législatives de mars, l’opposition conduite par l’UFDG n’a plus que la rue pour se faire entendre. Cellou Dalein Diallo a promis d’en user. Jusque dans l’entourage du président, on s’inquiète de ces violences et de la capacité d’Alpha Condé à ouvrir un jeu politique singulièrement verrouillé.
Dans les couloirs du palais Sékhoutouréya, on commence également, à voix basse, à évoquer un autre risque. La candidature d’Alpha Condé n’a pas fait l’unanimité dans son propre parti. On lui rappelle aujourd’hui le slogan que l’ancien opposant lançait à la face de Lansana Conté lorsque, usé et vieillissant, le général refusait de passer la main. « Le poisson pourrit par la tête », disait alors Alpha Condé pour décrire un système en bout de course, miné par la « médiocratie » et la corruption. Certains redoutent de voir resurgir le spectre de Lansana Conté alors que son successeur entrera le 4 mars prochain dans sa 84e année.
Lemonde.fr