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Guinée: reconstitution d’un «pacte corruptif» dans le très opaque secteur minier

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Le tribunal correctionnel de Genève a condamné le magnat des mines Beny Steinmetz à cinq ans de prison ferme pour corruption d’agent public en Guinée.

Une nouvelle étape a été franchie dans la lutte contre la corruption. Le tribunal correctionnel de Genève a condamné le magnat des mines Beny Steinmetz à cinq ans de prison ferme pour corruption d’agent public en Guinée. Deux autres personnes impliquées dans l’affaire sont également sanctionnées. Au cœur de ce dossier, les mines de fer du mont Simandou et les avantages indus octroyés par le groupe de Steinmetz à la quatrième épouse de l’ancien président Lansana Conté pour obtenir des concessions minières. Pourquoi l’affaire est-elle emblématique ? Quels sont les faits que la justice a pu établir ? Agathe Duparc, chargée des enquêtes à l’ONG suisse Public Eye est l’invitée Afrique de RFI.

RFI : Comment réagissez-vous à la peine qui a été prononcée par la justice suisse dans l’affaire Beny Seinmetz ?

Agathe Duparc : Nous sommes très satisfaits, à Public Eye, de voir qu’il y a eu des peines de prison ferme. Monsieur Beny Steinmetz parle d’une grande injustice. Nous, on dit qu’au contraire, c’est une grande décision de justice, d’une justice genevoise qui n’a vraiment pas froid aux yeux… et qui pour la première fois, finalement, condamne trois maillons essentiels de la corruption internationale. À savoir : le big boss Beny Steinmetz, qui disait qu’il ne savait rien, qui se cache derrière des montages très compliqués, l’intermédiaire, apporteur d’affaires, qui verse des commissions sur le terrain, et enfin la dernière figure, c’est l’administratrice qui se cache dans un bureau à Genève, qui tamponne absolument toutes les transactions et qui dit qu’elle n’a rien compris, rien vu.

Pourquoi cette affaire vous semble-t-elle particulièrement emblématique ?

Parce que dans le secteur minier, qui est un secteur très opaque -et on le sait qui prive souvent les populations africaines de leurs ressources- finalement il n’y a jamais de responsabilité, il n’y a jamais de condamnation, jamais de procès… Là, la justice genevoise s’est vraiment attaquée à un gros morceau. Elle a pu prouver, effectivement, qu’il y avait eu quand même dix millions de dollars de pots-de-vin qui avaient été versés à la quatrième femme du président guinéen, Lansana Conté. Mamadie Touré a reçu 10 millions de dollars, dont 8,5 millions, grâce à des montages extrêmement complexes, qui sont passés par des sociétés, des factures, des fausses factures… Tout a pu être reconstitué. C’est la première fois, finalement, que l’on reconstitue un pacte corruptif dans ce secteur minier qui est, encore une fois, extrêmement opaque.

Pour que l’on comprenne bien de quoi parle cette affaire, qu’est-ce que la société de Beny Steinmetz cherchait à obtenir ?

On sait que, dès 2005, le groupe Beny Steinmetz qui n’était pas du tout spécialisé dans le secteur minier –il était spécialisé dans le diamant- a commencé à s’intéresser à la Guinée. Et dès 2005, ils ont prospecté, mais cela ne marchait pas trop, puisqu’effectivement, il y avait un concurrent très sérieux, à savoir Rio Tinto, le géant minier anglo-australien. Rio Tinto a obtenu, en mars 2006, des permis sur les monts Simandou. Ce sont de fabuleux gisements de fer qui sont inexploités, dont les quatre blocs ont été donnés à Rio Tinto. Et à partir de ce moment-là, le groupe Steinmetz n’a eu de cesse que d’essayer de récupérer deux de ses permis et c’est là que le pacte corruptif s’est mis en place.

Et donc le pacte de corruption lie le groupe de Beny Steinmetz à Lansana Conté et à sa quatrième épouse, Mamadie Touré…

Oui, tout à fait. Le but, effectivement, était de passer par Mamadie Touré -une jeune femme de 23 ans, quatrième épouse du président- pour obtenir ces concessions et en particulier sur les blocs 1 et 2, qui appartenaient à Rio Tinto à l’époque. Finalement cela a marché, puisqu’en juillet 2008 le président, qui était déjà fort mal en point, a signé un décret pour retirer à Rio Tinto ses permis. Ensuite, en décembre 2008, finalement BSGR -le groupe de Beny Steinmetz- les a récupérés.

Quels ont été les arguments de l’accusation pour démontrer ce pacte de corruption ?

Ce ne sont pas des arguments, ce sont des faits. Ils sont tombés sur une masse de documents assez considérable et ils ont pu établir qu’au cœur du schéma corruptif il y avait une société écran, une société qui avait servi de véhicule de la corruption, une société qui s’appelle Pentler et qui avait été créée spécialement par le groupe Beny Steinmetz.

Et à l’inverse, quelle a été la ligne qui a été retenue par la défense de Beny Steinmetz ?

Les arguments de la défense sont assez faibles. Ils expliquent que Beny Steinmetz n’est qu’un simple conseiller au sein du groupe BSGR, que par conséquent il ne savait rien avant 2008, que cela lui est largement passé au-dessus de la tête, toutes ces histoires de corruption… Ils veulent aussi nous faire croire –ce qui est assez intéressant– que Mamadie Touré n’était pas la quatrième épouse du président. Ils la dépeignent sous les traits d’une sorcière qui faisait des sacrifices de poulets… Or, on se demande, dans ce cas, comment se fait-il qu’elle ait reçu, quand même, 10 millions de dollars qui sont passés par tous ces schémas et qui venaient du groupe BSGR ?

Est-ce que cet exemple -ce procès- nous apprend quelque chose des systèmes de corruption du milieu des années 2000, en direction d’un gouvernement comme le gouvernement guinéen ?

Oui, c’est vraiment ce que disait le procureur Bertossa : un cas d’école, où ont été mis à l’œuvre des montages extrêmement complexes, avec une société écran, actionnaire du projet minier, qui a pu ainsi récupérer, quand elle a revendu ses parts, l’argent qui a servi à la corruption. Ce sont des techniques qui sont, à mon avis, toujours à l’œuvre. On ne peut pas seulement parler des années 2000. Donc oui, c’est un signal vraiment fort adressé à tous ces gens, pour dire : attention, maintenant un procès a été possible. La femme de l’ancien président Conté a été considérée comme un agent public étranger, parce qu’elle était un tiers qui avait une influence sur le président, qui lui-même prenait des décisions… Donc je pense que tout cela peut faire jurisprudence et c’est de bon augure pour la suite.

Rfi