Dans les années 1930, le virus de la striure brune du manioc faisait son apparition en Tanzanie, occasionnant des pertes chez les agriculteurs. Quelques décennies plus tard, le virus qui n’apparaissait que de manière sporadique, s’entend désormais à l’Afrique orientale et centrale, mettant en jeu la sécurité alimentaire de millions de personnes. Pour les scientifiques ouest-africains : il faut prendre des mesures et empêcher l’expansion du virus ; la guerre est déclarée. C’est une guerre à gagner absolument, faute de quoi, les Africains verraient leur manioc disparaître à tout jamais.
Striure brune du manioc
Maladie de la striure brune du manioc. Crédit : www.iita.org
L’absence du manioc dans les gastronomies traditionnelles, ainsi qu’une sécurité alimentaire menacée, c’est la situation qui prévaudrait si la lutte contre le virus de la striure brune (Cassava Brown Streak Virus, en anglais) n’est pas gagnée.
Manioc
Le manioc (Manihot esculanta) est une racine tubéreuse à chair blanche, beaucoup prisées en Afrique pour ses multiples facettes culinaires. Il représente l’aliment de base de plus de 700 millions de personnes dans le monde, selon la FAO. L’Afrique est le premier producteur mondial, avec le Nigeria à sa tête. Crédit : cnlvc.ci; rfi.fr; mediaterre.org
Symptomatologie
La striure brune du manioc est une maladie virale, fortement dévastatrice. Elle occasionne des pertes qui peuvent atteindre parfois 90% à 100% chez les agriculteurs. Les symptômes se manifestent par des jaunissements (chlorose) au niveau des feuilles âgées, et par l’apparition de pourritures brunes au niveau des tiges et des racines tubéreuses (la principale partie consommée du manioc). La maladie se transmet d’une plante à l’autre principalement par un insecte vecteur appelé aleurode (Bremisia spp). Les aleurodes sont de petites mouches blanches « piqueurs-suceurs » qui se posent sur la plante pour y extraire de la sève. C’est au moment de leur repas que les aleurodes injectent le virus dans la plante.
Dans beaucoup de cas, les symptômes se limitent dans les racines, ce qui rend la détection de la maladie difficile. Ce n’est qu’au moment de la récolte que les agriculteurs s’aperçoivent de la maladie. Ceux-ci ont longtemps attribué les causes des symptômes à une trop forte humidité du sol.
Expansion du virus
Le virus dont le foyer d’origine était la Tanzanie, a atteint l’Afrique centrale et australe au bout de quelques décennies. Aujourd’hui, la maladie avance de façon certaine vers l’Afrique occidentale, une région de forte production et consommation de manioc. Cette situation pourrait occasionner une catastrophe alimentaire.
Propagation de la maladie de striure brune du manioc
Propagation de la maladie de la striure brune du manioc en Afrique. Née en Tanzanie (Afrique de l’Est), la maladie a atteint plusieurs pays d’Afrique centrale et se dirige vers l’Afrique de l’Ouest. Crédit : FAO 2014
Un programme pour empêcher son expansion
Les chercheurs ouest-Africains, percevant la menace, ont lancé la première phase du programme WAVE (Epidémiologie Virale d’Afrique de l’Ouest, en français) pour tenter d’empêcher l’expansion du virus vers l’Afrique occidentale. Ce programme – qui au départ regroupait 7 pays – rassemble les forces scientifiques et politiques de 10 pays d’Afrique occidentale et centrale à savoir le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Ghana, le Nigeria, la République démocratique du Congo, le Togo, et la Sierra Leone.
WAVE a permis de franchir de nombreuses étapes au cours de sa première phase (2015-2019). Ce furent notamment la surveillance et la cartographie des foyers de la maladie, une meilleure compréhension de l’insecte vecteur et du manioc, et l’amélioration de la détection précoce de la maladie. Au cours de sa phase 2 lancée en novembre 2019, les objectifs définis sont restés les mêmes pour la maladie (que les chercheurs appellent communément tsunami du manioc ou Ebola du manioc).
Des moyens scientifiques au service de cette lutte
Le manioc est une culture de subsistance pour beaucoup d’agriculteurs africains. Grâce au programme WAVE, plusieurs agriculteurs sont formés à la reconnaissance des symptômes de la maladie. Des laboratoires de dernières générations ont été construits
dans plusieurs pays pour renforcer les capacités de lutte. Des étudiants et des doctorants y sont formés aux domaines de l’assainissement, de l’épidémiologie, de la génétique, de la virologie, etc. Ces derniers se positionnent comme la principale arme de lutte contre la propagation de la maladie.
Une Afrique occidentale sans manioc : cela occasionnerait des pertes d’activités pour beaucoup de familles. Plusieurs secteurs tels que le textile et le commerce seraient fortement impactés. La situation deviendrait inévitablement un chaos. Un chaos qui serait engendré par un organisme invisible.