En décembre 2014, le Pape François a demandé au Cardinal Robert Sarah, le Préfet du Culte divin et de la discipline des Sacrements…
…qu’il venait de nommer, de modifier le rite du « Jeudi Saint » pour y associer des femmes.
La modification visait à autoriser les prêtres à laver les pieds des femmes lors de l’Eucharistie du « Jeudi Saint ».Ainsi, le rituel du lavement des pieds devait exprimer « pleinement la signification de ce geste de Jésus lors de la Cène ».
Robert Cardinal Sarah
Robert Cardinal Sarah, François-Régis Salefran, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Mais il eut fallu plus d’un an au prélat originaire de la Guinée (Afrique de l’Ouest) pour rédiger un décret de 370 mots actant cette modification.
Mais même après sa publication, le cardinal Sarah avait souligné que ce décret n’avait aucune force contraignante. Car les prêtres, affirmera-t-il dans un entretien accordé à des journalistes romains, « ne sont pas obligés de laver les pieds des femmes ».
« Chaque prêtre doit décider en conscience, dans le respect de ce que le Seigneur a institué au soir du Jeudi Saint » avait précisé le préfet de la Congrégation pour le culte divin.
Une Eglise – Deux sensibités différentes
Cet épisode illustre parfaitement la nature de l’opposition entre le Pape François et Robert Cardinal Sarah. La démarche du Pape se fonde sur des considérations pastorales. Il a toujours insisté sur la miséricorde de Dieu ; il voit l’Eglise comme un hôpital de campagne qui accueille à bras ouverts l’humanité souffrante.
À cet égard, il se réfère volontiers à Jean : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » [Jean 3, 16].
Jean, l’Évangéliste – Image : Varvar.Ru: Main page (in Russian), public domain
La démarche du Cardinal Sarah, quant à elle, est très souvent guidée par des considérations doctrinales. Il se met au service de son Eglise en ce qu’il défend son magistère et sa tradition. Il la défend contre vents et marées.
Et le prélat guinéen fonde lui aussi sa posture sur les paroles l’apôtre : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui; mais parce que vous n`êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait. » [Jean 15, 19].
La démission
La démission du Cardinal Sarah avait été pendant longtemps objet de spéculation. Mais depuis quelques jours, c’est officiel : Selon un communiqué de presse du Vatican, le Pape a accepté sa démission samedi.
Mais par « démission » on ne doit pas « rupture ». Le mot italien utilisé dans le communiqué est « rinuncia » – qui est un acte par lequel on signifie librement sa volonté d’être démis d’une charge ou d’une fonction.
Sarah aura 76 ans en juin. À 75 ans, les évêques de l’Eglise catholique romaine sont tenus par le droit canonique de remettre leur démission au Pape. Celui-ci est ensuite libre de l’accepter ou de la refuser.
Même étant à la retraite, le Cardinal Sarah demeurera une figure centrale pour les catholiques ayant une sensibilité portée vers la conservation des acquis doctrinaux. L’Africain dispose d’un vaste réseau, notamment dans le monde francophone.
Une « autorité » parallèle
Plusieurs partisans de la tendance conservatrice sont irrités par les priorités, mais aussi le style du Pape François. Et à leurs yeux, le Cardinal Sarah est une sorte d’autorité parallèle dont ils estiment le côté ferme et tranché.
Robert Sarah lui-même ne critique jamais le Pape. Mais ses positions, il ne les cache pas pour autant. Au contraire, il fait valoir ses points de vue publiquement, et avec une liberté de ton plutôt inhabituelle pour un haut fonctionnaire du Vatican. Le fait qu’il pourrait – même sans le vouloir – remettre par ses actions l’autorité du Pape ne semble pas être pour lui un sujet sérieux de préoccupation.
Le Pape Francois saluant la foule à la place Saint-Pierre de Rome – Image : Alfredo Borba, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
D’un autre côté, François avait, semble-t-il, trouvé un chemin pour contourner le Cardinal Préfet, lorsque ce dernier était encore en fonction. Le Pape semblait en effet préférer collaborer avec le britannique Mgr. Arthur Roche, en son temps adjoint de Robert Sarah à la Congrégation pour le Culte Divin.
La célébration de la Messe « ad orientem »
Le conflit autour de la question du rôle de la femme lors de la liturgie du « Jeudi Saint » n’a pas été le seul entre le Pape et son préfet. Une fois, François dut corriger publiquement Robert Sarah. Le cardinal avait pris sur lui de recommander aux prêtres la célébration de la messe «ad orientem».
Cette expression technique du jargon de la liturgie catholique a naturellement un sens profond dont il n’est pas ici lieu de mettre en évidence la portée théologique. On se limitera à lui donner sa signification la plus connue : celle de l’orientation du prêtre qui célèbre la messe ayant le peuple derrière lui.
Le pape François célèbre la messe ad orientem dans la chapelle de la Sainte Maison du sanctuaire de Lorette – Iamge : Vaticannews
En novembre 2019, l’évêque de Maasin (Phillippines) Mgr. Precioso Cantillas avait dans une circulaire informé « le Peuple de Dieu » qu’à parti du premier dimanche de l’avent, on célèbrera la messe dans son diocèse uniquement « ad orientem ».
L’Evêque avait motivé sa décision en se référant aux déclarations de l’ancien Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, le Cardinal Robert Sarah.
Mgr. Precioso Cantillas – Image : Council of the Laity of the Phillippines
Robert Sarah, selon Mgr. Cantillas, « a invité tous les prêtres à la célébration de la Messe ad orientem ». Il est donc très important qu’il y ait » le plus rapidement possible une orientation commune » des prêtres et des fidèles dans le service divin, avait déclaré l’Evêque de Maasin.
Le Cardinal Sarah avait, en effet, déclaré lors de la conférence «Sacra Liturgia» en juillet 2016 à Londres que les prêtres, chaque fois que cela serait possible, devraient se tourner vers l’Est pour célébrer la messe.
« Aussi, chers frères dans le sacerdoce, je vous demande de mettre en œuvre cette pratique partout où cela sera possible, avec la prudence et la pédagogie nécessaire, mais aussi avec la confiance, en tant que prêtres, que c’est une bonne chose pour l’Eglise et pour les fidèles ».
La réaction du Pape sur cette question ne tardera pas. Le porte-parole du Vatican, le Père Frederico Lombardi, avait fait une déclaration, dans laquelle il rappelera clairement la position du Pape.
Cette déclaration disait en substance : 1) La célébration « ad orientum » est l’eception. 2) La célébration ordinaire (la plus connue) selon le missel de Paul VI constitue la règle. Il n’y a aucune instruction du Vatican selon laquelle les prêtres doivent célébrer la messe «ad orientem».
« Le Cardinal Sarah est à juste titre préoccupé par la dignité de la célébration de la Messe, que celle-ci soit célébrée d’une manière qui exprime suffisamment une attitude de respect et d’adoration pour le Mystère Eucharistique. Toutefois, certains de ses propos ont été mal interprétés. », pouvait-on lire dans la déclaration du Père Lombardi.
« J’entends parler Luther »
Que fera le Cardinal Sarah à présent ? Bien qu’il ne soit plus aux affaires, il demeure pour de nombreux catholiques conservateurs une sorte d’antithèse par rapport au Pape François. Il ne manquera certainement pas d’intervenir dans le débat public et de faire valoir ses points de vue.
Mais ce faisant, que Robert Sarah soit soucieux de ne pas prendre – sans le vouloir – la posture de Luther et du protestantisme. Se prononçant une fois sur Mgr. Marcel Lefèbvre, le fondateur de la confrérie sacerdotale « Saint Pie X » (cette confrérie sera plus tard en opposition ouverte avec le Vatican), le Préfet allemand pour la doctrine de la foi, le Cardinal Joseph Ratzinger, aurait une fois dit en sa langue maternelle : « Ich höre Luther sprechen » – « J’entends parler Luther ».
Robert Cardinal Sarah – Ratzinger
Joseph Cardinal Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctine de la foi – Image : National Catholic Register
En le disant, Ratzinger pensait à cette posture (propre aux extrêmes) qui consiste à empiéter sur l’autorité du Pape en pointant publiquement du doigt ses défaillances propres ou celles de sa gouvernance. MN
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