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« La Guinée, cinquante ans d’indépendance et d’enfer », Tierno Monénembo après le massacre du 28 septembre 2009

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Le drame de mon pays ne doit pas rester sans visage, sans nom, sans sens, sans trace. Il doit gronder, enfler, et se soulever comme les ouragans de chez nous pour réveiller cette satanée « conscience collective » si prompte à se voiler la face et à ronfler dès que l’odeur de la tragédie dépasse certaines frontières.

La folie inguérissable de l’économie mondiale, les suicidés des nouvelles technologies, les migraines des stars de la télé-réalité ne doivent plus l’occulter. Je refuse de croire qu’il y a un droit pour les nantis du Nord et un autre pour les gueux du Sud, une information pour la première classe et une autre pour la seconde, comme pour les trains ou les toilettes de l’apartheid.

La Guinée se meurt, le monde a le droit de le savoir, le monde a le devoir de s’en indigner. Les Guinéens méritent la compassion des autres nations. La mondialisation ne doit pas demeurer un vain mot. Et de grâce, ne mondialisons pas que les crises boursières et les gadgets, mondialisons aussi les cris de joie et les larmes !

Je veux que le sang versé le 28 septembre en Guinée fasse pleurer dans les chaumières de France et de Navarre, de Sibérie et d’Alaska, de Taïwan et de Zanzibar ! C’est mon droit de terrestre, c’est mon devoir de vivant, c’est ma foi d’être humain (oh, je sais que dans notre monde postmoderne et ultra- civilisé, il est presque devenu indécent de prononcer ce mot- là) !

Oui, la Guinée se meurt, et il y a cinquante ans que cela dure : cinquante ans d’indépendance, cinquante ans d’enfer ! Hier, le fameux camp Boiro où 50 000 personnes (prêtres, marabouts, ingénieurs ou médecins pour la plupart) ont disparu dans les mains du sanguinaire Sékou Touré. Hier, le sinistre général Lansana Conté mort tranquillement dans son lit malgré ses spectaculaires tueries de janvier 2007. Aujourd’hui, Dadis Camara, un anonyme capitaine mais qui, au vu de ce qui se passe en ce moment à Conakry, ne tardera pas à avoir un nom… derrière ceux de Pol Pot, de Bokassa, de Karadzic et de Charles Taylor.

Dadis est un assassin ! Arrivé au pouvoir en décembre 2008 – cette brave armée guinéenne ne commet de coups d’Etat que contre les cadavres, ne connaît de faits de guerre que contre les vieilles femmes et les enfants ! -, « Dadis », comme l’appellent ses compatriotes, avait promis d’organiser des élections et de rejoindre aussitôt sa caserne pour le plus grand bien de l’humanité.

Il passe pour un ignare. Il sait néanmoins que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Son intention de se présenter à la prochaine présidentielle ne fait plus de doute. Ce revirement a soulevé une grande colère chez ses compatriotes. Dans toutes les villes du pays, les Guinéens ont manifesté. Ce lundi 28 septembre, un grand rassemblement devait se tenir sous l’égide des principaux leaders de l’opposition. Il s’est achevé dans un épouvantable bain de sang. On ne saura probablement jamais le bilan réel de ces massacres de septembre, version tropicale : des camions militaires s’empressent de ramasser les cadavres et de les enterrer à la sauvette.

La Guinée est au bord du chaos avec un risque sérieux d’embraser l’ensemble de la région. La communauté internationale doit redoubler sa pression sur la junte criminelle de Conakry. Les propos menaçants, les tergiversations, les belles formules diplomatiques ne sont plus de mise. Ces massacres créent une nouvelle situation sur la base de laquelle tous les discours et tous les actes doivent se fonder dorénavant. Dadis est un assassin !

La Commission internationale ne doit plus fermer les yeux. Elle doit de toute urgence dépêcher une commission d’enquête à Conakry afin d’établir le bilan des victimes, de désigner les coupables et de les traduire devant le TPI de La Haye. En droit, il existe le délit de non-assistance à personne en danger. A quand le délit de non-assistance à peuple en danger ?


Tierno Monénembo est écrivain guinéen, auteur du Roi de Kahel (Seuil), prix Renaudot 2008.

Avec lemonade.fr