Ces récentes chroniques font jaser. Dans une causerie avec votre satirique, l’écrit-vain Tierno Monénembo répond qu’il n’a « rien à faire avec les chenilles qui grouillent dans les sous-sols du net ». Entre deux rendez-vous, nous avons pu échanger avec le détenteur, entre autres, du Prix Renaudot 2008, Grand Prix de la Francophonie 2017. Auteur d’une dizaine de romans et quelques pièces de théâtre, Tierno Monénembo «continue d’écrire, malgré l’âge, c’est une passion, l’écriture. C’est un jeu, mais quand on s’y pique, on finit par en faire son destin. Je n’ai pas choisi à l’origine d’être écrivain, comme Sassine d’ailleurs. Sassine était mathématicien, j’ai fait des études de biochimie, Amadou Kourouma a fait des études de Mathématiques, Birago Diop était médecin vétérinaire, Camara Laye, mécanicien automobile. L’écriture, c’est pour tout. Il y a des chauffeurs de taxi qui deviennent écrivains. Il y a même des présidents qui écrivent des romans. C’est pour vous dire que ce n’est pas un métier, c’est à la portée de tout le monde.»
La documentation est une nécessité dans un pays comme le nôtre. Malheureusement, elle n’a jamais été un sujet de préoccupation. Il y a tellement de choses qui se perdent. Quand j’ai commencé à écrire mon roman sur Olivier de Sanderval, je suis venu en Guinée pour essayer de trouver des traces de ce Monsieur, pratiquement, je n’ai pu rien trouver. Djibril Tamsir Niane m’a donné quelques éléments, il n’en avait pas beaucoup. J’ai l’impression qu’ici, la mémoire est dans les caniveaux. Les Guinéens ne s’intéressent pas à la mémoire, je crois que ce n’est pas leur problème. Des gens écrivent ou se confient sur des bandes magnétiques pour rien du tout. Je me souviens qu’en 1968 ou 1969, Djibril Tamsir Niane avait fait le tour de l’ensemble des préfectures, il a recueilli des témoignages sur l’Histoire de la Guinée, il avait enregistré sur des bandes magnétiques. Il avait même fait une exposition à la permanence de Conakry, au stade du 28 Septembre. Aujourd’hui, où sont ces bandes magnétiques ? Elles ont dû être dévorées par les termites, les rats ou pourrir dans les caniveaux. En Guinée, la mémoire n’intéresse personne. A partir du moment où un peuple perd ses mémoires, toutes les bêtises sont possibles, tous les mensonges sont possibles. On peut créer n’importe quel mythe dans le vide de la mémoire. C’est ce qui nous arrive. Il n’y a plus que Sékou Touré en Guinée. C’est le plus grand menteur. C’est lui qui a entretenu ce mythe-là depuis 1958. On n’arrive pas à en sortir. Parce que, justement, nous n’avons pas de traces. Pourtant, les peuples laissent des traces, chaque vivant laisse des traces. Mais ici, à mon avis, le meilleur lieu pour ces traces, c’est la mémoire des hommes. Si nos ancêtres se sont battus, c’est pour qu’il y ait une trace dans nos mémoires. Or, les griots ne sont plus là pour rafraîchir notre mémoire, et les salles de documentation modernes sont embryonnaires. C’est le vide culturel, difficile à combler.
On savait Williams Sassine un marginal. Est-ce votre cas ?
Sassine avait cultivé la marginalité. C’est important de le rappeler. La marginalité chez les écrivains africains est une nécessité. Je me souviens, un jour, d’avoir posé la question à Kateb Yacine en Egypte : « Comment survivez-vous dans un tel système, la dictature du FLN (Front de libération nationale), les intégristes autour ? ». Il dit : « J’ai appris à cultiver la marginalité. Quand tu es en dehors du circuit, tu leur échappes par la main et par l’esprit. Sassine a cultivé ça en Guinée, et il a survécu pendant longtemps dans un système, dans un pays aussi cruel que la Guinée, où l’intellectuel est sur l’échafaud déjà. C’est un cas général. Au Mali, mon Moussa Konaté a fait pareil et en Côte d’Ivoire, Jean-Marie Adiaffi. On est obligés d’être des marginaux. Sinon, ils vont te dévorer. Chez moi, ce n’est même pas une position, c’est un réflexe. Tu ne me vois jamais dans les circuits officiels. Ça ne m’intéresse pas.
Vos tribunes enchantent certains de vos compatriotes, n’enchantent pas d’autres. Ça vous dit rien ?
Tout dépend de la réaction. Si elle est formelle, oui. Mais, je ne vais pas fouiller dans les sous-sols du net. Je n’ai rien à faire avec les chenilles qui grouillent dans les sous-sols du net. Ça ne m’intéresse pas. D’ailleurs, les réseaux sociaux, je ne les fréquente pas. Et puis, je n’écris pas pour discuter, j’écris pour exprimer une colère. Je ne vais pas polémiquer avec des gens. Je m’attaque au système en place. Ceux qui tournent autour du système ne m’intéressent pas. Moi, c’est Alpha Condé, ou maintenant Mamadi Doumbouya qui commence à déconner. C’est tout ! Moi, j’attaque la tête.
Saharienne indigo est le dernier né de vos romans. C’est parti d’où ?
Quand je suis arrivé en Guinée en 2012, je suis rentré définitivement, j’avais l’ambition d’écrire un roman qui raconterait toute l’histoire de la Guinée, toute la douleur de la Guinée, à travers une jeune fille d’aujourd’hui. Ça a duré sept ans. Le roman est sorti hier (7 janvier 2022, NDLR). Le titre Saharienne indigo n’est pas de moi. Moi, j’avais appelé ça Les vies et les morts de Véronique Bangoura. L’éditeur a dit que le titre est trop long. Il a appelé « Saharienne indigo », le personnage secondaire du romain. C’est l’histoire d’une jeune fille née au Camp Boiro et qui vit une vie terrible en Guinée. Ensuite, en France. Une vie décousue, faite de larmes et de sang.
Vous avez récemment déclaré que comme les historiens guinéens, africains en général n’ont pas pleinement joué leur rôle, vous, les littéraires, vous allez le faire à votre manière…
Nous allons combler l’histoire africaine à travers le roman. Je dis qu’ils n’ont pas fait leur travail parce qu’ils ont passé leur vie à polémiquer avec l’Occident. La polémique était nécessaire à un moment donné. Mais on ne peut pas passer tout le temps à cela. Il fallait qu’ils nous racontent notre histoire à nous-mêmes, sereinement. Il faut bien que les Africains connaissent leur histoire. Et notre histoire n’est pas que dans la contradiction avec l’Occident. Elle a sa structure interne, son déroulement interne. Ensuite, les histoires des indépendances africaines ont été très mal racontées. Elles tournent toujours autour d’une personne ou deux. L’histoire guinéenne, par exemple, est très mal connue par les Guinéens. L’histoire de l’indépendance algérienne, l’histoire de l’indépendance du Congo, du Ghana, du Zimbabwe. Toutes ces histoires sont tellement peu racontées qu’on a laissé la place aux démagogues.
Ce qui fait que des choses qui se sont passées hier deviennent des mythes. Les réalités sont complètement balayées pour faire de la place aux discours, aux mises en place, aux gesticulations. Ce travail-là doit être comblé par la fiction. On va reprendre tout cela, le raconter à travers le roman. On va faire le travail que n’a pas fait l’historien.
La transition guinéenne et celle malienne ont beaucoup de traits communs. Cela vous intrigue-t-il ?
Ça ne m’intrigue pas, ça m’inquiète. La transition malienne est en train de s’engluer depuis longtemps. Il y a dans les deux cas des dynasties militaires en préparation. Ces gens ne sont pas prêts à partir. A partir du moment où on ne donne pas le délai de la transition, c’est qu’on a envie de durer. Alors que c’est son devoir de donner au peuple la durée de la Transition. On ne fait pas ce qu’on veut quand on est au pouvoir dans une transition. Il a le devoir de donner également la liste du CNRD. Aussi de mettre en place le CNT, qui va donner un caractère juridique à cette transition. On est dans le flou, dans le brouillard. Et au Mali, on parle d’une transition de 5 ans. C’est un mandat ça ! Regardez ce qui se passe au Soudan. Vous savez, les militaires africains, une fois au pouvoir, ils prennent goût à l’argent, ils vont se mettre à se canarder entre eux, pour une histoire de caisse de bières.
Interview réalisée par
Th Hassane Diallo in lynx