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« Nouvelle vie d’Alpha Condé ou l’impitoyable destin d’un homme », Habib Yimbering

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Nouvelle vie d’Alpha Condé ou l’impitoyable destin d’un homme
Alpha Condé a repris sa vie d’antan. Entrant et sortant du territoire guinéen sans tambours ni trompettes. Comme il vient de le faire pour la deuxième fois depuis son renversement en septembre 2021. Une nouvelle autorisation de sortie, qui confirme qu’Alpha Condé est tout sauf libre, vient de lui être accordée. Car un homme libre n’a point besoin d’autorisation pour aller et revenir. Il ne pouvait en être autrement. Pour le nouveau pouvoir, sommé de l’intérieur comme de l’extérieur de rendre à César ce qui appartient à César, laisser le président déchu totalement libre serait risqué voire suicidaire. Mais ce n’est pas notre sujet. Revenons donc au destin d’un homme hors du commun.
Alpha Condé naquit en 1938 à Boké en Guinée sous domination coloniale. Quand il grandit, la contestation contre la colonisation commence à faire boule de neige sur le continent. Très tôt, il se retrouve dans la Métropole où il fait la connaissance d’autres Africains et Antillais qui n’ont qu’un seul discours : rendre à l’Afrique son indépendance et sa dignité. Mais à l’accession de la Guinée à l’indépendance, les ainés ne laissent aucune place aux jeunes. Le principal acteur de cette indépendance, qui ne tardera pas faire ce qu’il reprochait au colon, se méfie de tous les autres contestataires. En particulier du jeune Alpha Condé.
Quand les complots réels ou imaginaires commencent et que le nouveau pouvoir, devenu paranoïaque, voit partout l’ennemi, l’ancien président des étudiants d’Afrique noire est soupçonné d’être parmi les contre-révolutionnaires. Il est condamné par contumace. Il faudrait attendre la mort de Sékou Touré, suivi de l’amnistie accordée aux condamnés pour qu’Alpha Condé revienne au bercail. Mais l’état de grâce entre l’ancien exilé et le nouvel homme fort de la Guinée sera de courte durée. Parce que le premier ne veut rien d’autre que le fauteuil du second.
Dans un discours mémorable prononcé avant même le fameux discours de la Baule au cours duquel François Mitterrand, alors président français, conditionne désormais l’aide française à la démocratisation de l’Afrique, le chef de l’Etat guinéen s’engage à instaurer le multipartisme. Plus tard, la Guinée a été l’un des rares pays d’Afrique francophone à n’avoir pas organisé une conférence nationale souveraine. Partout ces conférences ont balayé les partis uniques. Le monde est de plain-pied dans la Glasnost et la perestroïka, concepts initiés par Michael Gorbatchev, dernier président de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS).
Mais revenons en Guinée où le président Conté passe de la parole à l’acte. Les partis politiques sont autorisés. Alpha Condé est l’un de tous premiers à faire légaliser le sien en 1992. Le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) remplace le Rassemblement des patriotes guinéens. Lequel avait lui-même succédé au Mouvement national démocratique MND, cofondé en 1977 par Alpha Condé, Alfa Ibrahima Sow et Khalifa Bayo, puis au parti Unité, justice et patrie. L’objectif de la nouvelle formation politique est bien évidemment de prendre le pouvoir par les urnes. Alpha Condé multiplie les retours au pays. Il implante son parti. Surtout dans son fief naturel en Haute Guinée où il est une véritable idole. Le contexte était plus que favorables après les événements douloureux de juillet 1985.
Malgré l’autorisation de partis politiques, le pouvoir militaire considère ces partis en général et le RPG en particulier comme subversifs. Son président devient la bête noire du régime. Déjà en mai 1991 Alpha Condé avait organisé un meeting non autorisé au stade municipal de Coléah. La police disperse violemment ce rassemblement. Le numéro 1 du parti n’a eu d’autre choix que de prendre la poudre d’escampette. Tel un sportif de grande renommée, Alpha Condé grimpe le mur de la cour du stade pour se sauver. D’où l’origine du sobriquet que l’hebdomadaire satirique le Lynx lui collera à vie : Le Grimpeur.
Mais Alpha Condé n’abandonne pas le combat. Bien au contraire. Même si, dans son fief, la répression devient de plus en plus insupportable pour les militants. Le RPG participe pour la première fois à la présidentielle de 1993. Selon beaucoup d’observateurs, sans la machine de fraude électorale mise en place par le PUP, Alpha serait, au pire des cas, à un second tour avec le président sortant. L’annulation des voix dans son fief lui barre le chemin du palais présidentiel. Le leader du RPG, devenu le principal opposant au régime, retourne à Paris.
En 1998, une nouvelle fois, Alpha Condé participe à la présidentielle du 14 décembre. Cette fois il est arrêté à la frontière guinéo-ivoirienne le 15 du même mois et conduit à Conakry. Condamné à 5 ans de réclusion criminelle le 11 septembre 2000, le symbole de la résistance contre la dictature passera 18 mois en prison avant d’être libéré. Après sa sortie de prison, le président du RPG gardera profil bas. Comme si ses marabouts lui avaient recommandé de rester tranquille jusqu’à la mort de son adversaire, l’homme a donné l’impression d’avoir capitulé.
La disparition du président Conté, le 22 décembre 2008, devait permettre à l’opposant historique d’accéder enfin au pouvoir. C’était sans compter avec le bouillant capitale Moussa Dadis Camara qui a pris le pouvoir. Celui-ci cède à peu à la tentation. La classe politique s’organise. Mais le leader du RPG met en application le dicton populaire selon lequel « celui qui a entendu parler d’un danger, celui qui a vu ce danger et celui qui y a échappé de justesse ne détalent jamais de la même manière ». Quand les forces vives de Guinée organisent le grand meeting le 28 septembre 2009 au stade du même nom, le président du RPG est loin de la capitale guinéenne. Ses pairs de l’opposition sont proprement corrigés. Leurs militants tués, d’autres violées.
Après ces massacres, la junte a scellé son sort. Une nouvelle transition est mise en place. Alpha Condé, doyen de l’opposition, est en ordre de bataille. Malgré tout, l’homme qui a marqué la vie politique du pays les 20 dernières années, n’obtient que 18% de suffrages au premier tour de l’élection présidentielle de 2010. Mais il n’a pas dit son dernier mot. Au prix de mille subterfuges, il réalise enfin son rêve. L’opposition historique devient président de la République le 21 décembre 2010.
Cinq ans plus tard, sa réélection ressemble à une simple promenade de santé. C’est son deuxième et dernier mandat constitutionnel. Mais l’homme a pris goût du pouvoir. Malgré la protestation de l’opposition, une partie de la société civile et de la presse, le vieux, aidé par ses thuriféraires, organise un référendum très controversé pour modifier la constitution afin de lui permettre re régner à vie. Ce fut un tourant décisif dans le destin implacable de cet octogénaire.
Si le président Alpha Condé avait respecté la constitution de 2010, il serait aujourd’hui l’un des hommes les plus respectés du continent noir. L’opposition aurait considéré ses morts comme perte et profit. Les Guinéens en général auraient estimé que son bilan économique des plus médiocres est à mettre au compte de son lourd héritage. Et la communauté internationale l’aurait proclamé l’homme qui a consacré toute sa vie à la lutte pour la démocratie et l’Etat de droit. Malheureusement pour lui, son destin aura voulu autrement. L’homme est aujourd’hui comme il était il y a 20 ans : toujours la bête noire du régime et sous haute surveillance. Avec toutefois une différence de taille : ses 11 années d’exercice du pouvoir ont fait tomber le masque.
Habib Yimbering