Le recours excessif à la force lors des manifestations de rue, des arrestations n’obéissant pas au code de procédure pénale sont entre autres pratiques déplorées pendant les dernières heures de gouvernance d’Alpha Condé.
Malgré l’éviction de ce dernier, les mêmes actes sont constatés et regrettés par les organisations guinéennes et internationales de défense des droits humains. Pour le président de l’OGDH, « c’est l’espoir qui est en train de s’estomper ».
Contrairement à Souleymane Bah, le retour aux anciennes pratiques ne surprend guère le président de l’observatoire national des droits de l’homme.
A la faveur d’une interview accordée à notre rédaction, le directeur du Centre d’analyse et d’études stratégiques a fait remarquer que le système reste le même. Avec lui, nous avons abordé de nombreux sujets d’actualité.
Mosaiqueguinee.com : Plusieurs mois après l’éviction d’Alpha Condé, nous assistons à des scènes de protestation soldées par des arrestations nocturnes de leaders et des tueries de manifestants. Pour certains guinéens, c’est le retour aux anciennes pratiques. Comment analysez-vous cette situation ?
Aliou Barry : La continuation de ces pratiques est à mon avis pas étonnant car les acteurs de ce système répressif sont les mêmes qui œuvraient sous la gouvernance de monsieur Alpha Condé. D’ailleurs, si vous vous souvenez les noms des principaux responsables actuels du CNRD à savoir monsieur Mamadi Doumbouya et Balla Samoura entre autres figuraient déjà sur la liste du FNDC comme responsables des répressions sur les manifestants à l’époque du pouvoir d’alpha Condé. Et par naïveté, le FNDC a cru bon d’enlever leurs noms pour donner une chance à la nouvelle la transition. A mon humble avis, il n’y a pas eu une transition le 05 septembre 2022 mais la continuation d’un système où les acteurs d’aujourd’hui étaient les hommes du système d’hier. La question qu’il vaille se poser, c’est celle de savoir quel a été le but de ce coup de force ? J’ose espérer que des historiens guinéens se pencheront sur cette date du 05 septembre en raison de nombreuses zones d’ombre et des raisons qui ont conduit à ce coup d’état.
Le G5 (Nations-Unis, CEDEAO, Union Européenne, États-Unis, France) a d’ailleurs déploré le recours excessif à la force et l’utilisation alléguée d’armes létales pour le maintien de l’ordre. Des déclarations qui viennent fortifier le rapport du FNDC à ce propos. Quelle lecture faites vous de cette réalité ?
Aujourd’hui devant une telle barbarie même la CEDEAO et le G5 qui ont été si conciliants avec cette junte ne contiennent plus leur désapprobation devant ces actes d’une telle cruauté. Et surtout le fait qu’à chaque manifestation de l’opposition et du FNDC, les ressortissants d’une même communauté, les jeunes peulhs de l’axe sont les principales cibles. Mais je crains le pire car le CNRD a franchi une étape qui risque de faire basculer la ville de Conakry dans une guerre civile. Quand la police s’entoure de contre-manifestants pour réprimer des manifestants, c’est le point de mon retour. C’est pourquoi, il n’est pas tard pour cette junte de se ressaisir et passer la main à un gouvernement civil issu d’élections transparentes et ce, le plus rapidement possible. Cette junte a montré ses limites aussi bien dans la gestion de la chose publique que la conduite de la transition.
Pour moult observateurs, c’est l’absence d’un cadre de dialogue approprié et le manque de transparence dans le déroulement de la transition qui sont à l’origine de ces mouvements sociaux. Est-ce que vous êtes de cet avis ?
Le CNRD depuis sa prise du pouvoir n’a jamais voulu instaurer un dialogue franc et sincère avec la classe politique et la société civile. Aujourd’hui les Guinéens dans leur grande majorité ont compris que cette équipe n’est pas venue pour céder le pouvoir à un gouvernement civil. La junte au pouvoir use de tous les stratagèmes et astuces pour contrôler la transition par la mise en place d’un CNT qui n’est que l’anti chambre du CNRD, un gouvernement inefficace, une sélection d’acteurs politiques à leur dévotion. Mais le CNRD oublie une chose, rien ne peut arrêter la détermination d’un peuple en colère contre une dictature.
En ce qui concerne la durée de la transition, le président en exercice de la CEDEAO a récemment indiqué que les militaires au pouvoir ont accepté un délai de 24 mois. Une affirmation démentie par le ministre de l’Administration du territoire. Est-ce que le CNRD ne cache-t-il pas l’ambition de s’éterniser au pouvoir ?
Pensez-vous qu’un chef d’état de surcroît président en exercice de la CEDEAO peut se permettre de faire une telle déclaration s’il n’avait pas l’accord du CNRD ? A mon humble avis cette affirmation du président Bissau-guinéen fait suite à un entretien et un accord du CNRD. Peut-être qu’il y a eu incompréhension sur le timing. Mais voir que c’est le ministre de l’Administration du territoire qui vient apporter ce démenti à travers les réseaux sociaux montre le manque de courtoisie et la méconnaissance des usages diplomatiques qui frise l’amateurisme.
Le ministre de la Justice a d’ailleurs menacé d’interdire les activités des mouvements qui n’ont pas une base légale notamment, le FNDC. Vu ce positionnement du gouvernement de transition, à quoi peut-on s’attendre M. Barry ?
Le ministre de la Justice n’a ni les moyens ni la possibilité d’interdire le FNDC. Mais s’il s’engage dans cette voie je crois qu’il sera comptable de l’instabilité politique qui va naitre dans le pays. Ce qu’ignore le ministre de la Justice, même s’il arrive à ses fins, il y aura un autre mouvement qui sera plus puissant que le FNDC. Il faut qu’il comprenne que nul ne peut s’opposer à des forces sociales qui ont l’adhésion populaire. Une telle organisation du type FNDC dans le monde entier n’a besoin ni d’agrément ni d’autorisation, malheureusement notre ministre de la Justice l’ignore mais il le comprendra à ses dépens.
In mosaiqueguinee