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« La CEDEAO doit cesser d’être un club de chefs d’État », Oumar Kateb Yacine de l’Institut Afrique Émergente

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Après l’élection du chef d’État nigérian, Bola Ahmed Tinubu, comme président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO),  nous avons rencontré Oumar Kateb Yacine de l’Institut Afrique Émergente, un think tank citoyen engagé. Dans cet entretien, ce consultant-analyste donne son analyse sur la portée du choix au nouveau président du Nigeria qui affiche son ambition de mettre fin aux changements anticonstitutionnels et promouvoir l’instauration et la consolidation de la démocratie dans l’espace de la CEDEAO.

Mediaguinee: A l’issue de la 63ᵉ session de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le dimanche 9 juillet à Bissau, le tout nouveau chef d’État nigérian, Bola Ahmed Tinubu, a été élu à l’unanimité nouveau président en exercice de l’organisation. N’est-ce pas un effet de surprise?

Oumar Kateb Yacine: Si d’un côté, on considère qu’il est nouvellement arrivé au pouvoir, (il a été installé en mai dernier), on peut le dire ainsi. Mais si on prend l’autre côté, c’est-à dire le poids que représente le Nigeria dans la sous-région, ce n’est pas une surprise. Le Nigeria quand même c’est le pays le plus peuplé de  l’Afrique (213,4 millions d’habitant), c’est la première économie du continent avec un PIB de 477 milliards de dollars en 2022 . C’est la 4ème puissance militaire du continent derrière l’Egypte, l’Algérie, l’Afrique du Sud selon Global Fire Power.

Sinon on sait que jusqu’à l’ouverture du sommet, on murmurait les noms du Niger ou du Bénin pour conduire les destinées de la CEDEAO. Même la Sierra Leone nourrissait l’ambition de voir son président, Julius Madabio, (fraîchement réélu à la tête de son pays pour un second et dernier mandat) au sommet de la Communauté sous-régionale.
Mais ce qui semble se dégager, les chefs d’État avaient besoin de quelqu’un dont la voix peut porter loin, au-delà des frontières de la CEDEAO et plus représentatif au niveau de la Communauté internationale,  là où se font et se défont tous les grands enjeux. Ils ont misé sur un anglophone dirigeant le pays le plus puissant de notre sous-région.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’aujourd’hui la démocratie et la bonne gouvernance se portent mieux dans les pays anglophones que dans ceux relevant de la francophonie.
Ah bon?
Tout à fait! Promenez votre regard sur la carte du continent. Évaluez pays par pays l’évolution des vertus démocratiques et des bonnes gouvernances. C’est dans les anciennes colonies françaises que continuent de sévir les dictatures les plus féroces avec des présidents à vie ou des présidences transmises du père au fils. Actuellement les trois régimes putschistes en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali et Guinée) et celui du Centre (le Tchad) sont tous de cet espace.
D’accord, mais aussi, parmi les meilleures écoles de la démocratie en Afrique on cite le cas du Sénégal et du Bénin?
Tout à fait. Mais n’oublions pas que ces pays ont une longue tradition de choisir leurs représentants par élection. Depuis la colonisation! Lorsque les habitants des villes de Saint Louis et de Dakar (au Sénégal), Porto-Novo (au Dahomey, devenu Bénin),  étaient déclarés « citoyens » par l’administration coloniale.  Même si ce n’est pas tout l’argumentaire pour expliquer aujourd’hui le niveau d’avancement démocratique dans ces pays, c’est quand même un point de départ à ne pas oublier. Par ailleurs, il y a le Cap Vert dont on parle moins où la démocratie se porte bien. Dans ce pays lusophone, les élections se font régulièrement sans accrocs et il y a moins de corruption.
Comment  peut-on expliquer cela?
Le problème dans les pays francophones d’une part c’est l’immiscions de l’ancienne métropole dans la gestion de ces États. C’est le seul endroit au monde où existe encore une monnaie coloniale, le FCFA, usitée dans 14 pays. Soit 63 ans après les indépendances! Et d’autre part, les présidents de nos pays, à des rares exceptions, ont simplement pris la place du gouverneur colonial, pour demeurer toujours des valets de Paris.
D’accord, revenons à notre sujet du jour.
D’accord!
Le président Bola Ahmed Tinubu dès son installation a annoncé les couleurs lorsqu’il déclare: « Nous n’allons plus tolérer les coups d’État successifs dans la région ! ». Est ce qu’on peut le prendre au sérieux?
Ce n’est pas lui qu’on doit prendre au sérieux. C’est à l’institution de prouver aux peuples que désormais, elle est à leur côté. La CEDEAO doit redorer son blason en cessant d’être un club de chefs d’Etat. C’est-à-dire lorsqu’un de leurs se lève, tripatouille la Constitution de son pays, violente sa population qui ne réclament que ses droits naturels et civiques, c’est motus et bouche cousue. Mais dès que l’un d’eux est évincé de son fauteuil, ils crient au scandale et demandent le retour à l’ordre constitutionnel. En 2020, ils n’ont pas eu le courage de condamner Alpha Condé et Alassane Ouattara pour avoir organisé des coups d’État constitutionnel et s’octroyer un mandat de plus en dépit des fortes contestations populaires réprimées dans le sang; au contraire, ils leur ont adressé des félicitations et  pris part à leurs investitures. Quelle forfaiture!
Récemment au Sénégal lors des dernières manifestations meurtrières, Umaru Sissoko Embalo, alors président en exercice de la CEDEAO, a considéré ces tristes événements comme une cuisine interne de Dakar. Heureusement, Macky Sall, comprenant bien la situation, a su éviter à son pays le chaos, en renouvelant son engagement de finir son présent mandat et partir après avoir passé le relais à un autre Sénégalais démocratiquement élu.
Tout compte fait Monsieur Bola Tinubu a exprimé son intention de mettre fin aux putschs militaires et de promouvoir la démocratie durant son mandat. C’est une excellente chose. Mais par quel moyen? Il a évoqué le cas d’une force d’interposition pour déloger des éventuels putschistes et de combattre le terrorisme. Tout est question de volonté politique et des gros moyens financiers. Or les Etats sont pauvres, certains peinent même à la caution au sein de l’institution. L’ECOMOG, créée en 1990 a laissé un goût amer lors de ses interventions pendant les guerres au Liberia, en Sierra Leone ou en Guinée Bissau. D’ailleurs c’est son pays qui en était la pièce maîtresse suivi du Ghana, de la Guinée et du Sénégal. Donc, il faut chercher le financement auprès des pays nantis. Et, il se trouve que les présents conflits que connaissent nos pays sont artificiellement créés suite aux guerres d’intérêts entre les grandes puissances, celles susceptibles de débourser l’argent.
Pour finir, est ce qu’on peut s’attendre à des nouvelles sanctions contre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ?

Attendons de voir. Comme le nouveau président en exercice annonce un sommet extraordinaire dans un mois qui doit se pencher sur les transitions dans ces trois pays.  « Dans le cas où le temps imparti pour la transition dans ces trois pays n’est pas respecté, des sanctions majeures pourraient tomber. » a fait comprendre le président de la commission de la Cédéao, Omar Alieu Touray. Reste à savoir si les juntes vont se plier aux conclusions de la CEDEAO. Je ne le crois pas tellement dans la mesure où ces gouvernements de transition se conduisent parfois de manière arrogante en brandissant le souverainisme. Parce qu’ils comptent sur leurs supposés « parrains » qui ne sont que les puissances formant ce qu’on appelle la communauté internationale. La réalité est que  l’Afrique, malheureusement, reste toujours un champ de guerre d’intérêts entre les superpuissances.

Kate yacine in mediaguinee