Comment rester indifférent au cri du cœur que lance, notre compatriote Kalémodou Yansané aux différentes catégories de notre société, aux intellectuels et aux religieux, en particulier ?
Comment ne pas partager l’émotion qui le saisit quand il appelle à l’éveil des consciences, quand il implore le dialogue pour sauver pendant qu’il est encore temps ce pays au bord de l’abîme ?
Dialoguer, oui, mais dialoguer avec qui ? Dialoguer oui, mais sur quoi ?
Avant d’apporter un début de réponse à ces deux questions déterminantes, faisons d’abord le point de la situation, pointons du doigt ce qui bloque et établissons-en les responsabilités.
De quoi s’agit-il ? Il ne s’agit pas d’un litige. Il s’agit d’une infraction, que dis-je, d’une profanation. Mamadi Doumbouya viole aux yeux de tous, la Charte de la transition, charte qui, comme tout texte institutionnel revêt de fait, un caractère sacré.
Cette charte, personne ne la lui a imposée, elle a été établie en accord avec les Forces Vives de la Nation, elle a été avalisée par la communauté internationale. C’est sur elle que notre putschiste du 5 Septembre a prêté serment. C’est ce cache-sexe-là qui le protégeait de la nudité juridique totale.
A partir du moment où lui-même l’a foulée aux pieds, son pouvoir n’a plus aucune raison d’être. A partir du 31 janvier 2025, il ne jouit plus d’aucune légitimité, il ne représente plus rien que sa propre personne, le citoyen guinéen ne lui doit donc plus ni égard ni obéissance.
Cette cruelle réalité ne souffre d’aucune discussion. Aucun artifice juridique, aucune gymnastique intellectuelle ne peut la contester. Mais comme vous le dites, vous-même, Kalémodou Yansané, le pays est au bord du gouffre, du fait de la mauvaise foi de ce régime qui a volontairement retardé et le référendum constitutionnel et tous les autres éléments ayant trait au chronogramme électoral, on peut toujours discuter pour lui ménager une porte de sortie honorable : on pourrait prolonger la transition de quelques mois à condition qu’il renonce solennellement à se porter candidat comme le stipule la charte qui l’a investi.
Dialoguer, nous, on veut bien, mais avec qui ? Comment voulez-vous dialoguer avec un homme qui ne respecte pas sa parole donnée ? Comment faire confiance à un soldat qui n’a pas honte de rompre son serment ?
Voyez-vous, mon cher Kalémodou Yansané, le problème aurait été simple s’il s’agissait d’un litige. L’ennui, c’est que Mamadi Doumbouya n’est en conflit avec personne. Il est en conflit avec lui-même. Il est en conflit avec sa conscience.
Il sait vers quel gouffre son intolérable conduite est en train de mener le pays. Il sait que ce n’est pas la première fois que le péril du hold-up institutionnel menace l’existence du pays.
Il sait que Dadis Camara et Alpha Condé nous ont déjà fait le coup, le premier pour avoir essayé ce que lui, il est en train de faire, le second pour sa stupide idée de troisième mandat. Il sait que ses deux prédécesseurs sont condamnés pour longtemps à ruminer leur impardonnable erreur, l’un dans une cellule de Coronthie et l’autre, de son lointain exil turc. A le voir reproduire trait pour trait, leurs sottises, on est en droit de se demander s’il n’est pas tenté de partager leur sort.
Le dialogue, oui, mon cher Kalémodou Yansané mais pas avec un tel homme ! Par contre, un autre dialogue s’avère souhaitable et même nécessaire et urgent, c’est celui sincère et constructif entre les forces politiques, la société civile, les syndicats, les forces religieuses (s’il en reste encore !) pour mettre fin à cette dictature avant qu’il ne soit trop tard !
Nos élites doivent travailler à doter ce pays d’institutions solides pour nous prémunir définitivement de la ronde des despotes (qu’ils soient civils ou militaires) et des transitions à répétition.
Mon dernier mot ira à cette faune qui s’agite autour de la présidence rien que pour se lécher les doigts : cette nouvelle dictature que vous êtes en train de bâtir à coups de mensonges et de coups tordus, vous en serez les premières victimes. Ce n’est pas une prophétie, c’est une fatalité.
Tierno Monénembo de son nom de naissance Thierno Saïdou Diallo, né le 21 juillet 1947 à Porédaka en Guinée, est un écrivain guinéen, lauréat du prix Renaudot en 2008.