
Les Guinéens, artisans de leurs propres dictateurs (Par Oumar Kateb Yacine)
Depuis son accession à l’indépendance en 1958, la Guinée a été témoin d’un phénomène trouble : la transformation de ses dirigeants en despotes, souvent avec la complicité tacite d’une partie de sa population. De Sékou Touré à Mamadi Doumbouya, en passant par Lansana Conté et Alpha Condé, une constante se dessine : un cycle de régimes autoritaires qui entrave le développement démocratique du pays. Cette réalité soulève des questions fondamentales sur la responsabilité collective, la mémoire historique et la soif de liberté au sein de la société guinéenne.
Sékou Touré : de l’espoir à la terreur
À l’aube de l’indépendance, Sékou Touré a su exploiter l’effervescence politique de l’époque, marquée par l’ouverture relative de l’administration coloniale. La Guinée, riche de sa diversité culturelle et de son patrimoine historique, semblait promise à un avenir radieux. Les libertés d’expression et de presse, ainsi que le multipartisme, étaient alors des réalités tangibles. Cependant, la dissolution précipitée des partis rivaux, le Bloc Africain de Guinée (BAG) de Barry Diawadou et le Parti Africain Socialiste (PAS) de Barry III, par leurs propres fondateurs au profit du Parti Démocratique de Guinée – Rassemblement Démocratique Africain (PDG-RDA), a marqué le début d’une dérive autoritaire. Le parti unique a progressivement étouffé les voix dissidentes, et Sékou Touré, porté par un culte de la personnalité grandissant, s’est mué en despote, acclamé par une population qui a peu à peu oublié les promesses de liberté. La peur, la manipulation et un déficit d’éducation politique ont alimenté cette complicité populaire, transformant la Guinée en un État policier où la terreur régnait.
Lansana Conté : les mirages de la démocratisation
Après la mort de Sékou Touré en 1984, Lansana Conté a pris le pouvoir, promettant un renouveau démocratique et économique. La Constitution de 1990 a ouvert la voie au multipartisme et à des élections compétitives. Cependant, les pressions exercées sur Conté pour qu’il reste au pouvoir ont conduit à des révisions constitutionnelles, lui permettant de se maintenir à la présidence jusqu’à sa mort en 2008. Ce cycle de promesses non tenues et de manipulations a engendré une profonde désillusion au sein de la population, qui, malgré ses aspirations à la démocratie, s’est retrouvée piégée par des discours séduisants et des promesses non tenues.
Alpha Condé : la dérive autoritaire et les espoirs déçus
L’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé en 2010 a suscité de nouveaux espoirs, mais son règne a été marqué par des tensions politiques, des violences et des violations des droits de l’homme. Le changement controversé de la Constitution en 2020, lui permettant de briguer un troisième mandat, a cristallisé le mécontentement populaire. La population, désabusée, a vu ses espoirs de changement s’évanouir, tandis que les élites politiques continuaient à s’accrocher à leurs privilèges.
Mamadi Doumbouya : après les promesses non tenues, une nouvelle dictature…
Aujourd’hui, Mamadi Doumbouya, à la tête du Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) après le coup d’État de septembre 2021, promet une transition démocratique, la bonne gouvernance et la justice. Cependant, après plus de trois ans, la Guinée se retrouve dans un État où ces promesses sont loin d’être tenues. Les signes d’une nouvelle dictature se dessinent, tandis que ses partisans l’encouragent à renier ses engagements. Ce phénomène de soutien aveugle à un leader, malgré les promesses non tenues, soulève des interrogations sur la capacité du peuple à apprendre des erreurs du passé.
Il est désormais acté que Mamadi Doumbouya, au nom d’une prétendue refondation de l’État, se prépare à briguer un mandat électif. Les ambitions personnelles affluent, et les mouvements de soutien se multiplient. Les opportunistes rivalisent d’ardeur pour obtenir leur part du gâteau, tandis que l’argent et le pouvoir hypnotisent les esprits. Ce contexte met en lumière la fragilité des institutions guinéennes et la nécessité d’un engagement citoyen fort pour contrer les dérives autoritaires.
Il est important de noter que des compatriotes, experts en flagornerie et autres bassesses de contre nature, ont toujours usé de leur position pour mentir au peuple et encenser le chef, dans le but de protéger leurs intérêts égoïstes. Ces individus, en se vautrant dans la flatterie et la manipulation, ont contribué à maintenir un système où la vérité est souvent déformée et où les aspirations légitimes du peuple sont étouffées. Leur rôle dans la pérennisation des régimes autoritaires ne peut être sous-estimé, car ils exploitent la naïveté et la désillusion des masses pour servir leurs propres ambitions.
Les défis de la démocratisation : éducation, mémoire et engagement citoyen
Au lendemain de son élection, face à des candidats manipulés, la population risque de se réveiller brutalement dans une réalité incertaine, où la dictature s’enracine. Personne ne viendra dire « si j’avais su ». Il est temps de réfléchir aux leçons du passé pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. La Guinée doit s’engager sur la voie d’une véritable démocratie, où chaque citoyen est conscient de son rôle et de sa responsabilité dans la construction d’un avenir meilleur. La prise de conscience collective et l’éducation politique sont essentielles pour briser ce cycle de dictature et bâtir une société plus juste et équitable.
La Guinée, carrefour de cultures et de traditions, doit tirer les leçons de son histoire. L’éducation civique, la promotion de la mémoire historique et l’engagement citoyen sont essentiels pour briser le cycle des dictatures. La population guinéenne, forte de sa résilience et de sa diversité, doit s’approprier son destin et participer activement à la construction d’une démocratie véritable, où les droits et les libertés de chaque citoyen sont respectés.
Oumar Kateb Yacine
Analyste-Consultant Géopolitique
Contact: bahoumaryacine777@gmail.com