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ÉDITORIAL. Le monde humanitaire sous le choc
En décidant de suspendre les activités d’Usaid (l’Agence américaine pour le développement international), l’administration Trump fait comprendre aux déshérités de la planète ce que « l’Amérique d’abord » veut dire, sur les cinq continents. Les États-Unis étant le plus grand donateur d’aides au monde, c’est tout l’humanitaire qui tremble… Par Laurent Marchand, rédacteur en chef délégué, éditorialiste en charge de l’Europe et de l’international à « Ouest-France ».
Des manifestants soutenant l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) et ses employés licenciés, devant le siège à Washington, DC, le 27 février 2025.
La secousse est mondiale, à la mesure de la puissance américaine. En décidant, dès le 20 janvier, de suspendre pour trois mois les activités d’Usaid, l’Agence américaine pour le développement international, c’est un peu comme si l’administration Trump venait de placer en crise respiratoire toute la planète humanitaire, active sur les cinq continents.
Et pour cause. Les États-Unis sont le plus grand donateur d’aides au monde. En 2023, le gouvernement en a distribué près de 72 milliards de dollars, dont 43,8 milliards gérés directement par Usaid. Le mastodonte de l’humanitaire, avec ses quelque 10 000 employés (deux tiers à l’étranger) s’est ainsi retrouvé pris dans les phares d’Elon Musk et de sa révision brutale des dépenses fédérales.
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L’impact a été immédiat et ressenti par tous les autres opérateurs. Un peu comme le court-circuit provoqué par la pandémie dans les chaînes d’approvisionnement. Car l’aide humanitaire emprunte mille canaux, qu’il s’agisse de l’aide d’État à État, des initiatives multilatérales ou des organisations non gouvernementales (ONG), elles-mêmes souvent actives de façon multinationale.
En République démocratique du Congo (RDC, 1,4 milliard de dollars de fonds Usaid), en Éthiopie (1,2 milliard), en Syrie, en Ukraine, à Gaza, partout l’impact se fait déjà sentir, mettant en péril des programmes souvent vitaux en matière de santé, d’agriculture, d’éducation. En fermant le robinet américain, Donald Trump a immédiatement fait comprendre aux déshérités de la planète ce que « l’Amérique d’abord » veut dire. Non seulement il fait un audit à Washington, mais il contraint tous les acteurs, plus ou moins liés à l’aide américaine, à faire de même. Et ils sont nombreux.
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Par exemple, un tiers des financements de l’ACF, la branche française d’Action contre la faim, proviennent de cette manne américaine. Des programmes de santé et d’éducation sont à l’arrêt en Ouganda. En Serbie, des ONG pro-démocratie ont immédiatement fait l’objet de descentes de police. La Syrie, l’Ukraine, la RDC, ces pays où un drame humanitaire se joue, sont impactés.
Les raisons budgétaires n’expliquent pas totalement la révision en cours à Washington. Usaid a toujours été non pas une ONG, mais le bras humanitaire de la diplomatie américaine. Nul ne conteste les limites avérées de certains programmes, en Haïti ou en Afghanistan par exemple, malgré le flot de dollars versés. Le risque de politisation de l’humanitaire a été souvent dénoncé par certains humanitaires eux-mêmes.
Mais derrière l’audit brutal lancé le 20 janvier, l’administration Trump veut aussi replanifier la nature de son aide. Le « wokisme » (anglicisme souvent péjoratif pour désigner les courants de pensée dénonçant les discriminations subies par les minorités) étant l’ennemi, tout ce qui touche de près ou de loin à la défense des droits LGBT est ainsi dans le viseur.
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Cette guerre culturelle menée par l’internationale réactionnaire contre certaines revendications sur le genre trouve d’ailleurs un écho en France. Le dossier à charge, lancé le week-end dernier par Le Journal du dimanche (groupe Bolloré) contre l’Agence française de développement, semble tout droit sorti du moule trumpiste. Les exemples qu’il donne ciblent particulièrement les actions sur le genre et le climat. Or c’est oublier que l’homosexualité est pénalement poursuivie dans de nombreux pays (notamment en Afrique subsaharienne), et parfois passible de la peine de mort.
Dénoncer la bureaucratie et les abus, remodeler une action ou contenir un budget est une chose, mener une croisade en est une autre. Et quand la force de frappe est celle de l’Usaid, c’est tout l’humanitaire qui tremble. Il reste moins de deux mois pour savoir si le choc est irréversible.