
Leurs petits déjeuners, leurs dépenses quotidiennes, leurs anniversaires, leurs cérémonies de mariage, de baptême et autres festivités sont financés par les écoliers, à qui ils soutirent de l’argent chaque matin avant de commencer les cours.
Les enfants sont littéralement au service de leurs enseignants ou enseignantes du lundi au samedi. Ces enseignants ont fait de leurs élèves une véritable source de revenus. Même le goûter des plus petits est détourné par cette nouvelle catégorie d’enseignants, devenue un cauchemar pour les écoliers. Ce braquage à visage découvert, connu de tous, ne semble émouvoir personne. Cette escroquerie pratiquée au grand jour dans les établissements scolaires, fait-elle partie du règlement intérieur de notre système éducatif ?
S.C, élève en 4ᵉ année à l’école primaire publique de la commune de Matam, ne cesse de se plaindre de la soustraction de 4 000 francs sur le prix de son déjeuner. Le lundi 10 mars, la petite SC est arrivée à l’école avec 7 000 francs pour son repas. À sa grande surprise, sa maîtresse lui réclame 4 000 francs sous prétexte d’une cotisation pour l’achat de savon afin de maintenir la propreté de la salle de classe. Tous les 70 élèves de sa classe s’étaient acquittés de cette somme le week-end précédent, sauf elle. Un rapide calcul révèle que cette classe de 4ᵉ année génère ainsi 280 000 francs chaque mercredi et samedi, soit 560 000 francs par semaine. Sachant que l’école compte une vingtaine de classes, les sommes en jeu deviennent vertigineuses.
Mais ce n’est pas tout !
Dans plusieurs écoles primaires publiques ou privées de la capitale, les élèves rapportent que certains enseignants surtouts des enseignantes ont pris l’habitude de leur faire payer les célébrations de leurs anniversaires. Les « cadeaux » sont parfois offerts en nature ou en argent liquide. Certains parents, sous la pression affective de leurs enfants, achètent des gâteaux d’anniversaire pour ces enseignants qui vivent aux dépens de leurs élèves.
« Le vendredi 21 février dernier, notre maîtresse a reçu cinq gâteaux et de nombreux cadeaux pour son anniversaire… Tous offerts par les élèves. Il avait été demandé à chacun de donner quelque chose », raconte la petite A.C, rencontrée à la sortie de l’école.
D’autres enseignants notamment des enseignantes vont encore plus loin en partageant le goûter du matin avec les élèves. « Madame coupe mon sandwich chaque matin en disant que je suis un enfant bien nourri. Dès que je franchis le seuil de la salle de classe, elle plonge la main dans mon sac et prend mon petit déjeuner que maman a préparé. Elle le divise en deux. J’ai expliqué à papa, mais il m’a répondu que ce n’était rien, que c’est parce qu’elle m’aime et qu’un enfant doit être gentil envers son enseignante », raconte un écolier.
L’eau pour les toilettes, le nettoyage des salles de classe, l’achat de balais et autres fournitures, la célébration des anniversaires : les élèves doivent cotiser. S’ils refusent, ils risquent d’être exclus de la salle de classe ou de voir leurs notes affectées. Et qui veut redoubler sa classe ?
Les notes dépendent souvent des « bons services » rendus à l’enseignant(e) au cours de l’année. Au vu de cette situation, la corruption semble prendre racine dès le plus jeune âge. Quelle morale enseigne-t-on à des enfants dont la scolarité est fondée sur des pratiques malhonnêtes ? Un enfant qui partage son goûter avec son enseignante, un élève qui se voit racketter chaque matin, un écolier qui finance le gâteau d’anniversaire de sa maîtresse, une élève qui paie les frais de transport de son maître : à quoi peut-il s’attendre en fin d’année ? Un passage automatique en classe supérieure !
« Les cinq premiers de notre classe sont régulièrement en retard. Ils ne savent pas écrire correctement une phrase, mais ils sont considérés comme les meilleurs élèves. Ils entretiennent de bons rapports avec madame, et elle reçoit régulièrement des cadeaux de la part de leurs parents », témoigne R.S.
Cette pratique existe depuis des années dans presque toutes les écoles primaires du pays. « Mon frère, ce n’est pas nouveau ! Nous avons trouvé ce système en place. Il existe depuis longtemps. Et puis, vous parlez de cotisations symboliques, mais parlez plutôt du traitement des enseignants du primaire ! » s’insurge I.D, une enseignante rencontrée dans la commune de Kaloum.
Trop de cotisations dans les écoles
Les tables-bancs, les tenues de sport, les frais de kermesses, les maillots, les révisions, les sorties scolaires : tout est à la charge des élèves. Chaque mois, les enfants doivent cotiser, en plus des frais scolaires exigés dans les écoles privées. Ce qui surprend le plus, c’est l’indifférence des autorités éducatives. Ni les chefs d’établissements, ni les directeurs communaux de l’éducation, ni le ministère ne répondent à ces préoccupations… Pourtant, les parents d’élèves sont unanimes : les enseignants prennent de l’argent aux élèves.
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