
L’intelligence artificielle : le nouveau colon sans uniforme !
L’Occident ne dresse plus des camps, il conçoit des codes. Il ne brandit plus des fouets, il perfectionne des algorithmes. Ce qu’il n’a pas réussi à faire avec la Bible et le canon, il tente aujourd’hui avec la donnée numérique et l’Intelligence Artificielle (IA). L’Afrique risque de redevenir un terrain d’expérimentation, mais cette fois-ci, sans même le fracas des chaînes : le nouvel esclavage est silencieux, emballé dans des applications séduisantes et des promesses d’« efficacité ».
Derrière les discours sur le progrès technologique se cache une dépossession progressive de nos savoirs, de nos récits, et bientôt de notre souveraineté. Nous ne savons ni fabriquer les machines, ni maîtriser les codes qui les animent, mais nous y confions déjà nos langues, nos systèmes éducatifs à l’image de Simandou Academy, nos économies, nos décisions publiques. Quelle ironie : au moment où l’Afrique parle de « refondation », elle importe des intelligences artificielles formatées ailleurs, nourries de biais qui nous effacent ou nous caricaturent.
Et pendant que les élites africaines s’extasient devant ChatGPT ou Midjourney comme hier devant le TGV ou les avions présidentiels, les vraies urgences (souveraineté numérique, protection des données, développement local de l’IA) sont reléguées au second plan. Nous ne gouvernons plus nos ressources, nous voilà prêts à ne plus gouverner nos esprits.
Le monstre n’est pas dans les laboratoires, il est dans notre fascination aveugle pour ce qui nous dépasse. L’Afrique ne sera pas mangée par l’intelligence artificielle. Elle se livre à elle, volontairement, emballée dans des PowerPoint et des panels de consultants. Alors que faire ?
Il est encore temps de rompre le charme. L’Afrique ne doit pas être un simple marché de consommation pour les intelligences conçues ailleurs. Elle doit devenir un laboratoire d’alternatives, un creuset de technologies enracinées dans nos réalités, nos langues, nos besoins. Il ne s’agit pas de rejeter l’IA, mais de la dompter, de la contextualiser, de l’humaniser à notre manière.
Nos universités doivent enseigner le code, nos États doivent légiférer sur les données, nos penseurs doivent interroger la philosophie de ces machines. Car à l’ère de l’intelligence artificielle, celui qui ne programme pas est programmé. Celui qui ne pense pas sa technologie devient un simple rouage dans la technologie de l’autre.
L’avenir ne se subit pas, il se construit. Et si nous ne voulons pas que l’IA soit notre dernier colon, alors il est temps de la désarmer par la connaissance, de l’ancrer dans notre souveraineté, et surtout, de cesser de confondre fascination avec progrès.
Abdoulaye Sankara, journaliste