
Depuis les soubresauts qui ont suivi la disparition du Général Lansana Conté jusqu’aux convulsions politiques les plus récentes, un schéma tristement récurrent se dessine dans le paysage sociopolitique guinéen. À chaque mouvement de contestation, on observe une constance troublante : les architectes de la fronde – stratèges invisibles, tribuns charismatiques ou organisateurs en coulisse – échappent systématiquement aux conséquences des affrontements qu’ils suscitent.
À la manière de généraux retranchés dans leur poste de commandement, ils délèguent aux rangs juvéniles la charge des combats, observant à distance les heurts, les répressions et les drames. Le plus souvent, leur présence sur le terrain n’intervient qu’après coup : pour poser un regard grave sur les ruines de l’affrontement, ou pour récolter les fruits politiques d’une mobilisation dont ils n’auront enduré ni la peur, ni les blessures.
Aux jeunes tombés dans la tourmente, on adresse, à l’occasion d’une comptabilité macabre, des oraisons enflammées et des promesses solennelles, souvent sans lendemain. Leurs sacrifices deviennent le décor tragique de discours creux, tandis que les véritables bénéficiaires demeurent à l’abri, indemnes, et parfois même réhabilités par le système qu’ils prétendent combattre.
Il ne s’agit nullement de condamner l’engagement de la jeunesse, car il est dans l’ordre naturel des choses qu’elle occupe les avant-postes de la transformation sociale. Mais elle doit, plus que jamais, apprendre à discerner. Elle ne peut plus se jeter à corps perdu dans des luttes menées par des figures qui fuient les premières lignes du danger. Elle doit s’aligner derrière des femmes et des hommes dont l’engagement ne se limite pas aux discours, mais qui acceptent de partager les douleurs, les risques et les épreuves, jusqu’à l’extrême.
Le don de soi ne saurait être à sens unique. Il perd toute noblesse lorsqu’il ne repose que sur le sang des autres.
Abdoulaye Sankara, journaliste sur la toile