
D’abord, j’aime provoquer. Je suis choqué par la conscience dormante, par ce procès permanent de la bonne conscience. Les gens culpabilisent toujours les autres, ils ne se remettent jamais en cause eux-mêmes. Quand je parle de vermine d’intelligentsia humaine, je ne m’exclus pas. Je suis moi aussi une vermine, je souffre de mauvaise conscience.
Je n’ai vu aucune réaction. C’est comme si ça ne les concernait pas. Je voulais qu’ils réagissent, qu’ils m’opposent des arguments. Ce texte, c’est pour réveiller les intellectuels guinéens qui, depuis l’indépendance, dorment.
Ils ont agi soit par naïveté — c’est le cas de Fodéba Keïta et de Diallo Telli —, soit par opportunisme ou lâcheté. Ils ont été victimes d’un système qu’ils ont eux-mêmes contribué à fabriquer. Sans Fodéba Keïta, il n’y aurait pas eu le PDG.
Quand j’étais collégien, en 1962, Houphouët-Boigny a effectué une visite officielle — la première et la dernière d’ailleurs. À l’époque, il ne prenait pas l’avion. Il voyageait en voiture ou en bateau. La cérémonie a commencé devant le camp militaire de Nzérékoré. Fodéba Keïta cherchait à rejoindre les lieux pour la réception.
Il nous a trouvés en train de défiler. Il nous a dit : « Non, mes enfants, ce n’est pas comme ça qu’il faut défiler. » Il nous a fait répéter pendant quinze minutes. Ensuite, on a bien défilé. C’était lui, l’organisateur de tout cela. Mais il a été l’une des premières victimes du régime.
Telli, lui, a beaucoup contribué à asseoir la renommée de Sékou Touré sur l’échiquier international. Il a été lui aussi victime. Voilà la naïveté. Voilà l’opportunisme. Voilà la lâcheté. Et c’est ainsi que les intellectuels guinéens se sont comportés depuis l’indépendance, sous Sékou Touré. Et c’est ce qui continue aujourd’hui, sous le régime du CNRD. J’ai même l’impression que c’est pire. On fonctionne comme à l’époque du PDG : les mobilisations de masse, les discours démagogiques, la mamaya dans les quartiers…
Il faut que les intellectuels guinéens se remettent en question, qu’ils s’autocritiquent. C’est le moment ou jamais. C’est parce que les intellectuels ont démissionné qu’on laisse le pouvoir aux opportunistes, aux arrivistes et aux fétichistes. C’est parce qu’ils ont démissionné que ces gens font ce qu’ils veulent.
Au Sénégal, qu’ils soient universitaires ou militaires, dès que leurs dirigeants sortent de la logique, ils se font entendre. C’est ce qui a évité au pays d’aller droit dans le mur.
Mais chez nous, il n’y a personne pour dire : Arrêtons là. Le premier qui parle, on l’applaudit. Il faut que ça cesse », Tierno Monénembo.