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Le miel authentique, un aliment en voie de raréfaction

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French apiculturist Thomas Le Glatin inspects honey frames on June 19, 2018 in Ploerdut, western France. (Photo by Fred TANNEAU / AFP)

Sucré, mélangé, mal étiqueté… Le miel vendu en France fait l’objet de nombreuses fraudes. En cause : une chute de la production, un doublement des importations, chinoises notamment, et une absence de traçabilité.
Réputé pour son goût et ses qualités – antiseptiques, antibactériennes, antivirales –, le miel est de plus en plus consommé par les Français. Ils en mangent quelque 40 000 tonnes chaque année (soit 600 grammes par personne), tandis que la production nationale décroît à mesure que les abeilles disparaissent. Conséquence : les importations de ce produit si prisé ont doublé depuis 2004. En 2016, pour 9 000 tonnes produites en France, 31 000 ont été importées notamment de Chine, d’Espagne, d’Ukraine ou encore d’Amérique du Sud.
Pour répondre à cette demande croissante – + 0,5 % par an –, les industriels de l’agroalimentaire n’hésitent pas à le commercialiser transformé et reconditionné, en y ajoutant des sirops de sucre ou en le mélangeant à d’autres miels. Or, pour qu’il puisse être vendu sous la dénomination « miel », aucune substance ne peut y être ajoutée ; aucune transformation n’est possible et le miel doit être, selon la réglementation européenne, produit par l’espèce d’abeilles Apis mellifera.
• Pourquoi cet aliment est-il victime de fraudes ?
« Depuis des dizaines d’années, un tiers du miel vendu en France est frauduleux, essentiellement du miel chinois », alertait dans un entretien au Monde Christophe Brusset, le 2 janvier. Cet ancien dirigeant de l’agroalimentaire raconte dans un livre devenu best-seller, Et maintenant on mange quoi ? (Flammarion), plusieurs anecdotes sur du miel importé frelaté et mis en pot avec des étiquettes mensongères.
Plus de 40 % de miels premier prix non conformes à la réglementation
Pour appuyer son propos, l’industriel faisait notamment référence aux tests de l’UFC-Que choisir réalisés en 2014 sur vingt miels « premier prix » achetés dans diverses enseignes de la grande distribution. Six d’entre eux présentaient entre autres des ajouts de sucre. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait constaté lors d’une enquête, en 2015, que la proportion des miels « premier prix » non conformes à la réglementation était de 42,8 % et « en hausse ».
Enfin, les tests effectués par le Centre commun de recherche de la Commission européenne avaient montré en 2015 que 20 % des échantillons prélevés aux frontières extérieures de l’Union européenne ou dans les locaux des importateurs ne respectaient pas les normes de l’UE.
Dans l’usine de Famille Michaud, groupe spécialisé dans l’achat, le conditionnement et la vente de miels en Europe, à Gan, dans les Pyrénées-Atlantiques. GAIZKA IROZ / AFP
Sucré, mélangé, surchauffé ou encore mal étiqueté… Le miel ferait partie, selon un rapport de la Commission agriculture et du développement durable du Parlement européen, des produits les plus contrefaits dans le monde. Une idée confirmée outre-Atlantique par la U.S. Pharmacopeia’s Food Fraud Database qui affirmait en 2018 qu’aux Etats-Unis, « le miel est aujourd’hui la troisième cible pour la fraude alimentaire, derrière le lait et l’huile d’olive ». Mais alors, comment s’organise ce frelatage ?
• En quoi consiste l’ajout de sucre ?
Parmi les différents types de fraude concernant le miel, la plus courante est « l’adultération » (le fait de couper pour augmenter le volume) du miel par ajout de substances étrangères comme les sirops de sucre (élaborés à partir de riz, betterave, maïs, etc.).
Selon Christophe Brusset, qui a été l’un des principaux importateurs européens de miel pendant une dizaine d’années jusqu’en 2012, « c’est la seule manière d’avoir du miel bon marché. La plupart du temps, il s’agit d’ajouter du sucre exogène, mais on peut trouver d’autres substances comme des antibiotiques [qui permettent de lutter contre les maladies des abeilles], des pollens ou encore de l’acide organique ».
« De par sa nature [substance naturelle sucrée], le miel est un produit à risques : les fraudeurs pensent en premier lieu à y ajouter du sucre », confirme Eric Jamin, responsable du laboratoire authenticité alimentaire au sein du groupe Eurofins. Basé à Nantes, il effectue des analyses sur les miels vendus dans le monde. Ces dernières années, il a souvent été sollicité par des entreprises pour analyser du miel de manuka (un arbrisseau), vendu très cher (entre 100 et 300 euros le kilo) pour ses propriétés antibactériennes et cicatrisantes supérieures aux autres. A propos de ce remède miracle récolté dans certaines régions d’Australie et de Nouvelle-Zélande, M. Jamin explique qu’« il s’en vend plus qu’il ne s’en produit, ce qui prouve que nous avons du miel adultéré sur le marché ».
« La plupart du temps, il s’agit d’ajouter du sucre exogène, mais on peut trouver d’autres substances, comme des antibiotiques, des pollens ou de l’acide organique »
Les miels non conformes que l’ingénieur teste viennent le plus souvent « d’Asie, mais aussi d’Europe de l’Est et centrale, voire de France ». « Aucune origine n’est à l’abri d’une fraude », regrette-t-il. Selon Christophe Brusset, « la fraude au miel est une fraude massive et la Chine [qui est le premier exportateur mondial de miel] y a une place particulière »
En tant qu’importateur, l’ancien cadre de l’agroalimentaire faisait des analyses de routine au moment de l’achat afin de voir s’il y avait une « fraude grossière », mais le problème majeur est que beaucoup de tricheries sur le contenant sont indétectables. « Les fraudeurs que j’ai rencontrés en Chine étaient mieux équipés que les laboratoires en France. Aujourd’hui, les fraudes sont scientifiques et faites intelligemment », poursuit-il.
Le frelatage serait en effet invisible dans de nombreux cas. « Il existe des sirops de sucre indétectables qui sont faits sur mesure, en faisant évoluer la composition. Ces manipulations sont coûteuses, mais comme ces sirops permettent de vendre de très grandes quantités de miel, c’est toujours intéressant financièrement », affirme Etienne Bruneau, qui dirige la commission qualité du miel pour Apimondia, la coordination mondiale des syndicats d’apiculteurs.
• Pourquoi des origines différentes ?
Le miel peut être sucré tout en étant mélangé. Ainsi, l’ingénieur Eric Jamin se penche sur l’origine géographique et botanique des miels pour voir s’ils correspondent à ce qui est annoncé sur le pot. Car sur les étiquettes françaises, l’origine est rarement indiquée, sauf si le miel provient d’un seul pays. S’il provient de deux pays ou plus, la réglementation européenne impose la mention « mélange de miels originaires de l’UE/non originaires de l’UE ».
L’apiculteur Thomas Le Glatin inspecte les cadres d’une ruche, à Ploërdut, dans le Morbihan. FRED TANNEAU / AFP
Il s’agit là d’« une absence de traçabilité propice aux fraudes », estime l’UFC-Que choisir. En effet, le flou de cette mention favoriserait la « fraude à l’étiquette », en permettant aux conditionneurs de mélanger plusieurs miels aux qualités variables.
En transitant par certains pays européens, des miels chinois deviendraient espagnols ou encore ukrainiens
Dans une synthèse de juin 2016, l’organisme public FranceAgriMer expliquait que les chiffres des importations de miel en France devaient être « pris avec précaution, dans la mesure où les origines géographiques des importations françaises ne permettent pas de déduire précisément l’origine des miels présents sur le marché français, étant donné l’importante activité de réexpédition des négociants européens, et notamment des plates-formes situées en Espagne, Belgique, Allemagne, et plus récemment en Pologne ». En transitant par certains pays européens, des miels chinois deviendraient espagnols ou encore ukrainiens :
« L’origine chinoise [des importations] est certainement sous-estimée. En effet, l’Espagne a importé en 2014 plus de 15 000 tonnes de miel en provenance de Chine, dont une grande partie a été ensuite réexpédiée en Europe, et notamment en France. »
Pour toutes ces raisons, l’UFC-Que choisir et l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF) ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement de réformer l’étiquetage obligeant en cas de miels mélangés, la mention des différents pays d’origine, ainsi que les proportions de chacun d’entre eux, comme cela est déjà fait en Espagne. « Une réforme, à l’instar de ce qui a été fait pour l’origine du lait ou des viandes pour les produits transformés, est indispensable », avance Henri Clément, porte-parole de l’UNAF.
Un amendement au projet de loi agriculture et alimentation avait été voté en ce sens par les députés en mars 2018 en commission du développement durable. Mais cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel quelques mois plus tard. Depuis, les associations ont sollicité les parlementaires afin qu’ils défendent de nouvelles propositions de loi, à l’instar de celle défendue par la députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho, ou celle portée par le groupe La République en marche.
Une production de miel en chute libre en France
Sous l’effet de plusieurs facteurs (changement climatique, frelon asiatique, culture OGM, contamination de l’environnement par les pesticides, en particulier par des insecticides), les abeilles mellifères disparaissent et ne produisent plus autant de miel qu’il y a trente ans. « En France, on est passés d’une production de 32 000-33 000 tonnes en 1995 à 9000 tonnes en 2016, affirme Henri Clément, porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF). Depuis 1995 et l’apparition des insecticides néoticotinoïdes, environ 300 000 ruches périssent chaque année et doivent être reconstituées. Les mortalités sont passées de 5 à 30 % de nos jours. »
Ce « syndrome d’effondrement des colonies » a aussi des conséquences sur l’ensemble de la biodiversité. Indispensables pour l’agriculture, les abeilles pollinisent les cultures agricoles. Dans le rapport porté par le député hongrois Norbert Erdos (conservateur du PPE, Fidesz) en 2018 au Parlement européen, il est noté que 84 % des espèces végétales et 76 % de la production alimentaire en Europe dépendent de cette pollinisation.
De nombreuses associations environnementales, mais aussi des personnalités politiques tentent depuis de nombreuses années de sensibiliser à ce sujet en publiant notamment des tribunes.
Lire l’entretien avec le chercheur Bernard Vaissière : « Les insectes sont indispensables à l’agriculture par leur rôle de pollinisateurs »
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