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Guinée : « Pourquoi rien ne marche chez nous…? », Tierno Monenembo

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Libre opinion

« Je n’ai pas pu suivre le match Côte d’Ivoire-Mali, moi qui suis presque ivoirien. Savez-vous pourquoi ? A cause d’une simple goutte d’huile. A l’endroit où j’ai l’habitude de suivre la CAN 2019 comme dans tous les endroits de Guinée, on ne considère plus les pannes de courant comme une série d’incidents mais comme une coutume aussi vieille que Mathusalem aussi pénible que la cangue aussi révoltante que le supplice de la goutte d’eau.
Heureusement que le Blanc a inventé le groupe électrogène qui est à notre pays ce que le fauteuil roulant est à l’hémiplégique. Seulement, ce jour-là, on se rendit compte un peu tard comme cela arrive souvent chez nous que la fameuse machine ne fonctionnait pas pour cause de vidange. Un volontaire sauta aussitôt sur une moto pour aller chercher de l’huile.
De station-service en station-service, il passa la première mi-temps du match à chercher le précieux fluide. A son retour, catastrophe, on réalisa que l’on avait perdu la clef du réservoir. On finit après moult palabres par dénicher un serrurier. Quand la télé se ralluma, les Eléphants avaient déjà éliminé les Aigles et il ne me restait plus qu’à me faire conter l’évènement.
Pourquoi, bon dieu, jamais rien ne marche chez nous ? Nous avons le sol, le sous-sol, les fleuves, la mer, la forêt, les montagnes. Oui, pourquoi ? Nous sommes l’un des pays les plus pauvres, les plus mal soignés, les plus mal éduqués de la planète. Un peuple de crève-la-faim dans un pays de cocagne ! Seul le Congo peut nous disputer ce cruel paradoxe.
Tenez, à propos de Congo, au mois de décembre dernier, à Lubumbashi, j’ai rencontré un brillant intellectuel congolais qui a vécu plusieurs mois chez nous et qui est aussi amoureux de la Guinée que moi, je le suis de la patrie du Seigneur Rochereau. Voici ce qu’il me dit, ce monsieur alors que nous bavardions autour d’un délicieux plat de makayabu (une spécialité locale) : « Le Congo, c’est dix fois la Guinée : dix fois sa superficie, dix fois sa population, dix fois ses mines, dix fois sa beauté et dix fois ses malheurs. »
C’est vrai que là-bas, depuis l’assassinat de Lumumba, les drames succèdent aux drames, les guerres aux guerres civiles. Savez-vous qu’en moins de 20 ans, les guerres pour le contrôle des mines au Kivu, au Kasaï et dans l’Ituri ont fait plus de 8 millions de victimes ? Presque la population de la Guinée ! Vous me direz que c’est le Congo, un sous-continent avec une complexité géostratégique et une diversité ethnique cent fois supérieure à la nôtre et que la Guinée est bien plus facile à administrer. Et vous aurez parfaitement raison.
Seulement, à y voir de près, toutes proportions gardées, à Kinshasa comme à Conakry, le problème de fond reste le même : la mal-gouvernance. Que l’on me permette de répéter ici, ce que j’ai dit mille fois ailleurs, les désordres que nous vivons dans ce continent découlent d’une seule et même cause : la mal-gouvernance.
Les mauvais dirigeants ne produisent ni café ni cacao, ni vélo ni voiture, ni aiguille ni ordinateur ; même pas l’intelligence collective ou la fraternité. Ils ne produisent que des frustrations, ces mauvais ingrédients qui nourrissent nos malheurs d’aujourd’hui : le tribalisme, le djihadisme, les génocides et les migrations.
Regardez comme Hutus et Tutsis s’entendent bien depuis que Kagamé est au pouvoir !
Mais revenons à nos moutons. Eh oui, rien de mieux que la métaphore de la goutte d’huile pour illustrer notre inénarrable patrie. En effet, la Guinée fait penser à un bolide stationné au sommet d’une pente. Tout est là : le moteur, les roues, les essieux, l’embrayage, les commandes électriques et tout. Il ne manque qu’un coup de pouce, que dis-je, une goutte d’huile pour ébranler la machine.
« Avec un bon gouvernement, la Guinée peut rattraper la Côte d’Ivoire en cinq ans », disait il y a peu un certain président-professeur. Avec un bon gouvernement, c’est sûr, avec Alpha Condé, il faudra deux siècles et demi !
Je vous assure, mes chers compatriotes, que tant que les monstres qui nous saignent depuis 1958 plastronneront au sommet de l’Etat, les siècles n’auront qu’à passer, cette fameuse goutte d’huile, aucun guinéen ne la trouvera ».
Tierno Monénembo, in Le Lynx