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La Guinée, locomotive des indépendances africaines »: Le 2 octobre 1958, proclamation de l’Indépendance (tribune)

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« Un Peuple qui s’ignore, s’égare et ne saurait se projeter dans l’avenir. ..»

L’année 2020 va, dans quelques mois, être derrière nous. Mais d’ici là, votre quotidien en ligne se fait le devoir, au-delà des articles d’actualité, de vous replonger dans le passé « récent » de notre beau pays la Guinée qui a farouchement lutté pour son accession à l’indépendance en 1958 sous la houlette de Ahmèd Sékou Touré et de ses valeureux compagnons de lutte. La Guinée fut donc la première colonie d’Afrique Occidentale française (A.O.F.) à obtenir sa souveraineté.

Un écrivain guinéen s’est entièrement intéressé à ce pan de l’histoire de son pays. Son nom, Me Alpha Oumar Sy Savané, Enseignant-chercheur, Internationaliste, Journaliste-chroniqueur et Expert en Communication actuellement en service au Sénégal.

« Connait-toi, toi-même ! », c’est l’expression qu’il lance chaque fois dans ses causeries, notamment quand il a affaire avec la nouvelle génération. Voici donc la Troisième Partie de ce qu’il appelle « Dates glorieuses de la République de Guinée ».

Troisième Partie – Le 2 octobre 1958 : La proclamation de l’Indépendance

« On a parlé d’Indépendance. Je dis ici plus haut encore qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre. Elle peut la prendre le 28 septembre, en disant « Non » à la proposition qui lui est faite et, dans ce cas, je garantis que la Métropole n’y fera pas obstacle. Elle en tirera, bien sûr, des conséquences mais, d’obstacles, elle n’en fera pas, et votre territoire pourra, comme il le voudra, et dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra. » (Charles de Gaulle, Conakry, le 25 août 1958)

La Proclamation de l’Indépendance
« L’Assemblée Territoriale de la Guinée française, réunie en séance extraordinaire le 2 octobre 1958 ;

1° Prenant acte de la déclaration solennelle du général de Gaulle, Président du Conseil du Gouvernement de la République française devant le pays le 25 août 1958, déclaration dont la teneur suit : « Cette Communauté la France la propose ; personne n’est tenue d’y adhérer. On a parlé d’indépendance ; je dis ici plus encore qu’ailleurs, que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre le 28 septembre en disant » non » à la proposition qui lui est faite, et dans ce cas, je garantis que la Métropole n’y fera pas obstacle. Elle en tirera bien sûr des conséquences, mais d’obstacle elle n’en fera pas, et votre territoire pourra comme il le voudra et dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra » ».

2° Considérant que le préambule de la Constitution de la République française stipule : « Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. En vertu de ces principes et de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’Outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer, des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratiques ».

3° Considérant que l’article premier de ladite Constitution dispose que : La République et les territoires d’Outre-mer qui, par un acte de libre détermination, adoptent la présente Constitution, instituent une communauté ».

4° Considérant qu’en conséquence, le vote négatif au Référendum du 28 septembre 1958 de la part d’un Territoire Outre-mer consacre l’Indépendance de ce Territoire vis-à-vis de la République française.

5° Considérant le résultat du Référendum du 28 septembre 1958 : 1.136.324 « non » contre 56.941 « oui ».

6° Constate que cette majorité de voix négatives place le Territoire de la Guinée hors de la République française en vertu d’une part, de la Constitution française, et, d’autre part, des déclarations du Président du Conseil du gouvernement de la République, le général Charles de Gaulle.

7° Proclame solennellement l’Indépendance Nationale de la Guinée et l’érection de l’Assemblée territoriale présente en Assemblée Nationale Constituante Souveraine dont les membres prennent le titre de Députés.

8° Décide d’attribuer à ce nouvel État indépendant le nom de République de Guinée.

9° Proclame l’adhésion de la République de Guinée aux principes inscrits dans la Charte des Nations Unies (O.N. U.).

10° Invite le Gouvernement de la République de Guinée à prendre toutes dispositions pour accréditer la République de Guinée auprès des autres Nations et de l’Organisation des Nations Unies.

11° Donne les pleins pouvoirs au Gouvernement de la République de Guinée pour administrer et gérer les intérêts nationaux, prendre toutes mesures utiles, engager et conclure toutes négociations dans l’intérêt de la Nation.

POUR UNE AFRIQUE UNIE ET INDÉPENDANTE,

VIVE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE !

Le Président de l’Assemblée Nationale Constituante

DIALLO Saïfoulaye ».

La signification du 2 octobre
Le 28 septembre 1958, la Guinée vote effectivement « Non » à une écrasante majorité (95,22%). Suite à ce « Non » courageux, historique et légendaire du Peuple de Guinée à la Communauté franco-africaine, la République de Guinée est proclamée le 2 octobre 1958 sur la base des valeurs cardinales que sont l’hymne national (Liberté), le drapeau (Rouge, jaune et vert : bandes rectangulaires équivalentes) et la devise (Travail-Justice-Solidarité). Elle est devenue ainsi le dixième pays indépendant d’Afrique. La proclamation de l’indépendance est la conséquence directe du vote du 28 septembre. C’est pourquoi la Guinée a été la seule colonie française d’Afrique à accéder à l’indépendance après ledit vote, à être « … sous les projecteurs de l’actualité nationale et internationale ».

La Guinée a voté « Non » par respect pour elle-même et pour l’Afrique tout entière. Le vote est le fruit de la prise de conscience des populations à la base quant à l’importance de l’indépendance et de la liberté. Cette prise de conscience est l’œuvre du Parti démocratique de Guinée, section du Rassemblement démocratique africain, à travers l’éducation politique qu’il a donnée aux masses laborieuses guinéennes.

Il faut rappeler que la création du Rassemblement démocratique africain (R.D.A.), en 1946 à Bamako, a obéi au besoin d’indépendance de toutes les populations des colonies africaines de l’Empire français. C’est dire que quasiment, tous les leaders politiques de l’époque, toute l’élite africaine et surtout toutes les populations à la base qui portaient le joug de la colonisation, étaient pour l’indépendance des colonies.

Les tentatives d’intimidation pour empêcher les colonies d’aller à l’indépendance
Le projet de Communauté franco-africaine a déclenché une lutte sans merci entre les dirigeants de l’Empire français et les leaders africains décidés à mener leurs pays à l’indépendance. Cette lutte avait des pratiques les plus perfides du côté français : corruption, intimidation, répression, mutation, licenciement, assassinat, harcèlement, etc. Du côté des leaders africains, les maigres moyens étaient leurs verbes et leurs liens séculaires de parentés avec les populations à la base qui faisaient que tous les opprimés étaient de la même famille.

Pour connaître les raisons profondes du vote massif des populations des colonies pour le « Oui », il faut remonter le temps pour reconnaître que l’Empire a pesé de tout son poids sur les épaules des leaders africains pour les ramener à la « raison française » et cela par les moyens cités plus haut. La campagne du général Charles de Gaulle a parachevé l’œuvre d’intimidation et de corruption de l’Empire. Ainsi de Brazzaville à Dakar, en passant par Fort Lamy, Antananarivo, Abidjan et Conakry, les contestataires de la colonisation ont « compris la raison du plus fort » à l’exception de l’intraitable Sékou Touré et de ses valeureux compatriotes. Les tentatives d’intimidation et de corruption des dirigeants guinéens n’ont pas manqué pour les dissuader d’aller au vote négatif, donc à l’indépendance. Deux exemples confirment ces tentatives.

Le premier exemple : Nous avons signaler plus haut l’intervention de Sékou Touré à la réunion de concertation du Groupe des leaders africains organisée à Dakar, le 26 août 1958. Cette réunion avait pour objectif essentiel de faire pression sur le Secrétaire général du Parti démocratique de Guinée (PDG), Sékou Touré, pour ne pas voter « non ».

Dans l’ignorance complète des tenants et des aboutissants de cette réunion, à chaque anniversaire du 25 août 1958, par ignorance des faits historiques, la quasi-totalité des détracteurs de la lutte de libération de la Guinée qui se donne de la voix pour narrer l’histoire du pays se plait de dire sur maintes radios privées de Conakry que : « Sékou Touré est parti à Dakar demander pardon à Charles de Gaulle pour ses propos du 25 août 1958 dans son allocution historique du refus de la Communauté ». Heureusement que l’histoire est têtue. Elle revient toujours au galop avec la réalité des faits mentionnés par ceux qui ne sont à aucune solde pour réécrire l’histoire, pour réinventer la roue.

Le deuxième exemple : Sous la pression des autorités françaises qui ne souhaitaient pas voir la Guinée donner le « mauvais exemple aux autres », une délégation africaine est formée par les leaders réunis à Dakar pour se rendre à Conakry en vue de persuader Sékou Touré de renoncer à la décision de faire campagne pour le « Non ». Ce dernier persiste et signe : « … Ce qui est décidé est déjà décidé. »

Les raisons de la proclamation de l’indépendance
En résumé, la Guinée a proclamé son indépendance de la France le 2 octobre 1958, avant toutes les autres colonies françaises d’Afrique, pour les raisons suivantes :

les populations guinéennes avaient massivement voté « Non » au référendum du 28 septembre 1958, donc avaient rejeté la Communauté franco-africaine après l’avoir refusé le 25 août 1958 ;
la fidélité des leaders guinéens à leur engagement de mener la colonie à l’indépendance : « Conformément à l’engagement pris d’un commun accord avec tous les pays sous colonisation française en Afrique, la Guinée a déjà décidé de voter « Non » qu’il maintiendrait sa décision et sa promesse … » (Cheikh Tidiane DIOP, La Dépêche n° 09, novembre 2008) ;
l’échec de toutes les tentatives d’intimidation et de corruption des leaders guinéens : « Pour dissuader de voter « Non », Sékou Touré a subi des pressions colossales. On lui a promis de l’argent. On a tout fait et il a refusé. » (M. Jean-Marie Doré) ;
à la faveur de la loi Gaston Defferre de 1956, un arrêté du 31 décembre 1957 pris par le Conseil de gouvernement met officiellement fin à l’existence de la chefferie traditionnelle en Guinée française. La chefferie traditionnelle est reconnue comme alliée objective et affidée du pouvoir colonial. Les chefs traditionnels sont remplacés par des Comités de village qui relayaient les mots d’ordre, les messages et les programmes du parti.
La suppression de la chefferie n’a pas été une décision arbitraire de Sékou Touré : « L’Assemblée nationale française était elle-même saisie depuis plusieurs années de propositions de lois sur la chefferie. Mais les décrets d’application de la Loi-cadre Defferre attribuaient aux Conseils de gouvernement la compétence exclusive en matière de détermination du statut de la chefferie (et donc de son éventuelle suppression). » (André Lewin, 2009)

Les conséquences de l’indépendance de la Guinée
Les conséquences de l’indépendance de la République de Guinée sont à évaluer sur tous les plans : positif et négatif.

« L’indépendance de la Guinée a provoqué et accéléré l’accession d’autres pays africains à l’indépendance, faisant ainsi de la Guinée un point d’appui essentiel pour toutes les luttes de libération nationale en Afrique. » (Général Lansana Conté, Message de nouvel an 2000). Cette première conséquence positive pour la Guinée l’est aussi pour l’Afrique. Elle explique l’engagement de la République de Guinée dans tous les combats contre le colonialisme en Afrique et dans les opérations de maintien de la paix sur le continent.

Tous les mouvements de lutte de libération sur le continent et la lutte contre l’apartheid ont trouvé en la jeune République de Guinée un allié des plus surs et des plus efficaces sur les plans militaire et diplomatique. La République de Guinée a été le seul pays africain à allouer dix pourcent (10%) de son budget national annuel, et ce, pendant plus de vingt ans, aux mouvements de lutte de libération nationale en Afrique (Loi L/102/63 du 15/06/1963). Ceci confirme bien le titre du livre : La Guinée, locomotive des indépendances africaines.

D’autres conséquences positives pour la Guinée sont :

La fin de l’ère coloniale avec son cortège de misère, d’humiliation et de frustration, d’exploitation et d’oppression.
Un exemple vivant et immensément riche de la capacité de mobilisation d’un peuple à une cause et à un idéal.
La Guinée, jusque-là méconnue, fait une apparition éclatante sur la scène internationale. Elle se met « sous les projecteurs de l’actualité nationale et internationale » malgré la ferme détermination du Président du Conseil de gouvernement français, général Charles de Gaulle, de l’isoler pour que son exemple ne fasse pas tâche d’huile.
Une population conscientisée, mobilisée et prête à jouer son rôle dans tous les domaines bénéficiant d’un capital de prestige international immense.
La solidarité active et agissante de cadres nationalistes africains, français et antillais et des pays socialistes grâce aux efforts de Diawadou Barry, alors ministre de l’Éducation nationale et de Hamat BA, président de la Fédération des Étudiants d’Afrique noire en France (FEANF).
Parmi les premiers venus l’on peut citer Xavier Ramade, Claude Brioulet (institutrice), Clair (décor de théâtre), Federica Guisti (Beaux-arts), Jean Cellier (professeur de musique), Rolande Cellier (Chef d’établissement), Fanny Lalande-Isnard (bibliothécaire), Maurice Gastaud (syndicaliste) et Anne Blanchard (journaliste).

En 1959, une trentaine d’instituteurs togolais arrivent pour servir à l’intérieur du pays. L’auteur a été enseigné par deux d’entre eux au primaire et au collège à Dabola (Mrs Damien et Philippes). Entre 1959 et 1960, des Français sont arrivés en Guinée pour épauler la jeune République dans le domaine de l’Éducation. Ce sont entre autres, Jean Suret-Canale (géographe), Georgette Suret-Canale (journaliste), Christiane Grange (professeur), Daniel Blanchard (professeur), Maurice Pianzola (professeur), Gérard Cauche (économiste), Maurice Houis (linguiste), Pierre-Charles Aguesse (scientifique), Edouard Helman (écrivain).

La Guinée devient le refuse des nationalistes africains ayant bien œuvré pour le « Non » et qui ont été traqués dans leurs pays. Les Sénégalais Majhmout Diop et Séni Nyang (PAI), le Camerounais Félix Moumié (leader UPC), le Nigérien Bakary Djibo. D’autres africains qui n’étaient pas concernés par le « Non » exerçaient des activités politiques : le Marocain Mehdi Ben Barka et le Bissau-guinéen Amilcar Cabral. 7- La cascade d’indépendance des colonies françaises d’Afrique est une autre conséquence du 2 octobre 1958. Elle prouve à merveille que l’indépendance de la Guinée française « a fait tache d’huile » à moins de deux ans de la date de celle-ci. La Guinée s’impose comme locomotive des indépendances africaines.
William TUBMAN, président du Liberia de 1941 à 1971, lors de la cérémonie commémorative du 1er anniversaire de la proclamation de l’indépendance de la République de Guinée, le 2 octobre 1959, à Monrovia, déclarait : « En douze mois d’indépendance, le Président Sékou Touré a développé l’économie de son pays, établit le programme d’une plus large diffusion de l’enseignement et de la formation technique et assuré aux femmes de Guinée l’égalité avec les hommes dans la vie publique. Ces réalisations dénotent une hauteur de vues et des qualités d’hommes d’État dont je le félicite. »

Pourquoi pas nous autres ? C’est très surement ce que se sont dits les autres leaders africains. Après tout, c’est bien la Guinée qui est à l’Onu investie de tous les droits d’État membre et c’est bien elle qui traite d’égal à égal avec la France.

Les dates d’indépendance et d’admission à l’Onu

des colonies de l’A.E.F. et de l’A.O.F.

Or. Pays Indépendance Onu
1 Guinée 02/10/1958 12/12/1958
2 Sénégal 04/04/1960 28/09/1960
3 Togo 27/04/1960 20/09/1960
4 Cameroun 02/05/1960 20/09/1960
5 Madagascar 20/06/1960 20/09/1960
6 Benin 01/08/1960 20/09/1960
7 Niger 03/08/1960 20/09/1960
8 Burkina Faso 04/08/1960 20/09/1960
9 Cote d’Ivoire 07/08/1960 20/09/1960
10 Tchad 11/08/1960 20/09/1960
11 Centrafrique 13/08/1960 20/09/1960
12 Congo Brazza 15/08/1960 20/09/1960
13 Gabon 17/08/1960 20/09/1960
14 Mali 22/09/1960 28/09/1960
15 Mauritanie 28/11/1960 27/10/1961
Ce tableau montre à bon escient que la voie balisée par la Guinée a été bien suivie. Moins de deux ans après son indépendance, treize colonies françaises ont accédé à l’indépendance et deux ans après, la dernière colonie française de l’Afrique occidentale est venue fermée la marche. Ce qu’on peut qualifier de cascade d’indépendances a prouvé la brèche ouverte par la Guinée dans l’Empire français.

L’auteur

Me Alpha Oumar Sy Savané