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« En sortant de chez moi ce 28 septembre 2009, je savais qu’on allait vivre une journée difficile car la veille la junte militaire avait commencé à opérer des arrestations sur le long de l’Axe Hamdallaye Bambéto… », se souvient Alimou Koundara

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Comme tous mes autres concitoyens, le 28 septembre 2009 je suis descendu dans la rue à l’appel de mon Parti et des Forces Vives de la nation pour participer au combat pour l’émergence d’une démocratie nouvelle dans notre pays.
En sortant de chez moi ce 28 septembre, je savais qu’on allait vivre une journée difficile car la veille la junte militaire avait commencé à opérer des arrestations sur le long de l’Axe Hamdallaye Bambéto. Muni d’un petit caméscope et d’un appareil photo numérique, je me suis dirigé très tôt ce matin là au stade du 28 septembre pour identifier les lieux et éventuellement voir le dispositif de sécurité qui y était déployé. A 7H 46, il n’y avait pas grand monde excepté un petit groupe de policier qui s’abritait d’une fine pluie qui s’abattait ce jour là sur conakry.

De là je me suis dirigé vers le siège du Parti où les jeunes du Parti étaient entrain de finalisation la sonorisation ambulante qui devrait sillonner les différentes artères de Conakry. J’y fis quelques interviews de responsables dont Sorel Bangoura le secrétaire fédéral UFDG de Matam. En revoyant les images quelques jours après j’y découvris Algassimou DIALLO, un cousin de Alphadio Koumi, en bandeau sur la tête entrain de se démener comme un beau diable pour mobiliser les jeunes. Il succombera au stade des suites de ses blessures.

Avec la curiosité journalistique qui me colle à la peau, j’ai commis un motard pour me transporter vers Bambeto, le long de l’axe, afin que je puisse être temoin de l’évolution de la mobilisation.
Sur le chemin j’ai eu à rencontrer des jeunes décidés à regagner coute que coute le stade du 28 septembre et qui ont joué un rôle important dans la mobilisation. Parmi eux, il y’avait le jeune kenda Bailo, mon petit frère Bailo, Boubacar Korboya et tant d’autres.

Quand je suis arrivé à Bambeto, en passant par le carrefour de la T1 le dispositif de sécurité était impressionnant. Jusque là il n’y avait pas d’échauffourées mais dès que je suis arrivé au niveau de la Pharmacie (le Prince) sur le chemin du retour, j’ai vu une fumée se dégager au niveau du rond-point hamdallaye. La tentative des Forces de l’ordre de stopper la progression des jeunes vers le stade a échoué. Devant la détermination des jeunes ils prendront la fuite laissant leur pick up à la merci des manifestants. Le motard qui me transportait, pris de panique, est parti en me laissant au milieu de la foule. Lorsque nous sommes arrivés au niveau du carrefour MINIERE, on a trouvé un impressionnant barrage de gendarmes armés jusqu’aux dents formé au niveau de l’héliport (Cases de Bellevue). Au terme de 30 mns d’un face à face violent au cours duquel un jeune a pris une balle dans les fesses, encore une fois le verrou saute. L’appui des policiers du commissariat de Belle vue se trouvant à proximité n’a pas empêché les manifestants de progresser. D’ailleurs c’est à cette occasion que les locaux du commissariat ont fait les frais de cet affrontement. Les fusils qui s’y trouvaient ont été mis au feu d’une voiture qui brulait au niveau du rond point de Belle vue. J’ai été abasourdi de suivre à la télé, par la suite, le chef de la junte défendre que ce sont des armes de guerres sorties de ce commissariat par les manifestants qui seront utilisés pour tirer dans la foule.
La route était totalement dégagée à présent en direction du stade du 28 septembre. Au même instant, les leaders de l’Opposition (excepté un qui était en France) convergeaient vers le stade.
Arrivé au niveau de Dixinn Bora, je me dirigeais vers le domicile du Président de l’UFDG, Cellou Dalein dont je croise l’épouse, Hadja Halimatou et Mme Keita Fatoumata Youla, toutes les deux en jeans prêtes pour le stade.
J’ai pris le temps de recharger les batteries de mes appareilles tout en prenant un peu de café. Déjà à cet instant de nombreux blessés commençaient à affluer vers le domicile du leader de l’UFDG.
11H 25 mns : les gendarmes stationnés à l’esplanade tentèrent une dernière fois de repousser les manifestants venus de Bambéto mais c’était sans compter sur la détermination de jeunes. Dans cette foule, il y’avait aussi de braves femmes telle que Yarie Briqui dont le courage n’est pas passé inaperçu au milieu des gaz lacrymogènes.
Au bout de quelques minutes, les forces de l’ordre, craignant d’être pris en étau entre les manifestants, ont opéré un repli.
11H 38, je rentre à l’intérieur du stade qui commençait à se remplir. Mais je suis sorti aussitôt pour aller recharger mes batteries.
Après une dizaine de minutes, je sors pour reprendre mon matériel avant de rentrer de nouveau dans le stade. Alors, avec l’appui d’amis, j’essayais de rejoindre le dernier niveau des gradins où se trouvaient les leaders. Cela a été extrêmement difficile mais j’y suis parvenu quand même. En me retournant pour contempler l’enceinte du stade, j’ai vu des jeunes exaltés entrain de courir les tricolores nationaux en main, contents d’avoir pu joindre le point de ralliement. Il y’en avait même qui priaient à même le gazon.
12H 05 : de lourdes détonations d’armes sont entendues à l’extérieur du stade. La foule se dirigea alors vers la sortie de la pelouse mais tout à coup il y’a eu un mouvement en sens inverse. Les militaires sont entrés à l’intérieur du stade. Ce sont les images d’hommes en tenue courant vers la pelouse qui feront après le tour du monde.

C’est alors que la débandade a commencé dans les tribunes. Evaluant la situation et constatant que les gens commençaient à tomber comme des mouches, j’ai mis tous appareils dans mon sac et j’ai dévalé un à un les gradins pour me retrouver dans un couloir entre la pelouse et la sortie du terrain. Je suis pris en tenailles pendant de longues munîtes dans une foule compacte qui cherchait elle aussi à sortir. Il a fallu que je protège mes côtes par la force de mes petits bras pour que je ne meure pas asphyxié. C’est l’arrivée d’une autre force par derrière qui finit par nous expulser de ce guêpier. J’y laisserais mes paires de chaussures.
Ensuite il restait le plus difficile c’est à dire comment sortir en dehors du stade déjà bourré de militaires armés. Par instinct de survie je me suis engouffré dans un groupe de fuyards qui se dirigeait vers l’annexe du stade en chantier alors. On rentrait et sortait dans des troues que la pluie du matin a remplie de boues. On se croirait dans les champs de riz vietnamiens. A un moment donné je suis tombé dans un ravin à bout de forces, c’est une jeune dame qui m’a tendu la main pour que je parvienne à me relever.

Tout d’un coup, j’ai vu un groupe essayer de se faufiler à travers une petite porte contiguë à l’entrée principale du stade du coté du commissariat. Les militaires armés de bâtons et d’armes blanches de toutes sortes assenaient des coups à tous ceux qui y passaient. Devant cette petite issue il y’avait du beau monde : Aliou Condé Secrétaire Général de l’UFDG, Mariama Satina de la société civile qui sera ministre plus tard pendant la transition etc…
Mon sac de reportage en bandoulière, à un moment donné j’ai décidé de traverser cette petite porte dans une ambiance de pagaille généralisée, des coups pleuvent sur mon dos qui me laisseront des cicatrices. Mais je parviens à m’échapper avec mon sac de reportage. Ensuite le plus difficile c’est d’avoir le souffle pour courir et traverser toute cette esplanade remplie de militaires sans être rattrapé. Je l’ai pourtant réussi avec beaucoup de chance, ne m’arrêtant qu’au niveau d’OASIS. J’ai du mon salut à cause du fait que nos bourreaux étaient occupés à d’autres J’arrive au domicile de Cellou Dalein aux environs de 13h, les habits en lambeau. Le jeune Lamine majordome de Dalein me donna un tee-shirt blanc pour me changer. Quelques minutes après c’est Aliou condé et d’autres qui arrivent. On croyait être au bout de nos peines mais quelques minutes après ce sont les bérets rouges qui débarquent dans la cour dirigés par un haut gradé aujourd’hui inculpé dans les massacres du 28 septembre. On était tous réunis au salon. Sentant le danger je suis sorti vers la mer par une issue de secours. D’autres comme Mamadou Barry analyste financier et Lamine auront moins de chance. Ils ont été battu à sang et abandonné à l’intérieur de la maison pour morts. Quand je marchais sur les rives de la mer pour trouver refuge au niveau de la débarcadère d’à coté j’entendais le déferlement de violence qui s’abattait dans la maison.
A 14h avec Ibrahima air Afrique, on est retourné constater les dégâts. Lamine était dans un état semi comateux tandis que Mamadou Barry a fait le mort pour avoir la vie sauve.
Lamine sera déposé à la clinique de Dixinn avant d’être envoyé à DONKA pour être réanimé quelques jours après.
Quand nous avons appris que le leader de l’UFDG était blessé et admis à la clinique Pasteur, Ibrahima et moi avons pris le chemin de la ville mais au niveau du pont 08 novembre il y’avait un barrage de militaires. J’ai convaincu Ibrahima de rebrousser chemin pour ne pas qu’on me prenne mes cameras.
Mamadou Barry quant à lui regagnera la maison familiale de camayenne à coté tandis que j’ai été déposé à Prince par les soins de Ibrahima air afrique au bord de sa voiture.
Quant j’ai traversé la cour de la maison, on se moquait de mes chaussures empruntés et de mon accoutrement en lambeau. C’est en suivant France 24, quelques heures après, qui estime à 157 le nombre de morts au stade qu’on s’est rendu compte que je venais de loin, très loin. On a commencé alors à me regarder autrement !
En réprimant avec cette violence inouïe une simple manifestation, l’objectif des militaires était de tuer toute velléité de remettre en cause leur emprise sur le pouvoir en guinée. Malheureusement le destin en a décidé autrement pour eux.
Les gouvernants doivent se rendre compte qu’on ne peut pas stopper la marche de notre peuple vers la démocratie réelle quelque soit le degré de violence qu’ils useront pour se maintenir au pouvoir. Celle-ci est inéluctable voire irréversible.
A l’occasion de ce triste anniversaire, je dédie ce texte à toutes ces victimes et familles des victimes de la violence politique en Guinée qui peinent à trouver une justice impartiale pour sécher leurs larmes.
Que Dieu ait pitié des âmes de nos illustres disparus. Amen !

Alimou Koundara