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Interview: « En vérité, l’âge n’est pas l’ami de quelqu’un ! », Tierno Monénembo in Lelynx

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Interview. Dix questions « romanesques » à Tierno Monènembo !

L’écrivain guinéen Tierno Monènembo était à Conakry du 23 au 28 mars, à l’occasion des festivités des journées de la Francophonie. Absent du pays depuis 1987, il a bien voulu se prêter à nos questions.

 

Le Lynx : Tierno Monènembo, qu’est ce que vous faites présentement en France ?

 

Tierno Monènembo: Présentement en France, j’essaie d’écrire parce qu’en fait, j’enseignais avant. Maintenant, je n’enseigne plus. Donc, j’essaie d’écrire. Mais malheureusement je n’écris pas tout le temps. Pendant des années je pense à un livre avant de me mettre devant un papier. Mais j’écris un peu tout le temps. J’écris quand je mange, quand je marche, quand je bois. Au fait, quand un livre m’habite je pense à lui souvent. On écrit comme on dit, en plein temps.

 

Vous avez écrit six romans, comment jugez-vous l’évolution de cette écriture romanesque?

 

Cela fait assez de juger l’évolution de ma propre écriture, parce que c’est une critique de soi. Mais, en fait je pense que j’ai écrit des livres assez différents les uns des autres. parce que j’ai écrit pour des cibles très différentes, des catégories différentes. Je pense dans « Crapauds-brousse » évidemment à la dictature guinéenne à l’époque de Sékou Touré. Dans « Les Ecailles du ciel » , j’ai pensé à l’histoire de mon village avant la colonisation, pendant la colonisation et après les indépendances. Vous savez que Bocar Biro a été battu dans mon village natale à Porédaka. Et c’est cette histoire qui est devenue presque une nouvelle qui est toujours racontée sous forme de légende.. « Un rêve utile » , parle de trois individus à Yon, des exilés guinéens à Abidjan, des africains aux Amériques, et Mamou au moment des indépendances en 1958.

 

Avec « Cinéma » , le roman est-il autobiographique ou un roman de souvenirs d’enfance?

 

C’est presque autobiographique, mais je n’aime pas l’autobiographie. J’ai pu faire un peu d’autobiographie collective, l’autobiographie de la génération, celle des enfants de mon âge de cette époque. Parce que nous sommes les fils de l’indépendance guinéenne. Quand la Guinée a eu son indépendance, on disait même qu’ils avaient fait l’indépendance pour nous. Je me suis rendu compte que ce n’était pas vrai et c’est pourquoi j’ai écrit ce livre qui est « Cinéma » . C’est cette déception, cette désillusion d’une génération sacrifiée.

 

Quel parallèle pouvez-vous faire entre les oeuvres de vos aînés et les vôtres?

C’est une continuité, mais il y a certainement une grande différence. Et cette différence est due à la rupture historique. Nos aînés ont surtout écrit pour accumuler la personnalité africaine et critiquer la colonisation. Evidemment c’était les problèmes de l’époque. C’est différent mais, c’est dû à l’évolution de l’Afrique, de la réalité de l’évolution sociale, politique de cette Afrique pendant ces dernières années. Moi, je n’ai pas critiqué ceux qui ont remplacé les colonisateurs. Ils se sont pratiquement comportés comme se sont comportés les colonisateurs.

 

On ne peut donc pas parler de rupture d’écriture à ce niveau?

 

Il n’y a pas de rupture d’écriture, mais rupture de style et du contenu historique. Mais dans les deux cas, il s’agit d’exprimer l’Afrique. Je ne suis pas de ceux qui renient les aînés et je pense qu’il faut sans aucun doute critiquer leurs oeuvres. Mais sans eux, on ne serait pas-là. C’est à dire sans Senghor, Césaire, Camara Laye je n’aurais pas été écrivain. C’est parce qu’ils ont écrit avant moi que moi j’écris. Il faut s’intéresser à la société elle-même pour comprendre pourquoi elle dérive, elle est si déstructurée, elle manque de repère et de projet. Et ça se lit dans les livres comme le « Jeune homme de sable » de Sassine comme « La vie et demi » de Soni Labou Tansi. On se rend compte qu’on est même en train de sortir de la critique politique toute simple, pour aller vers une critique profonde de la société africaine elle-même. C’est-à-dire celle des vieilles habitudes qui sont-là, qui ne se renouvellent pas.

 

Sassine disait que l’écrivain africain écrit en vain. Que pensez-vous de cette affirmation?

 

Il le disait parce qu’on manque de public, de véritables critiques. c’est souvent sous un oeil occidental qu’on lit nos livres. On manque de droits d’auteurs. Très souvent et cela est curieux; l’écrivain, africain, soit il est en exil , soit il est en prison quand il n’est pas tué comme en Algérie où on a perdu de nombreux amis, parce qu’ils ont écrit des livres. Le problème c’est que, dans tous les pays du monde, l’écrivain dérange le système établi. Des systèmes de paresse intellectuelle, morale , qui aiment qu’on considère que tout marche. L’homme politique dit au peuple que ça marche, ça va aller. Et l’écrivain dit l’inverse. Il critique l’inquiétude, l’engourdissement des esprits. Donc, c’est là qu’il dérange. C’est pour cela, moi je dis que tous les systèmes politiques en Afrique sont une espèce de mépris ou de peur. En Afrique, le problème de l’écrivain est très grand, ce n’est pas quelque chose qui est intégré dans nos valeurs. Parce que nous sommes des gens qui observent les choses en travers. Ils aiment bien que nous soyons à leur service. L’écrivain est trop libre pour servir des mauvaises causes.

 

Comment jugez-vous l’évolution de la littérature guinéenne?

 

D’abord, il est intéressant de voir qu’en Guinée, il n’y a plus qu’un seul écrivain. Parce que, pendant longtemps, Sékou Touré a été le seul écrivain. Je pense que les questions sont tellement nombreuses ici, que moi, j’ai beaucoup d’espoir en ce qui concerne la nouvelle génération. Ce qui a manqué aux écrivains de l’intérieur, c’est l’ouverture au monde. Et ça, c’est pas seulement à eux, toute la société guinéenne a été enfermée. Or, le monde moderne est un monde de communication. Dès que tu enfermes quelqu’un, il dégénère. On vit le monde aujourd’hui, aucun pays au monde ne peut vivre en vase clos. Malheureusement en Guinée, on empêche les guinéens de vivre leur part du monde. Mais étant donné que les revues , les médias reviennent, que les écrivains viennent ici même quand ils ne sont pas guinéens, que les guinéens sortent de plus en plus, je suis certain que très bientôt quelque chose de très fort va se faire de l’intérieur même du pays.

 

Vous avez déclaré dans le revue Sépia, que vous ne voulez pas revenir au pays pour cirer les chaussures du régime en place…

 

Parce que, très souvent on attend de l’intellectuel africain qu’il rentre dans les rangs. Rentrer dans les rangs veut dire ici, boucler la gueule. Tu ne l’ouvres que pour manger. C’est étonnant d’ailleurs de voir que la plupart des écrivains africains qui sont devenus ministres ont cessé d’écrire immédiatement. Ce qui est grave ! Si je dois rentrer en Guinée pour cesser d’écrire, c’est pas la peine. Je préfère en ce moment-là rester à l ‘extérieur et écrire.

 

Tout de même, vous êtes-là aujourd’hui, comment voyez-vous l’avenir de la Guinée?

 

Je ne vois pas l’avenir de la Guinée, d’abord parce que je ne suis pas devin. Je pense qu’on n’a pas encore fait le minimum nécessaire pour esquisser un avenir ici. Je disais dans ma conférence de presse que, c’est comme si les guinéens avaient peur d’eux-mêmes. En tant qu’individus même c’est des gens qui n’osent plus se regarder dans un miroir. Il faut regarder ses défauts non pas pour se culpabiliser, mais pour les régler, les dépasser. Or, le problème dans ce pays, c’est qu’on n’arrive pas à changer de chapitre, d’histoire. Nous vivons le même chapitre depuis 1958. Or, cela est complètement dégénéré.

 

C’est un chapitre qui a déraillé de lui-même. Le problème de la Guinée, c’est d’ouvrir un nouveau chapitre de notre propre histoire. Cette perspective n’est pas-là. Comme toujours, en Afrique, on fabrique des petits gestionnaires minables, là où il n’y a rien à gérer. Il y a cette démagogie économique qu’on développe. Mais comment voulez-vous développer un pays qui n’est plus là, qui est complètement déboulonné? On ne peut pas bâtir une économie sur une base sociale qui n’existe pas. Il faut d’abord refaire la société guinéenne. Après cette société pourra faire quelque chose. D’autant que la société guinéenne est très intéressante à certains points de vue, elle est très dynamique. Elle a un héritage historique et culturel très puissant. Elle a une mémoire et une conscience nationale quoi qu’on dise. même si ça a déraillé. Et j’admire ça chez mes compatriotes, ils se réfèrent souvent à eux-mêmes, ils ne se basent pas sur les modèles étrangers.

 

Maintenant, il faut faire un premier débat, essayer de redynamiser la société, l’économie va venir. Si l’homme guinéen a été mesquin, la nature guinéenne a été généreuse. Hier, j’ai survolé le Mali, c’est le désert. Dès que tu arrives ici, il y a les arbres, les rivières, mais les gens crèvent de faim. Ils sont misérables. Enrichissons d’abord le guinéen lui-même et lui, il enrichira le pays.

 

S’il vous était demandé aujourd’hui d’écrire un roman sur la Guinée, sur quel cliché allez-vous prendre votre héros ?

 

Il est très difficile de trouver un héros ici. J’écrirais sur la mémoire disparue, c’est-à-dire quand je me promène dans ce pays, je me rends compte que je connais la plupart des figures que je rencontre. Mais je ne sais plus mettre un nom dessus. Donc, la rupture pour moi, c’est presque comme quand je voyage dans un pays de fantômes. Je rencontre des gens que je ne connais plus, mais que j’ai connus. C’est cette image qui est assez terrible.

 

Comment vivez-vous dans votre milieu en tant qu’écrivain ?

 

Le milieu d’écrivain est très particulier. La plupart des écrivains du monde sont des fous. C’est magnifique d’ailleurs, parce que nous, nous vivons autrement. Nous avons une manière d’être complètement à part et c’est pas facile pour les autres de le comprendre. J’aime beaucoup ce milieu-là.

Ce sont des gens très affectifs et l’écrivain fonctionne sur l’affection . L’intelligence, c’est pour l’électronicien, le politicien. l’écrivain c’est l’émotion. Et l’émotion est plus riche que l’intelligence. J’ai eu la chance de rencontrer de très grands écrivains dans le monde, c’est des gens qui vous rendent heureux. Quand vous vivez avec eux, pendant une heure de débats, vous êtes heureux. Parce que l’écrivain, c’est l’homme dans sa quintessence, c’est une âme avant d’être un corps et une conscience.

Or, nous vivons un siècle qui refoule l’âme. Les gens fonctionnent par leur être.

 

Parmi ces écrivains, vous avez rencontré Williams Sassine. Qu’est-ce qui vous liait ?

On se sentait très proches. On ne peut même pas le dire. Lui-même s’il vivait, il ne pourrait pas l’expliquer. D’abord, nous avons le même contexte, on est tous guinéens. On a suivi le même itinéraire, nous avons été exilés. On était tellement proches qu’on ne s’écrivait pas. Quand on se rencontrait, c’est comme si on s’était jamais quittés. A trois heures du matin, quand quelqu’un m’appelait chez moi, je savais que c’est Williams Sassine. On n’avait pas besoin de distance entre nous.

 

Quelle liaison pouvez-vous faire entre Sassine et son oeuvre ?

 

Il me semble qu’il n’y a pas de discontinuité entre l’oeuvre et l’homme. L’oeuvre ressemble beaucoup à la personne, et la personne ressemble à son oeuvre. Sassine était un idéaliste refoulé. Si vous lisez « Saint Monsieur Baly » c’est l’idéal humain de transmettre le savoir qui est la grande richesse du monde dans un environnement complètement défavorable. Vous savez à quel point l’africain moderne est devenu l’ennemi du savoir, à quel point les sociétés africaines cassent leurs écoles. On a vu comment ils ont minimisé les enseignants, il les ont réprimés. Ils ont créé une sécheresse d’âme au milieu de l’argent très faciles, des loufoques qui disparaîtraient vite. « Saint Monsieur Baly » c’est cela, il me semble. « Le jeune homme de sable » c’est pareil aussi. c’est la fragilité du sentiment et de l’intelligence. Quelqu’un qui essaye de réfléchir et de trouver une cohérence dans un monde complètement incohérent. Je pense que Sassine était un poète doublé d’un philosophe. Sassine pensait, mais pas une pensée à l’occidentale, mais à la grecque. Une espèce de sagesse à l’ancienne.

 

Malgré tout ce qu’il a enduré, Sassine a accepté de revenir en Guinée. Etes-vous prêt à rentrer un jour définitivement au pays ?

 

Je compte revenir au pays, je ne veux que ça. Mais, j’aimerais vraiment ne pas subir les humiliations que Sassine a subies. Il devrait être seul quelque part, il y avait une tragédie intérieure terrible. La société guinéenne ne l’a pas bien traité. D’ailleurs, la société guinéenne n’a jamais bien traité les gens.

C’est une société de frime et de méchanceté imbéciles. Nos grandes valeurs sont mortes à Boiro ou dans l’humiliation la plus totale. Mais dans cette histoire-là, c’est Sassine qui restera, c’est de lui qu’on se souviendra dans 5 ans, 30 ans (rires). Pas de Lansana Conté, certainement.

 

Vous avez comme projet de livre, une histoire sur la sagesse des Peulhs. Pourquoi les Peulhs ?

 

Parce que j’ai envie de savoir qui je suis. Je vous ai dit que je suis un obsédé de la mémoire. Je me suis rendu compte que le Peulh ne sait pas très bien qui il est. Je me suis rendu aussi compte que le Peulh musulman a fait un écran qui a mis beaucoup de choses sur le passé peulh réel. C’est très compliqué ! Je pense que ici, chaque fois qu’un événement arrive, on met un écran sur le passé et on recommence autre chose. Il y a des malentendus et des confusions. Moi, j’ai envie de parler de moi, depuis très très longtemps. J’ai lu des documents énormes là-dessus. J’avais même fait un premier livre et je voulais faire trois. Malheureusement mon éditeur m’a demandé de faire un seul. Donc, je vais revenir sur la table de travail. Ce qui est très intéressant dans cette histoire des Peulhs, c’est le croisement et la rencontre avec les autres. Parce que pour moi, l’intérêt du Peulh réside par le fait que c’est le peuple qui a le plus rencontré les autres peuples. De la Mauritanie au Lac Tchad.

 

Donc, du roman de dénonciation vous arrivez à celui de la mythologie. Comme « les cent ans de solitude » de Garcia Marquez ?

 

De la mémoire en tout cas, et dans la mémoire il y a toujours le mythe. Ce sont les mythes qui fondent la mémoire humaine. Il y a le mythe du boeuf et celui du lait par exemple chez les Peulhs. Des mythes que l’Islam a refoulés et qu’on ne connaît pas. Au Fouta Djallon où l’Islam est très puissant on ne connaît pratiquement plus rien de l’histoire des Peulhs. On ne sait pas très bien quelle était la culture peule ancienne. On a tout mis sous le couvert du Coran, ça a masqué beaucoup de choses. Moi, je ne suis pas contre le Coran, je suis musulman. Mais il faut se souvenir de ce qui s’est passé avant le Coran. Un Amadou Hampaté Bâ qui est très musulman a raconté l’histoire païenne des Peulhs. Si on ne sait que ce qu’on était avant, on ne peut pas continuer. L’islam Manding aussi a occulté beaucoup de thèmes mythologiques manding. Tout ça c’est compliqué.

 

On a l’impression que vous êtes un écrivain marginal ?

 

Peut-être que je me marginalise moi-même, je ne cherche pas vraiment à être au centre des choses. Ce n’est pas ce qui m’intéresse. D’ailleurs, où est le centre en Guinée ? Qui est-ce qui n’est pas marginal en Guinée ? C’est un pays qui est tellement mal dirigé que tout est devenu marginal ! Où est le centre de la société ? Où est le centre géographique ou archéologique? Nous manquons de centres.

 

Si on vous demandait de vous donner un qualificatif, lequel auriez-vous pris et pourquoi ?

 

Un pauvre type ! Parce que je pense que l’homme est une pauvre créature. Quand on a conscience de la validité de l’homme sur terre, on ne peut que se qualifier de pauvre type. C’est le philosophe qui se qualifie de pauvre type d’ailleurs. C’est ceux qui pensent qui se le disent.

 

Avez-vous peur de la mort ?

 

Je n’ai pas peur de mourir parce que la mort est inévitable. La mort est une continuité. Vous savez, l’africain d’avant n’a pas de rupture entre la mort et la vie. Hampaté Bâ le dit même que pour le Peulh ancien, la mort n’existe pas. c’est une autre vie qui commence. C’est l’occidental qui fait une rupture entre la vie et la mort.

 

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Courage ! Pour rester guinéen, il faut être courageux. Je pense d’ailleurs que le peuple guinéen ne manque pas de courage. Il a survécu, c’est très bien. Il n’a pas fait le Rwanda, la Sierra Leone ou le Liberia pour l’instant. Il faut continuer comme ça; se tolérer, se pardonner et réapprendre à vivre ensemble.

 

Propos recueillis par Le Bah Zooka et Abou Bakr

 

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