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Procès du massacre du 28 septembre 2009 : Le récit de Abou Bakr du Groupe Lynx

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Mardi 13 février. Cité comme témoin par la partie civile, Boubacar Algassimou Diallo dit Abou Bakr, journaliste ancien Rédacteur en chef du journal Le Lynx, a comparu devant la barre au procès du massacre du 28 septembre 2009 au tribunal criminel de Dixinn, délocalisé à la Cour d’Appel de Kaloum. Il a d’abord parlé de l’ambiance avant les évènements, ensuite ce qu’il a vécu en tant que journaliste reporter.

La campagne d’information du CNDD

Abou Bakr a indiqué qu’au mois de juillet 2009, il a accompagné avec d’autres journalistes, une délégation du Conseil national pour le développement et la démocratie, CNDD, en Europe et aux Etats-Unis d’Amérique. Cette délégation était dirigée par feu le général Korka Diallo. Elle visait à organiser des meetings d’information sur la vision du CNDD par rapport à la gestion de la transition. « En Europe, la délégation a été bien accueillie, la rencontre s’est très bien passée, parce qu’en ce moment, le CNDD était dans l’esprit de tous les Guinéens. Le CNDD a été célébré partout où nous sommes passés. Nous avons passé un mois. Un meeting en Allemagne, en Belgique et en France où la communauté guinéenne, sans distinction aucune, a été réceptive. » Dans le même cadre, le 15 juillet 2009 ils se sont rendus aux États-Unis, où l’accueil n’a pas été chaleureux. Cela, déclare le journaliste, c’est à cause du discours qui « a changé à Conakry, quand Dadis a dit à Boulbinet qu’il n’est pas né militaire et qu’il pouvait se présenter aux élections. Donc aux Etats Unis, la délégation n’a pas pu tenir un meeting à cause du mécontentement des Guinéens. Le meeting devait se tenir dans une université à Maryland dans la grande banlieue de Washington. Nous avons demandé, en tant que journalistes, d’arriver un peu plutôt, parce nous avions déjà eu des informations comme quoi, ça allait être très compliqué. Nous avons rejoint l’Université très tôt. Nous sommes entrés dans la salle, l’atmosphère était très tendue. Autour de l’Université, il y avait une ceinture de la police américaine armée de grenade lacrymogène, prête à réagir. Quatre bus étaient venus de New York. La délégation est entrée, il n’y a pas eu d’applaudissements, il y a eu des jets de pomme et d’œufs qui a éclaboussé les costumes des ministres. Les manifestants tenaient des discours hostiles au CNDD, la police américaine est entrée dans la salle, pour les disperser à coup de gaz lacrymogène ». Abou Bakr a indiqué que leur tentative de rallier New York a été vaine. Ils ont finalement rebroussé chemin à Washington, puis ils sont rentrés en Guinée.

Du massacre du 28 septembre 2009

Rentré le 25 septembre 2009 à Conakry, Abou Bakr a expliqué qu’il s’est rendu à la rédaction du Lynx le 26, pour planifier les journalistes qui devaient couvrir la manifestation des Forces vives. « Le lundi 28 septembre 2009 à 7h, je suis sorti de chez moi. J’avais une voisine (Hawa Tonguiano), sous une fine pluie, elle m’a pris dans sa voiture, nous sommes arrivés à l’esplanade du stade entre 7h 30 et 8h. Je suis descendu. En ce moment, la pluie avait cessé. Vers 7h 50, la foule arrivait par vagues successives de Bambéto, de Hamdallaye. Il y avait de l’animation, ça chantait, ça dansait. Entre temps, le Colonel Moussa Tiegboro Camara est arrivé et il a été ovationné. Il est resté entre la foule, il dit : ‘’Vous êtes venus manifester, la manifestation est un droit, mais aujourd’hui, c’est le 28 septembre, c’est un jour très important. Donc, nous ne pouvons pas vous laisser manifester, je vous demande de rentrer chez vous. Rentrez chez vous, certainement nous allons vous donner un autre jour ; vous allez manifester. Aujourd’hui, il est hors de question’’. Certains manifestants applaudissaient, d’autres huaient. Après, il a dit à trois reprises : ‘’Rentrez chez vous’’. Il s’est déplacé. Peu de temps après, j’ai eu l’envie d’aller aux toilettes. Comme ma sœur m’avait dit de toujours être saint, je suis allé dans une famille, derrière la station Total, pour aller aux toilettes, prendre mes ablutions. Je revenais des toilettes pour déposer la bouilloire, remercier la dame, quand j’ai vu un monsieur venir à vive allure. Il est rentré avec fracas, il a fermé la porte, il s’est jeté dans le lit, il a trouvé un bébé qui dormait, il s’est couvert. Je regarde par la porte, je vois des hommes en uniforme en Tee-shirt noir et pantalons olive. Entre temps, le jeune était suivi d’une vague de manifestants. J’ai compris qu’ils étaient pourchassés par ces hommes en uniforme munis de matraques. Ils ont fait usage d’une brutalité inouï à coups de pieds ou de bottes, ils terrassaient certains, le spectacle était foudroyant. Ils ont traîné certains. Après, ils sont partis. Quand ils sont repartis, je suis sorti, je venu à la station, j’ai trouvé qu’il y avait une tension. Je voyais des gendarmes, des policiers et la foule, c’était vraiment la débandade ».

Abou Bakr a expliqué que c’est l’appel de la rédaction d’Associated Press, d’une dame basée en Afrique du Sud, qui lui a demandé ce qui se passait à Conakry. Il a répondu qu’il y avait des actes de violences. C’est ce qui l’a empêché d’entrer au stade. Parce qu’il s’est mis à l’abri, pendant une heure, pour raconter les évènements à la dame qui devait les transmettre à la rédaction de New York. Après cette communication, il dit avoir aperçu les leaders qui partaient chez Jean-Marie Doré avec une foule. « Quand je suis ressorti, j’ai vu un de nos reporter Bah Mamadou, comme il y avait beaucoup de mouvement, je lui ai donné la caméra et le téléphone. Je lui ai dit de replier à la rédaction. Je suis parti vers la FONDIS, dans l’intention d’aller retrouver les leaders, mais on m’a dit que Jean-Marie Doré était déjà allé au stade. Mon téléphone a sonné. La dame m’a demandé si je pouvais avoir des citations avec les leaders. Je lui ai répondu que ce n’était pas évident, parce que j’ai appris que les leaders ne sont pas là, ils sont déjà dans le stade. Je sortais de là, juste au portail de l’université, j’ai entendu des coups de feu. Il y avait une foule qui sortait du stade, il y avait des cris forts. J’ai vu des jeunes gens qui sortaient pieds nus, certains étaient blessés. J’ai suivi un d’entre eux, on est arrivé vers la FONDIS, je lui ai demandé ce qui se passé. Il m’a dit que ça tire au stade, il y a des militaires qui sont entrés, ils sont en train de tirer. Comme je voyais les gens sortir et j’entendais les crépitements, j’ai décidé de suivre la foule. On sentait que les gens avaient vraiment peur, très peur ».

« Je me suis fait coiffer »

Dans sa quête d’informations, le journaliste Abou Bakr a expliqué qu’il a décidé d’aller vers Landréyah, pour voir ce qui se passait de l’autre côté du stade. C’est en ce moment qu’il a aperçu des gens habillés en Tee-Shirt bleu-ciel, des Tee-Shirts Chelsea, munis des objets divers, qui étaient en allure menaçante, cela a créé la débandade. « Juste à ma gauche, il y avait un coiffeur, le jeune coiffeur m’a vu, il m’a tiré, il m’a fait asseoir, il a mis un pagne sur moi, il s’est mis à me coiffer. Il n’avait pas commencé à me coiffer, lorsque ces gens sont arrivés, ils voulaient se jeter sur nous, le jeune a dit en soussou : ‘’Non, lui, il n’est pas manifestant, il était là.’’ Après, ils ont continué vers la plage. La marée était haute. J’ai vu les jeunes avec lesquels j’étais, certains ont traversé la route, d’autres ont rebroussé chemin. Les gens habillés en tenue Chelsea les ont pourchassés, je ne sais pas ce qui s’est passé après. J’ai vu certains jeunes se jeter à l’eau, parce que quand vous les voyez venir, tu sentais qu’ils représentaient une menace. Je suis resté plus d’une heure, j’ai reçu un appel de mon confrère Abdourahmane Diallo qui travaillait pour la West african democracy radio, il m’a dit qu’il était chez son beau-frère, Amara Bangoura magistrat. Il m’a indiqué où ils étaient. Je suis allé les trouver avec les autres confrères : Mouctar Bah de AFP/RFI, Amadou Diallo de la BBC, Sylla de BBC anglais. De là, nous étions en train de chercher et recouper les informations sur ce qui se passait au stade. A 18h, je suis rentré avec Amadou Diallo dans sa voiture. Il n’y avait pas de circulation, ce sont des véhicules de militaires et des ambulances qui nous rencontrions… »

L’audition de Boubacar Algassimou Diallo dit Abou Bakr s’est achevée aux environs de 13h, après qu’il a répondu aux questions du Tribunal et des avocats des deux parties.

Lelynx.net