Libre opinion. Ces intellectuels qui n’ont pas eu le bac
Désormais pour un oui ou un non, un citoyen peut être pris à partie, injurié et calomnié jusqu’au premier de ses ancêtres. Ces derniers temps, plusieurs personnes ont fait l’objet d’injures et de calomnies sur les réseaux sociaux. Leur crime, avoir fait leur travail. Comme le journaliste Mohamed Mara qui, sur le cas du bus calciné à Gbessia, n’a fait rien d’autre que d’appliquer ce qu’il a appris en journalisme : le journaliste doit être simple mais pas simpliste.
Il y a aussi le cas de Dr Ousmane Kaba qui a exprimé son opinion après la visite du chef de l’Etat en Haute Guinée. Cet intellectuel estime que c’est nous tous qui allons payer demain les dépenses extra budgétaires d’aujourd’hui par une inflation inévitable. Cette prise de position lui a valu un véritable lynchage sur les réseaux sociaux. Cette situation a pour conséquences de dissuader nombre de ceux qui pouvaient participer à un début constructif à faire l’autocensure pour préserver leur honneur.
Enfin, il y a le cas de Lamine Guirassy. Lequel a été violemment pris à partie dans une vidéo qui lui a été spécialement dédiée. Et, contrairement aux deux premiers cas où ce sont des anonymes qui insultent, cette fois c’est un homme politique qui attaque le plus grand patron de presse en Guinée. L’ancien ministre commence ses propos en français pour les terminer dans la langue maternelle de celui à qui il s’adressait. Peut-être qu’il ne pouvait pas dire tout ce qu’il voulait dans la langue du Blanc. Ou, probablement, il voulait faire plus mal en s’adressant non seulement à son protagoniste mais aussi à ses proches.
Dans tous les cas, il avait mille et une manières de répondre son « frère » avec courtoisie. Ce qui l’aurait grandi et infirmé les propos qui ont suscité sa colère. Mais il a préféré les injures. Voulant humilier son adversaire en faisant « une révélation », à savoir, entre autres, que le PDG de HADAFO média n’a pas eu son bac. Et c’est mon sujet. Après cette « révélation », un autre homme politique aurait suggéré à l’intéressé de faire son bac. Comme si, en l’absence de celui, le ciel tombait sur la tête de M. Guirassy.
Ce débat stérile m’a incité à chercher pour savoir si le cas de Lamine Guirassy est un cas isolé. Ou, au contraire, si beaucoup d’autres hommes politiques et d’intellectuels n’ont pas eu le fameux bac. Voici quelques cas parmi les plus illustratifs :
Jean Giono
L’auteur de «L’Homme qui plantait des arbres» n’a jamais obtenu son bac. Un an avant de pouvoir passer les épreuves du baccalauréat, Jean Giono est contraint d’arrêter ses études en raison de la maladie de son père qui ne peut plus pourvoir aux impératifs financiers du foyer.
Jean Cocteau a raté son bac deux fois
Le célèbre poète n’était pas un brillant élève, dans sa jeunesse. Très tôt, il manifeste son désintérêt pour les cours et c’est à reculons qu’il se rend à l’école tous les jours. Il préfère la lecture et le théâtre, qu’il pratique pendant son temps libre. Scolarisé au lycée Condorcet, il est doué en dessin, en gymnastique et en allemand. Mais tous ses enseignants semblent s’accorder sur un point: c’est un élève distrait et agité.
Aujourd’hui, un lycée porte son nom, près de Marseille, ainsi que plusieurs écoles maternelles, élémentaires et collèges, dans toute la France.
Régine Deforges, renvoyée de l’école à cause d’un carnet volé
L’auteur de «La bicyclette bleue» a grandi dans le Poitou, où elle a été élevée dans différentes institutions religieuses. À 16 ans, alors qu’elle est scolarisée au collège Saint-Martial, une école de sœurs, son carnet de notes est volé et ses secrets les plus intimes sont révélés au grand jour. Son histoire d’amour avec une autre fille, étudiante à l’école communale, est dévoilée. Elle abandonne les études avant de passer le bac.
André Malraux a abandonné ses études à 17 ans
Très jeune, André Malraux s’est pris d’une grande passion pour la littérature et la culture. Alors qu’il est élève à l’école supérieure de la rue Turbigo, qui deviendra plus tard le lycée Turgot, il est déjà un habitué des bouquinistes, pièces de théâtre et concerts parisiens.
Pour préparer son bac, il essaye d’intégrer le très réputé lycée Condorcet, en 1918. Mais il y est refusé. Vexé, il renonce à continuer les cours et ne passera jamais son baccalauréat. Ce qui ne l’empêchera pas quelques années plus tard d’obtenir le prix Goncourt et de devenir l’un des plus grands écrivains du 20e siècle et même ministre de la Culture.
Émile Zola: l’échec avant la gloire
L’auteur des «Rougon-Macquart» a très tôt voulu devenir écrivain. En sixième, il avait déjà entamé l’écriture de son premier roman. Malgré de belles ambitions à l’école, l’élève Zola n’obtient pas les résultats escomptés. L’année du baccalauréat, il doit manquer deux mois de cours suite au décès de son père. Il réussit les épreuves écrites, mais échoue lors des oraux.
Aujourd’hui, sept lycées, ainsi que de nombreux collèges, écoles maternelles et élémentaires portent le nom d’Emile Zola en France.
Guillaume Apollinaire, un élève brillant… qui a raté son bac
Guillaume Apollinaire, l’auteur du très célèbre poème «Le Pont Mirabeau», a passé sa jeunesse à Monaco. Élevé par une mère habituée des casinos, il passe sa scolarité au collège Saint Charles, dans lequel il est placé en pension. Il y étudie de 1887 à 1895. Il est d’ailleurs considéré comme l’un des meilleurs élèves de son établissement.
Il étudie par la suite au lycée Stanislas, à Cannes, et au lycée Masséna, à Nice. C’est dans ce dernier établissement qu’il passe et rate son baccalauréat. Il ne retentera pas sa chance. Aujourd’hui, deux lycées portent son nom en France, à Nice et à Créteil. Des collèges, écoles maternelles et primaires portent également son nom.
Ces exemples, non exhaustifs, nous montrent que si le bac est souhaitable, il n’est cependant pas une fin en soi. Comme ces intellectuels français, nous avons les nôtres. Ceux qui n’ont pas eu le bac ou ne sont même pas allés à l’école mais ont marqué l’histoire de leur pays dans tous les domaines.
On se souvient encore d’une grande rencontre qui avait regroupé des opérateurs économiques guinéens autour du président Lansana Conté. Devant un parterre de spécialistes en économie, M. Mamadou Aliou Bah, dit Super Bobo avait fait un exposé économique d’une rare pertinence. Celui qui parlait moins bien français dans la salle avait paradoxalement les meilleures idées.
Pour revenir au cas Lamine Guirassy, celui-ci ne doit nullement rougir de n’avoir pas eu son bac. Si tous ceux qui n’ont pas eu le bac devaient réussir comme lui, personne n’aurait peut-être souhaité l’avoir.
Pour terminer, c’est à cause de notre éternel complexe d’infériorité que nous avons des universités et des écoles qui portent des noms comme Bill Clinton, Barack Obama ou même, désormais, Donald Trump. Nous avons eu et avons encore aujourd’hui des icônes dans tous les domaines auxquelles nous devons donner les noms de nos écoles.
Habib Yimbering
