Home A LA UNE Guinée : Le don volontaire de sang sur la ligne rouge

Guinée : Le don volontaire de sang sur la ligne rouge

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En dépit des attentions multiples accordées ces derniers temps au système sanitaire, à la suite de l’épidémie à virus Ebola que la Guinée a enregistré, l’offre annuelle de sang dans les unités de transfusion sanguine du pays n’a pas évolué.

De nos jours, seulement 12 guinéens sur 100 acceptent de donner volontairement du sang !  Pour une population estimée à près de 14 millions de personnes, les unités de transfusion sanguine du pays devaient disposer, annuellement, au moins 280 000 poches de sang pour couvrir le besoin national.

« Mais la production annuelle de sang se situe à hauteur de 80 000 poches. Ce qui ne fait même pas encore les 50 pour cent. On est très loin des besoins de la couverture nationale » regrette le Directeur Général du Centre National de Transfusion Sanguine, Dr Haba Nyankoye Yves.

En d’autres termes, le taux annuel de collecte de sang varie de 2,4 dons pour 1000 habitants en 2011 à 5.4 dons pour 1000 habitants en 2016. Ces taux sont cependant très inférieurs par rapport à la norme de 10 unités de sang pour 1000 habitants recommandée par l’OMS pour satisfaire les besoins nationaux annuels en sang, reconnait le DG du CNTS.

La capitale Conakry avale les 50 pour cent des poches de sang produites à l’échelle nationale.

Statistiques faibles pour 2019

La Croix Rouge Guinéenne- une des organisations qui appuient le Centre National de Transfusion Sanguine- à Conakry, a l’habitude d’organiser, par trimestre, des séances de collecte de sang. A cause de « l’insuffisance de moyens », ce système de collecte est en panne.

Les statistiques de l’année 2019 qui s’achève sont très faibles : seulement 35 poches sont collectées à la date du 27 novembre 2019. Contrairement à l’année 2018 où la Croix Rouge régionale de Conakry avait collecté 287 poches de sang et l’année précédente, en l’occurrence 2017 a été plus prolixe, 528 poches de sang collectées.

Seulement à Conakry, la Croix Rouge Guinéenne a recensé dans ses livres, plus de 3.000 donneurs volontaires de sang répartis en 5 comités communaux.

Pourtant, sur le plan de vue opérationnel, la Guinée compte 41 unités de transfusion sanguine. Il y a Centre National de Transfusion Sanguine (CNTS), service rattaché du Ministère de la Santé, qui a pour mission de couvrir le besoin national de sang, qui est le référentiel des centres régionaux de transfusion sanguine et des unités hospitalières de transfusion sanguine.

« Politique nationale caduque »

La Guinée compte également des structures d’appui dont le Comité national multisectoriel de transfusion sanguine et des comités hospitaliers de transfusion sanguine. La première cité a pour rôle d’informer et conseiller les Autorités nationales sur l’appui à apporter au système de transfusion sanguine et les second, ont pour rôle de donner des conseils en matière de bonnes pratiques de transfusion sanguine à l’échelle de l’Hôpital.

Selon le Document dit Plan de développement sanitaire de la Guinée, «de nos jours, la problématique des produits du sang est caractérisée par une faible législation qui régit le domaine de la transfusion sanguine. La politique nationale de transfusion sanguine élaborée en 1998 est caduque et inadaptée au contexte actuel. Sa faible mise en œuvre est influencée par l’insuffisance des moyens : infrastructures, équipements, personnels, formations, budget (CNTS, CRTS, UHTS) due au sous financement de la part de l’Etat et de ses partenaires. »

Le Directeur Général du CNTS, Dr Haba, précise par ailleurs que la division administrative du pays, au moment de l’élaboration de la Politique nationale de transfusion sanguine en 1996, tenait compte de quatre régions naturelles. Aujourd’hui, elle est subdivisée en sept régions administratives en plus de la zone spéciale de Conakry.

Dans la politique nationale de 1998, l’hépatite C ne faisait pas partie des examens obligations alors que de nos jours, son dépistage est une obligation avant toute transfusion sanguine.

Une autre insuffisance de la Politique nationale de transfusion sanguine de 1998 est la non prise en compte de l’hémovigilance, un processus de collecte systématique des effets indésirables ou inattendus qui apparaissent lors de la chaine transfusionnelle.

Le don familial de sang est le plus répandu à cause de l’insuffisance de la promotion du don volontaire. Ce qui ouvre la voie à des comportements qui violent systématiquement les principes éthiques édictés dans le cadre de la transfusion sanguine.

A Conakry, 4 unités hospitalières de transfusion sanguine peuvent prélever du sang, mais la qualification des poches prélevées et la préparation des composants sanguins se font uniquement au niveau du CNTS.

A l’intérieur du pays, chaque unité hospitalière fonctionne en un centre indépendant où se déroulent à la fois des activités de collecte, d’analyse, de préparation etc…

« Lorsque chaque poste doit fonctionner comme centre indépendant de transfusion sanguine, il y a des risques qu’il y ait des erreurs de manipulation. Tous les agents ne maitrisent pas la chaine de production de façon parfaite » regrette Dr Haba

«Les médias devraient nous aider »

Au centre communal de Ratoma, une dame rencontrée à la sortie de l’unité de transfusion sanguine est dans le désarroi. Sa fille a besoin de trois poches de sang, selon une prescription médicale. Elle peine à trouver deux donneurs volontaires.

« J’ai payé de l’argent à deux jeunes pour qu’ils viennent donner leur sang pour sauver ma fille. Ils m’ont demandé de leur payer 500 000 francs guinéens. J’ai tout fait pour qu’ils diminuent ce prix, ils ont refusé. C’est contre toute attente que je suis tombée sur deux autres jeunes qui ont accepté de le faire, gratuitement.»

En Guinée, la Politique nationale de transfusion sanguine stipule que le don de sang, en toute circonstance, est volontaire et bénévole. Et mieux, le profit matériel ne doit jamais être une motivation ni pour le donneur, ni pour les responsables du prélèvement.

La sensibilisation et la mobilisation en faveur du don de sang sont en panne sèche. La journée mondiale du donneur n’est pas célébrée en Guinée depuis deux ans.

«Nous n’avons pas suffisamment de moyens de communication et  de promotion du don de sang. Les communautés, on dirait qu’elles fuient leurs responsabilités. La grande majorité des médias pense que le CNTS peut payer ses communications. Ils devraient nous aider » plaide Dr Haba du Centre national de transfusion sanguine.

A l’image de certains pays de la sous-région, ce spécialiste entrevoit la nécessité d’améliorer le système de motivation des donneurs de sang. La politique nationale de transfusion devrait proposer le financement de pèlerinage annuel aux meilleurs donneurs de sang.

Les régions de Mamou, Faranah, Kindia, grâce à l’appui des partenaires techniques et financiers, organisent des séances de sensibilisation de la population, conduites par des structures de transfusion sanguine avec l’appui technique du CNTS. Une démarche saluée par les spécialistes et encouragée à être poursuivie dans les autres régions du pays. Mais la logistique et les moyens financiers font défaut.

Selon les estimations du projet de l’OMS intitulé « Pour la promotion de l’accès universel à du sang et à des composants sanguins de qualité et sûrs pour la transfusion  et aux produits médicaux dérivés du plasma  2019 – 2023 », 47 % du sang est collecté dans les pays à revenu élevé, c’est-à-dire prélevés auprès de 19 % seulement de la population mondiale.

Inversement, 24 % seulement du sang est prélevé dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, représentant 48 % de la population mondiale. Les disparités les plus marquées entre la population et le prélèvement de sang sont observées dans la Région africaine et dans la Région de l’Asie du Sud-Est, où 13 % de la population mondiale de la Région africaine n’a accès qu’à 5 % du sang collecté à l’échelle mondiale.

Amadou Touré et Maimouna Bangoura pour l’AGUIPEL

NB : Cet article est produit dans le cadre de la Semaine des Médias pour la participation des citoyens à la gouvernance en Santé. Un projet mis en œuvre par Search for common ground sous financement de l’USAID