La lettre confidentielle d’un ancien et futur opposant
Cher ami,
Je suis persuadé que tu seras surpris de recevoir cette lettre de ma part. Comme d’habitude, tu diras que je ne t’écris que lorsque je suis en difficultés. Comme c’est le cas en ce moment, malgré les apparences. Ce qui n’est pas, je dois l’avouer, tout à fait faux. Mais je sais aussi que tu me comprendras et pardonneras pour me répondre dans les plus brefs délais. Car, comme tu le verras dans les lignes qui suivent, le temps presse pour moi.
Avant d’entrer dans les vif de mon sujet, je voudrais, cher ami, te présenter mes excuses pour mon mutisme de ces dernières années. Je sais que si tu appliques la réciprocité, tu ne vas jamais me répondre. Parce que, quand j’ai été nommé ministre, tu m’avais adressé une lettre de félicitations et de sollicitations qui est restée sans réponse. Si mes occupations étaient pour quelque chose dans mon silence, mon comportement n’était pas moins étranger à ce mutisme. J’espère que la faute étant reconnue, elle est pardonnée. Non pas à moitié. Mais en totalité.
Ceci dit, tu es connu pour être quelqu’un de si pieux que je suis plus que convaincu que tu ne répondras jamais au mal par le mal. Tu vas certainement ironiser en disant que je raconte tout cela pour être pardonné. Ça vaut la peine, car je suis un homme inquiet. Inquiet pour mon avenir et mon devenir. En changeant de conviction comme la météo, je fais la risée de la classe politique de notre pays. Je me rends compte qu’en devenant malléable et corvéable, on devient aussi vulnérable.
Cher ami, comme tu le vois, j’ai du mal à me débarrasser de mon habitude : celle d’être toujours très long dans mes lettres. Je n’arrive pas à dire l’essentiel. Cela s’explique par mon obsession à susciter l’intérêt voire l’empathie chez mon interlocuteur. Actuellement j’ai besoin plus que quiconque de l’empathie.
Après cette introduction qui tourne et retourne autour de mon sujet à cause justement de la délicatesse de ce sujet, je vais droit au but pour t’expliquer mon problème. Sachant que tu suis attentivement l’actualité dans notre pays, le sujet qui polarise l’attention est celui de comment faire pour que notre président emboite le pas à deux de ses prédécesseurs. C’est-à-dire qu’il ne fasse aucune transition entre le palais présidentiel et le cimetière. Notre pays n’a jamais été aussi divisé qu’aujourd’hui à cause justement de cette histoire d’une nouvelle présidence à vie que nous appelons très subtilement le projet de nouvelle constitution.
Il y a deux groupes de personnes ayant des positions diamétralement opposées. Le premier groupe est favorable à une nouvelle constitution. Le deuxième y est farouchement opposé. Je fais partie du premier. Du moins officiellement. En réalité, je ne suis pas convaincu de la justesse et de la noblesse de mon combat. Mais nous sommes en politique. Ma conviction, qui ne varie pas cette fois sur ce sujet, est que quand la politique entre par la porte la morale sort par la fenêtre.
Pour comprendre comment je suis capable de soutenir une chose à laquelle je ne crois pas, il faut remonter au début de l’année dernière. J’ai eu la maladresse de me présenter comme candidat aux élections locales dans ma ville natale. Et j’ai été battu. L’opposition, à laquelle je faisais partie, ne m’a pas soutenu. Ce qui m’a irrité. Depuis, j’ai commencé à caresser à nouveau le pouvoir dans le sens des poils. Mais sachant que les élections constituent le baromètre du potentiel électoral et de la popularité d’un homme politique, ces élections ont été fatales pour moi. Le pouvoir a compris que je n’ai aucun poids électoral dans mon soi-disant fief. Or un homme politique sans électeurs ressemble à un général d’armée sans soldats.
Du coup, et malgré ma virulence et même ma violence verbale vis-à-vis de mes anciens alliés de l’opposition, je suis au pouvoir ce que le sel est à la volaille. Je suis foutu. J’ai abandonné l’opposition au profit d’un pouvoir qui ne veut apparemment plus de moi. Tu as dû apprendre qu’un de mes anciens compagnons, lui, a été nommé ministre. Mieux, son poste a été taillé sur sa mesure. J’espérais bénéficier d’un décret aussi mais j’ai l’impression que les gens me font payer mon départ fracassant et surtout mon éphémère rapprochement avec le principal opposant. Puisque j’ai compris que ce décret n’arrivera pas, j’ai fait profil bas ces derniers temps.
J’ai mis cette pause à profit pour méditer. Et décider où aller et comment le faire. C’est ainsi que je n’exclus plus, une nouvelle fois, retourner dans l’opposition. D’autant plus que le fameux projet de nouvelle constitution bat de l’aile. Ayant épuisé toutes mes cartes, je ne sais plus comment faire pour rejoindre cette opposition que j’ai vilipendée. Plus personne ne va me croire désormais.
Et c’est cela le véritable sujet de cette lettre. Je souhaite que tu me fasses deux choses : la première, me donner ton avis sur tout ce que je viens de te raconter. Me conseiller sur la démarche à suivre. La seconde chose, faire la médiation entre l’opposition et moi avec comme objectif ma réintégration au sein de cette opposition. Tu me diras que la première est une simple promenade de santé. Mais la seconde relève de la croix et de la bannière. A toi de voir l’opposant avec lequel tu as le plus de bons rapports, le plus bienveillant à ton égard pour lui poser l’épineuse question.
S’il te fait l’objection à cause de mon instabilité et mon manque de conviction, tu peux lui dire que cette fois je suis prêt à aller plus loin, en jurant sur le saint Coran que je vais assumer mon choix pour rester éternellement dans l’opposition. Pardon, pour rester dans l’opposition jusqu’à ce qu’elle arrive au pouvoir pour être enfin avec elle au pouvoir.
Ton ami
Le partisan devenu opposant puis partisan qui veut redevenir opposant
Habib Yembering in couleur guinee