Le Lynx déménage
L’immeuble « Baldé Zaïre » fut le quartier latin pour les intellectuels guinéens. Ce modeste immeuble, aujourd’hui dévalorisé par les nouvelles constructions modernes qui l’entourent, est situé au quartier Sandervalia dans la commune de Kaloum. Plus précisément entre la mosquée sénégalaise et l’église anglicane.
Ce bâtiment vient d’être sevré par le départ d’un symbole : Le Lynx qu’il a apprivoisé il y a 28 ans. Parmi les premiers journaux privés de la Guinée post révolution, l’hebdomadaire satirique s’installe dans ce bâtiment au début des années 90. Quand ses premiers numéros sortent, le Guinéen découvre pour la première fois un journal satirique. Celui qui ose écrire ce qu’on ne peut même pas penser.
Peu à peu, ce journal, qui caricature même le général Lansana Conté, appelé Fory Coco, est un véritable fétiche. Entre une parution et une autre le temps paraissait comme une éternité pour de nombreux lecteurs. Le Lynx s’achète comme des petits pains. L’Administrateur général et quelques journalistes feront les frais de leur audace dans un régime peu enclin à s’accommoder des critiques. Le Gros, comme l’appelaient affectueusement ses collègues, devient un habitué de la maison centrale. Mais il n’abdique pas. Le Lynx résiste à toutes les pressions.
Plus tard, à ceux qui viendront dire au président de Lansana Conté que le Lynx a encore écrit ceci ou cela sur lui ou sur son gouvernement, le général leur rétorquera « faites votre travail et laissez-les faire le leur ». C’est ainsi que, grâce à sa rigueur et son indépendance, le Lynx s’impose comme un observateur voire un acteur incontournable dans le processus démocratique de la Guinée. Il deviendra une référence pour les medias étrangers, les partenaires de la Guinée et les intellectuels guinéens.
L’immeuble Baldé Zaïre devient alors le repère pour tous les journalistes, à la fois locaux et étrangers. Tous viennent à la source. Pour les journalistes les confrères constituent la première source d’information. Assane Abraham Keïta et Prosper Doré de la Rédaction, Amadou Diallo du service informatique ou encore Fodé des archives sont en permanence à la Rédaction. Les deux premiers ne sont plus de ce monde. Mais les deux derniers sont encore là, heureusement.
Mais il n’y a pas que les intellectuels et autres journalistes qui fréquent le premier journal privé guinéen. Il y a aussi les opposants au régime en place. Tous grimperont les obscures escaliers de l’immeuble Baldé Zaïre pour voir le Gros, pour accorder une interview ou pour chercher tel ou tel autre journal qui traite de tel ou de tel autre sujet.
Siradio Diallo, Bah Mamadou, Alpha Condé et surtout Jean Marie Doré, venaient pour une raison ou pour une autre. Sans compter les autres intellectuels dont entre autres William Sassine, le doyen Sambry Sako de Bokoro, Ahmed Tidiane Cissé, Aliou Barry ou encore Soulay Thiäguel, pour ne citer que ceux-là. Tous signaient une chronique très prisée par les lecteurs. Et que dire des journalistes comme Amadou Diallo de la BBC, Ben Daouda Sylla d’Africa N°1, Serge Daniel et Mouctar Bah de RFI et Foday Fofana de la BBC.
Lieu modeste pour les uns vétuste voire délabré pour les autres, le siège du Lynx ne demeurait pas moins un véritable lieu de pèlerinage pour les journalistes. A la fois les débutants et les vétérans. Mais puisque rien n’est éternel sur terre, il fallait partir un jour. Le Lynx vient donc de faire sa valise. Il quitter l’immeuble Baldé Zaïre à Kaloum pour se faire apprivoiser par un autre dans le quartier très huppé de Kipé, dans la commune de Ratoma. Désormais le Lynx est perché au 5ème étage de cet immeuble où, sans doute, il pourra encore lorgner et voir plus loin pour informer le public guinéen dont un grand nombre reste encore jalousement attaché à ce symbole et grand témoin de notre histoire de ces trois dernières décennies.
Habib Yemberung
