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Sous l’influence de la Chine, la Guinée d’Alpha Condé accentue son virage autoritaire

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L’influence croissante de la Chine dans la Guinée d’Alpha Condé accentue d’autant le virage autoritaire pris par le petit pays d’Afrique de l’Ouest, figurant parmi les plus pauvres de la planète. La frêle démocratie guinéenne survivra-t-elle à ces liaisons dangereuses ?

Alpha Condé, qui promettait lors de son élection en 2010 d’être le « Mandela de la Guinée », ne serait-il pas en train d’en devenir le Robert Mugabe sous l’influence du régime chinois ? Dix ans après son arrivée au pouvoir, la Guinée continue d’occuper les tréfonds du classement mondial de l’indice de démocratie de la presse britannique, avec une 136e place qui la positionne derrière le Qatar, le Zimbabwe ou encore… la Chine. Un mauvais score qui n’est pas sans rappeler la 178e place du pays dans le classement mondial de l’indice de développement humain (le 9e en partant de la fin) et sa 107e place à celui de la liberté de la presse.

Pékin, soutien indéfectible de la dérive autoritaire d’Alpha Condé

Plus qu’ailleurs en Afrique, la situation des droits de l’homme présente un caractère alarmant. Pour s’ouvrir la voie vers un 3e mandat, théoriquement interdit par la constitution guinéenne, Alpha Condé a fait montre de sa faible considération pour les principes démocratiques en proposant de supprimer purement et simplement cette disposition pour son propre avantage. Cette modification de la loi fondamentale du pays a fait bondir l’opposition, qui a appelé à boycotter le scrutin et à manifester dans la rue contre le projet présidentiel. Des rassemblements sévèrement réprimés par les forces de sécurité du régime, à coup de grenades lacrymogènes et d’armes à feu, dont le bilan s’élève au minimum à une trentaine de morts et plusieurs dizaines de blessés selon l’ONG Human Rights Watch.

À l’approche du référendum, cette répression s’est même intensifiée. L’ONG dénonce la disparition d’une quarantaine de partisans de l’opposition et les arrestations d’une dizaine de militants. Le jour même du vote, six manifestants dont une femme, ont été tués par balles par les forces de l’ordre et huit autres blessés, quand plusieurs dizaines d’entre eux ont été arrêtés arbitrairement et détenus dans une base militaire dans l’Est de la Guinée.

Si les grandes nations démocratiques ont condamné unanimement cette violence, il n’en a pas été de même pour la Chine. Dans un communiqué lénifiant publié par l’ambassade de Chine en Guinée, le ministère des Affaires étrangères salue quant à lui les « bonnes conditions » du scrutin et « le large soutien » dont bénéficierait la nouvelle constitution, sans un mot pour les dizaines de victimes de l’État guinéen. La Chine, dont le chef d’État Xi-Jinping est également président à vie, et s’émeut peu de faire des émules à travers le monde, se permet même de tancer les chancelleries critiques à l’égard du président Condé en appelant la communauté internationale à « jouer un rôle constructif pour sauvegarder conjointement la stabilité et le développement du pays ».

Le barrage de Souapiti, projet pharaonique et catastrophe sociale

En matière de stabilité et de développement de la Guinée, la Chine apparaît pourtant peu légitime pour chapitrer qui que ce soit. Pékin, qui entretient depuis l’indépendance de la Guinée une relation diplomatique nourrie avec Conakry, a intensifié sa présence dans le pays depuis l’accession au pouvoir d’Alpha Condé en 2010 et la libéralisation du secteur minier. L’Empire du Milieu, avide en matières premières, s’est précipité sur les gigantesques réserves de bauxite du pays, faisant pousser les concessions minières et les usines comme des champignons. Une ruée vers l’or dont la population guinéenne n’a pas vu la couleur, puisque le secteur du minier représente 13% du PIB du pays, mais seulement 3% de l’emploi. Tout en continuant de subir le chômage de masse, la pauvreté et l’absence d’accès aux services essentiels comme l’eau et l’électricité, alors que les pelleteuses chinoises vident le sous-sol du pays de ses précieux minerais sans contrepartie pour la population, de nombreux Guinéens ont en outre tout perdu pour les besoins des entreprises chinoises.

Pour couvrir les besoins croissants en électricité des usines chinoises de traitement de la bauxite, la Chine a décidé de soutenir la construction de grands barrages sur le fleuve Konkouré au point d’en fournir à la fois la maîtrise d’ouvrage et les fonds nécessaires à leur réalisation sous forme de prêts concédés à l’État guinéen. Le dernier en date, celui de Souapiti, est un barrage géant d’1 kilomètre de long pour 120 mètres de haut, sur lequel Alpha Condé compte beaucoup pour assurer sa propagande électorale et répondre à ses détracteurs qui l’accusent de n’avoir rien fait de ses deux derniers mandats. Le résultat n’est en effet pas des moindres : la montée des eaux du lac réservoir du barrage a déjà chassé 16 000 Guinéens hors de chez eux et de leurs terres ancestrales. Désormais sans ressource, sans emploi et seulement dotés d’une aide alimentaire d’urgence, les déplacés du barrage survivent dans la plus grande précarité, dans l’angle mort des caméras du service de presse présidentiel. Une catastrophe humanitaire majeure, dans laquelle les droits des populations ont été bafoués sans le moindre scrupule au nom des intérêts chinois.

Un aveuglement coupable sur la répression contre les Ouïghours

Mais la présence de la Chine ne se ressent pas uniquement dans son éloignement croissant avec la démocratie et les droits de l’homme. La diplomatie du pays s’en fait également le reflet en s’alignant de plus en plus sur les positions de Pékin, y compris les plus extrêmes et les plus éloignées de ses intérêts propres. La Guinée s’est ainsi rangée du côté de la Chine sur la question de la répression des Ouïghours, une minorité turcophone et musulmane sunnite vivant dans la province du Xinjiang. Contre la multiplication des preuves et des témoignages pointant l’existence de camps d’internement, de campagnes de stérilisation forcées, de destruction de mosquées, de séjours d’endoctrinement dans lesquels les détenus seraient forcés de manger du porc et de consommer de l’alcool, la diplomatie guinéenne a choisi d’opposer une fin de non-recevoir en dénonçant des « allégations non-fondées ». Le pays compte pourtant plus de 90% de musulmans dans sa population. Il en va de même concernant le racisme qui sévit en Chine à l’égard des Africains depuis la pandémie de Covid-19, contre lequel la Guinée n’a opposé qu’une condamnation du bout des lèvres, malgré les expulsions forcées et les discriminations infligées à certains de ses ressortissants dans la ville de Canton.

Ce spectacle extrêmement préoccupant de la dégradation de la prise en compte des droits de l’homme par l’État guinéen semble se résumer à une équation très simple : plus la Guinée se rapproche de la Chine, plus celle-ci apparaît se calquer sur le modèle totalitaire de l’Empire du Milieu, où le nombre de caméras dépasse désormais celui des habitants, où les réseaux sociaux et la presse sont strictement contrôlés par la police, et toute forme d’opposition rendue de facto impossible. Une dérive inquiétante, dont la population guinéenne n’est pas près de percevoir le moindre fruit.