Home A LA UNE Qui sont les fossoyeurs de la démocratie en Guinée ?

Qui sont les fossoyeurs de la démocratie en Guinée ?

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Plus de 20 Guinéens ont été tués par les forces de l’ordre en 3 mois lors de manifestations contre le 3ème mandat d’Alpha Condé. La Guinée s’apprête à vivre, dans ce climat très tendu, des élections législatives contestées. Le Président met le pays en danger en s’accrochant au pouvoir, soutenu par une galaxie d’acteurs mus par leurs propres intérêts. Tour d’horizon des fossoyeurs de la démocratie.

Alpha Condé ou la soif du pouvoir

Arrivé au pouvoir en 2010 après un scrutin dont la transparence a été bafouée, Alpha Condé a consacré ses deux mandats à cannibaliser les ressources du pays à son profit ainsi qu’au profit de son clan. Pis, il s’est méthodiquement attaché depuis 9 ans à détricoter les acquis démocratiques de la Guinée. Non respect des échéances électorales, non respect des résultats des dernières élections communales qui lui ont été défavorables, blocage de l’installation des conseils de quartiers pourtant nécessaires au regard de la loi électorale : les leviers utilisés par Alpha Condé pour cloisonner la démocratie guinéenne à son bénéfice sont nombreux.

Au-delà d’un bilan économique très maigre, en témoigne l’absence d’amélioration des conditions de vie des Guinéens, les populations du pays voient leurs droits d’expression, d’opinion et de manifestation davantage menacés jour après jour. Les violences et arrestations des manifestants pacifiques par les forces de l’ordre ont été à de nombreuses reprises dénoncées par Amnesty International ainsi que Human Rights Watch. La haine ethnique est l’un des ressorts âprement utilisés par le pouvoir pour diviser et mater sa population, de l’aveu-même d’un membre du RPG. Dans la sous-région, ce genre de recettes peut s’avérer explosif très rapidement.

Bientôt arrivé au terme de son second et dernier mandat, Alpha Condé a annoncé lors de ses vœux à la Nation qu’une nouvelle Constitution était en voie de préparation, afin d’être soumise au peuple de Guinée via un référendum. S’il se drape dans des arguments fallacieux pour expliquer le besoin du pays de se doter d’une nouvelle Constitution – pour y inclure le développement durable et la place des femmes – la manœuvre ne laisse personne dupe : une nouvelle Constitution remettrait les compteurs à zéro et lui ouvrirait la voie à un 3ème puis 4ème mandat, soit 12 nouvelles années au pouvoir selon le nouveau texte promu par cet homme de 81 ans.

Alpha Condé n’est pas seul dans son entreprise de démolition de la démocratie guinéenne. Dans son entourage et au sein du gouvernement, une poignée de proches influents le soutiennent et l’encouragent dans sa volonté de s’octroyer un 3ème mandat illégal et anticonstitutionnel. Sans ses relais politiques et institutionnels, sa mégalomanie ne pourrait prospérer.

La cour d’Alpha Condé, une galaxie d’acteurs serviles

La Guinée, dont la construction et le renforcement démocratique demeurent encore fragiles, se retrouve prise en otage sous les actions de quelques acteurs politiques et institutionnels au service aveugle d’Alpha Condé.

Parmi ces courtisans aux dents longues, le Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana qui s’est officiellement prononcé en faveur de l’adoption d’une nouvelle Constitution, avant d’affirmer que tous les membres du gouvernement partagent son avis. Chargé de mener les consultations demandées par Alpha Condé, et qui devaient justifier la tenue d’un référendum dans ce pastiche de démocratie, Ibrahima Kassory Fofana s’est ainsi fait le premier relais politique et soutien institutionnel du Président Alpha Condé et de son intention de briguer une présidence à vie.
Second rouage essentiel : Rachid Ndiaye. Conseiller du Président élevé au rang de Ministre, il endosse le rôle de porte-flingue d’Alpha Condé dans les médias internationaux pour diffuser les éléments de langage visant à défendre son projet de nouvelle constitution. Le 17 septembre dernier, il répondait aux questions de Christophe Boisbouvier dans la matinale de RFI, à qui il affirmait sans sourciller que “le cœur des consultations ne sera pas sur le principe d’une nouvelle Constitution, mais sur le contenu de cette nouvelle loi fondamentale”.

Invité : Rachid Ndiaye (Guinée) © TV5MONDE Info
Il bat régulièrement en brèche toute allusion à la volonté de son mentor de briguer un 3ème mandat, répétant inlassablement ses éléments de langage selon lesquels le pays a besoin d’une nouvelle constitution sans pour autant apporter d’exemples précis des carences de l’actuelle loi fondamentale.

Autre soutien explicite qui va pourtant à l’encontre de la neutralité et de l’impartialité de son rôle, le Président de la CENI Salif Kébé, réputé intime du Président qui entend calquer le chronogramme de l’institution sur les désirs d’Alpha Condé. Salif Kébé est depuis plusieurs mois sous le feu des critiques et d’une fronde portée par le Vice-président de la CENI, El Hadji Bano Sow, ainsi que plusieurs autres commissaires au sujet de la date retenue mais aussi et surtout concernant les très nombreuses irrégularités enregistrées lors de la phase d’enrôlement sur les listes électorales. Dans une déclaration publiée le 17 décembre dernier, 7 commissaires de la CENI, dont le Vice-président, ont annoncé leur retrait du processus électoral des législatives. Tous dénoncent de graves dysfonctionnements dans la conduite des préparatifs du scrutin du 16 février : large enrôlement de mineurs, non mise à disposition des moyens nécessaires par les autorités dans certaines localités, retard dans l’acheminement du matériel électoral malgré la période extrêmement courte, répartition inéquitable des kits au profit de régions favorables au président…

Ils dénoncent également l’immixtion du pouvoir dans l’organisation du scrutin : ”Nous n’accepterons pas que des élections bâclées soient organisées pour faire plaisir à Alpha Condé, qui veut avoir coûte que coûte une majorité pour faire passer son projet occulte de modification de la Constitution et s’octroyer une présidence à vie”, a déclaré un membre de la CENI sous le couvert de l’anonymat à Jeune Afrique. Le 8 janvier dernier, la CENI a enregistré le dépôt de listes émanant de 29 partis, alors que les principaux partis d’opposition ont annoncé vouloir boycotter les élections législatives. Cellou Dalein Diallo, le chef de file de l’opposition, énumère un chapelet de conditions sans lesquelles ces élections ne se feront pas : « L’opposition ne participera pas à cette élection, tant que les élections locales qui ont été suspendues ne sont pas achevées ; tant que le fichier [électoral] ne sera pas assaini, et tant qu’il y a un président de la CENI, dont la partialité est notoirement établie » (RFI).

Au-delà de ces 3 acteurs majeurs, le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), qui réunit l’opposition et les acteurs de la société civile, a publié à ce jour 3 listes nominatives des promoteurs du 3ème mandat. Sont nommés la majeure partie des ministres, des fonctionnaires territoriaux de haut-rang et des députés du RPG-Arc-en-Ciel le parti de la mouvance présidentielle, tous prêts à dévoyer et instrumentaliser la parole du peuple au nom du 3ème mandat.

Des soutiens russes aux yeux rivés sur les sous-sols guinéens

À l’international, Alpha Condé a trouvé un soutien du côté de la Russie, qui lorgne toujours un peu plus sur les richesses minières du pays tout en fermant les yeux sur le respect des droits et de la démocratie. Si Alpha Condé entretient le flou sur la nature de ses relations avec les principaux acteurs économiques de l’industrie minière qui opèrent en Guinée, il n’y a plus l’ombre d’un doute sur ses bonnes relations avec les opérateurs russes. Dans les colonnes du Guardian, Ruth McLean a publié un long reportage sur les “privilèges russes” en Guinée. Parmi les privilégiés, il en est un, Alexandre Brégadzé, ex-ambassadeur de Russie en Guinée, devenu depuis mai 2019 le directeur du géant de l’aluminium Rusal dans le pays. Selon un communiqué diffusé par la société russe, l’ex-diplomate dirigera tous les projets gérés par la Compagnie de bauxite de Kindia, et supervisera le lancement de la deuxième ligne de production de l’usine d’aluminium de Friguia. “Fervent supporter du président de la République guinéenne Alpha Condé”, comme le rapportent Jeune Afrique et RFI, et alors qu’il était toujours Ambassadeur, il avait déclaré son soutien à Alpha Condé et à sa volonté de briguer un 3ème mandat en janvier dernier, en dépit des principes diplomatiques de non-ingérence dans les affaires intérieures guinéennes : “Soyons objectifs, soyons réalistes, nous sommes témoins d’une grande réussite de la Guinée, de son président et de son gouvernement” et d’ajouter enfin “Les Constitutions ne sont ni dogmes ni Bible ni Coran. Les Constitutions s’adaptent à la réalité, mais les réalités ne s’adaptent pas aux Constitutions”.

Les relations semblent également être au beau fixe au plus haut niveau des deux pays, Alpha Condé ayant sollicité un entretien privé avec Vladimir Poutine en pleine réunion publique durant le sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019. La Russie n’est pas le seul pays auprès duquel Alpha Condé cherche un soutien international, en témoignent les nombreux déplacements que le Président fait dans le pays d’Erdogan. La société turque Albayrak a récemment remporté de juteux contrats en Guinée, à l’instar du Port autonome de Conakry.

Soutiens affichés, connus, et d’autres plus discrets voire secrets ; Alpha Condé ne peut arriver seul à imposer au peuple sa volonté de présidence à vie. La nébuleuse qui gravite en soutien au 3ème mandat d’Alpha Condé présente des intérêts particuliers forts non dévoilés qui ne peuvent qu’alimenter la suspicion des défenseurs de la démocratie. Dès lors, la question se pose quant aux promesses et compensations, en dehors de tout cadre légal, qu’il compte octroyer à ses soutiens.

Face à cette galaxie déterminée à porter Alpha Condé de façon illégale vers une présidence à vie au détriment de la démocratie, l’opposition et la société civile réunies au sein du FNDC appellent à manifester de manière discontinue jusqu’à l’abandon définitif du projet de 3ème mandat.
Mediapart